Virus Ebola en Guinée : la difficile sensibilisation des populations
- Par Administrateur ANG
- Le 27/06/2014 à 08:59
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Trois mois après son apparition en Guinée, l’épidémie de virus Ebola en Afrique de l’ouest, qui touche aussi le Liberia et la Sierra Leone, a été jugée mardi " hors de contrôle " par Médecin sans frontière (MSF). Si des foyers ont été maîtrisés, de nouveaux sont apparus. En cause, selon plusieurs de nos Observateurs en Guinée, le difficile travail de sensibilisation des populations.
L’apparition de nouveaux foyers en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia fait que "le risque d’une propagation à d’autres zones est aujourd’hui réel" s'est alarmé mardi le docteur Bart Janssens, directeur des opérations de MSF.
Contacté par FRANCE 24, Marc Poncin, coordinateur d'urgence pour MSF à Conakry explique : "L’épidémie a désormais un vrai aspect sous-régional, elle a débordé dans deux pays voisins. Un tiers des patients de Guéckédou viennent d’ailleurs de Sierra Leone. Par ailleurs, il y a un vrai problème de non-adhésion des populations aux mesures de contrôle, certaines allant jusqu’à remettre en cause l’existence même d’Ebola" déplore-t-il. MSF estime notamment que les mesures de contrôle ne sont pas respectées pendant les enterrements.
Au total, 60 foyers de fièvre ont été identifiés. Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Guinée, pays le plus touché, le Liberia et la Sierra Leone totalisent depuis le début de l’année 635 cas de fièvre hémorragique (dont un peu plus de la moitié ont été confirmés par des analyses comme étant dus au virus Ebola), dont 399 décès. Le virus Ebola se manifeste par une poussée de fièvre, des diarrhées, des vomissements, des saignements et connaît un taux de mortalité de 50 à 90%. Il se transmet par contact direct avec des liquides biologiques, notamment le sang, le sperme et la salive, ou les tissus des sujets infectés. Il n'existe aucun traitement ni vaccin contre ce virus.
"Dans les zones où l’épidémie a disparu, les gens pensent qu’Ebola était de la fiction"
Souleymane Bah est journaliste à Conakry pour la radio et télévision Espace. Il revient d'un reportage à Télimélé et Kindia, deux villes au nord du pays.
"Je reviens d’un reportage à Télimélé et Kindia, au nord de Conakry. Samedi, à Télimélé, il n’y avait plus de malades dans le centre d’isolement. Les deux cas en observation s’étaient révélés négatifs et la situation semblait en voie d’être maitrisée. Kindia, elle, n’a jamais été touchée.
Mais du coup, la diminution du nombre de cas influe sur le comportement des gens. Beaucoup pensent que le virus Ebola, c’était de la fiction, que ça n’a jamais existé. Les mesures d’hygiène sont moins respectées qu’auparavant : on va au marché, on se serre la main, on se fait la bise… Tout ce qui est déconseillé. Dans la plupart des restaurants, le petit seau d’eau chlorée qui permettait de se laver les mains a disparu. MSF et l’OMS ont beau dire de ne pas crier victoire, ça ne semble pas avoir d’effet sur le comportement des gens. Il faut savoir qu’en plus, le bilan des cas mortels et infectés fourni par MSF a été contesté par des autorités locales [Le ministre guinéen de la Santé, Rémy Lamah, a lui-même rejeté les déclarations de MSF, déclarant qu'elles ne reflétaient pas la réalité de la situation] , ce qui n’aide pas à maintenir les gens en état d’alerte.
Interrogé sur la cas de Telimélé, Marc Poncin explique que la population a eu un comportement modèle, et a adhéré aux mesures de contrôle : "On a eu des taux de guérison jamais atteints, avec trois cas sur quatre guéris. Il faut encore attendre pour affirmer que le virus a disparu, car le temps d’incubation est de 21 jours."
"La communication se limite désormais à quelques spots télé et radio"
Mohamed vit Conakry et travaille dans une banque.
Ce n’est pas étonnant que le virus revienne et que de nouveaux foyers apparaissent : la vigilance des gens a nettement baissé ici à Conakry. Pour moi, le gouvernement est en partie responsable de cela : dans les premiers temps de l’épidémie, la communication sur les gestes de prévention était très importante. Il y avait des messages à la télé, à la radio, des affiches, et même des personnes qui faisaient de la sensibilisation dans la rue. La communication se limite désormais à quelques spots audiovisuels. Cette situation m’inquiète, il faudrait redoubler d’efforts sur cet aspect.
"Certains pensent même que le virus était dans l’eau chlorée qu’on leur distribue"
Simon vit à Macenta. Diplômé de médecine, il travaille dans une association agricole et s’investit dans la sensibilisation des habitants au virus Ebola.
L’apparition de cas de virus Ebola dans la ville de Macenta il y a trois ou quatre semaines nous a obligé à renforcer la prévention, mais le travail est souvent complexe. Il y a eu des distributions d’eau chlorée et de savon en porte à porte, mais il faut faire tout un travail pédagogique pour que les gens acceptent de s’en servir, ils n’ont pas toujours confiance dans ce qu’on leur donne. Certains pensaient même que le virus était dans l’eau chlorée… On essaye par ailleurs d’expliquer aux gens comment traiter les déchets : beaucoup ont tendance à les jeter dans la rivière, ce qui augmente les risques de prolifération du virus. On explique comment trier les déchets, et la nécessité de faire des poubelles. Je vais également dans les vidéoclubs et les lieux de réunions publiques pour bien rappeler les précautions à prendre. Par ailleurs, la saison des pluies a provoqué des inondations dans la ville : il y a de l’eau stagnante, ce qui accroit les risques. Du coup, nous aménageons autant que possible des canaux pour évacuer cette eau.
"Le taux de croyance s’accroit, mais c’est un effort permanent"
Le docteur Kanivogui est médecin-vétérinaire à Nzérékoré
Il n’y a pas de cas dans ma vile, mais nous devons être d’autant plus vigilants et poursuivre la sensibilisation, car nous sommes dans une zone menacée. Le taux d’analphabétisme étant très élevé en Guinée, il faut expliquer aux gens que ce virus existe bien, qu’il est dangereux et peut arriver ici comme ailleurs. Certains ont du mal à le croire, pensent encore que c'est un mauvais sort et non un virus. Ce sont de vrais "Saint Thomas", ils veulent le voir pour le croire. Le taux de croyance s’accroît, mais c’est un effort permanent, il ne faut pas relâcher nos efforts.
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