Vous vous souvenez des débuts des blogs politiques ? En Guinée, c’est maintenant

Guinee blogueurs ablogui

En Guinée, alors que le président Alpha Condé rempile pour un nouveau mandat, le scrutin présidentiel a vu l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène politique : des blogueurs et web-activistes. Leur ambition : « réveiller les consciences ».

Quand on entre dans les locaux d’Ablogui, il faut s’attendre à voir son arrivée notifiée sur Twitter d’une seconde à l’autre. C’est le prix symbolique à payer pour rencontrer ses membres. Des blogueurs accros aux smartphones et aux réseaux sociaux installés depuis peu au cinquième étage d’un appartement de Conakry, en Guinée.

Un QG situé à deux pas du tristement célèbre stade du 28 septembre, où ce jour de 2009  plus de 150 opposants à Moussa Dadis Camara ont été massacrés et des dizaines de femmes violées.

Dans son bureau, ceint d’une chemise rose carnée, Fodé Sanikayi Kouyaté trentenaire souriant, nous reçoit l’ordinateur en veille et le téléphone dans la main. Il est un blogueur influent dans l’Ouest africain.

« Au début, nous étions une petite dizaine. Les gens ne s’investissaient pas. Il fallait aller au cybercafé du coin, c’était compliqué. Aujourd’hui, nous fédérons une centaine de membres. »

Internet reste un luxe en Guinée

Le développement d’Internet et des opérateurs mobiles ces quatre dernières années a permis cette connexion soudaine. Surtout dans un pays où 70% de la population a moins de 25 ans. Une réalité à nuancer : Internet reste un luxe en Guinée où seulement 1,5% des ménages a accès au Web.

Sans compter les coupures de courant à répétition même si l’opportune inauguration, par le président Condé, fin septembre, du barrage de Kaléta a quelque peu amélioré le sort des habitants de Conakry.

Avec un ami blogueur, Fodé Kouyaté a créé en 2011 l’association Ablogui dont il est le président. L’association est née du constat que les technologies de l’information et de la communication constituent « un moyen et une liberté d’expression ». A l’heure même où la Guinée fait l’apprentissage difficile de la démocratie après 50 années de dictature et d’autoritarisme.

En octobre, Ablogui, soutenue financièrement par l’ONG Osiwa (Open Society Initiative for West Africa), a inauguré une nouvelle façon de suivre les élections en Guinée. L’association a lancé une plateforme web participative et citoyenne. Son nom :  Guinée Voté. Inspirée de l’expérience sénégalaise Sunu2012, l’initiative a revêtu un caractère inédit dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.

Rapidement, le hashtag #Guineevote est devenu incontournable pour qui voulait suivre les élections. Plus de deux tweets par minute le jour du scrutin.

« La personne qui nous suivait le 11 octobre pouvait suivre l’élection dans plus de 500 bureaux de vote. Tout était remonté instantanément. »

Des observateurs dans les bureaux de vote

Pour cela, 215 e-observateurs volontaires – des juristes, des étudiants, des journalistes, des commerciaux, des professeurs… – ont été sélectionnés, formés en amont et disséminés dans les bureaux de vote aux quatre coins du pays. Un réseau parallèle aux observateurs officiels.

L’objectif : traiter l’information électorale, faire remonter les contenus pertinents, dresser un état des lieux du scrutin, recenser les dysfonctionnements sur une carte interactive… Une petite révolution au pays de la bauxite, de l’or et du diamant.

De nombreux cas de retards d’ouverture de bureaux, de dysfonctionnements, voire de fraudes présumées, ont ainsi été recensés instantanément via SMS ou tweets. Ceux là même que dénonce l’opposition qui, à l’issue du scrutin, a annoncé ne pas reconnaître les résultats (officiellement, Alpha Condé a été reconduit dès le premier tour avec environ 60% des suffrages). 

Le factuel d’abord

En Guinée, les clivages politiques recoupent bien souvent les clivages ethniques, notamment entre les deux principales communautés majoritaires Malinkés et Peuls. Un repli communautaire, attisé par les discours et source de tensions, dont les périodes électorales servent bien souvent d’exutoire.

Fodé Kouyaté le regrette :

« Nous luttons contre ça. On ne peut pas nier une ethnicisation de la politique. Mais selon nous, elle ne recoupe pas une réalité sociale. »

Guinée Vote ne roule pour personne, assure-t-on à Ablogui. Ce qui n’est pas le cas de tous les médias en Guinée, moins encore sur les réseaux sociaux où les rumeurs côtoient bien souvent les fausses informations, alimentant un climat de division.

Le sociologue Moussa Diabaté relève que « beaucoup de blogs servent de relais aux partis politiques et attisent la haine ; il faut être vigilant et conscient de cela quand on s’intéresse à la politique guinéenne. »

Selon lui, Guinée Vote éviterait le piège en reprenant des informations factuelles dénuées de commentaires. « Nous essayons de démonter ces messages-là et de les canaliser pour aller vers la paix. Nous voulons éveiller les consciences », confirme Kindy Dramé, web entrepreneur en charge de la formation et de l’organisation de Guinée Vote.

Apporter plus de transparence

Pour le journaliste guinéen Lansana Camara, l’arrivée des blogueurs dans le paysage médiatique et politique change la donne.

« Ils ont été un grand plus dans le cas des élections. L’information est délivrée instantanément, ce qui est novateur. »

Selon lui, « si la plateforme conserve la même dynamique, cela peut faire changer les choses. Un politique dont la conférence de presse se retrouve relayée minute par minute sur Internet doit en tenir en compte. Cela peut avoir une influence sur la sincérité des discours et messages politiques. »

Même si le journaliste reconnaît que le faible accès à Internet limite encore l’impact du dispositif.

En donnant voix au chapitre à tous les candidats, en comparant leurs programmes point par point, en épluchant les promesses de campagne, les blogueurs ont voulu apporter plus de transparence. Tous les partis n’ont cependant pas répondu avec la même efficacité aux demandes de Guinée Vote. Parmi les plus réactifs, le Bloc Libéral du candidat Faya Millimono. Aliou Bah, son directeur de campagne, explique :

« Nous avons souscrit à cette initiative qui s’inscrit dans le cadre de l’action citoyenne pour davantage de transparence. Nous avons estimé que nos compatriotes doivent pouvoir s’informer au travers des nouvelles technologies. C’est aussi un moyen de faire remonter des recommandations pour nous permettre de nous améliorer et de corriger certains points. »

Iconoclastes

Néanmoins, les blogueurs sont encore perçus, parfois, comme des iconoclastes. Un e-observateur contacté témoigne de « certaines réticences » de politiques et de journalistes vis-à-vis de leur fonctionnement. Tout n’est pas encore acquis.

« Le fait de tout dire avec une liberté totale ne plaît pas à tout le monde, on peut le ressentir notamment dans les échanges que l’on peut avoir avec eux. »

Malgré ce constat, ces jeunes blogueurs-citoyens conservent la même énergie. Pour eux, l’essentiel est atteint : ils ne veulent plus être spectateurs mais acteurs du processus.

« Nous avons pu mettre des manquements en lumière », note Sekouba, 26 ans, professeur d’anglais et e-observateur à Kaloum, quartier du centre-ville de Conakry. « Notre motivation est d’amener les Guinéens à changer de mentalités et la manière de faire de la politique. Nous sommes dans un processus de démocratisation, ce n’est pas parfait mais ça avance. »

Par Arnaud Bertrand, journaliste

Source: Rue 89

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