Un Garde des Sceaux qui démarre mal
- Par Administrateur ANG
- Le 14/03/2014 à 22:18
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Le nouveau Ministre de la Justice s'extasie immodérément au sujet des réformes qu'il est en train d'engager. C'est un peu présomptueux de sa part, au vu des dossiers qu'il a laissés de côté, ce qui n'augure rien de bon pour l'avenir.
Rappel sommaire sur le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM)
La loi organique n°91/10/CTRN du 23 Décembre 1991 portant création du CSM, a été remplacée de fait par l'article 112 de la Constitution du 7 Mai 2010, complétée par la loi organique n°55, promulguée le 17 Mai 2013. Le 10 Mars dernier, des élections ont eu lieu pour compléter les membres du CSM.
Il était en effet nécessaire d'élire les six (6) magistrats qui font l'objet d'une élection en assemblée générale (AG) des cours d'appel : Kanté Fodé, Sall Kéléfa, Diawara Mamady, Sow Mohamed Chérif, Fernandez William et Hadjimalis Irène Marie.
Deux (2) magistrats de la Cour Suprême ont été élus en AG de ladite Cour : Sakoba Kourala Keita et Sylla Amadou (ce dernier en toute illégalité, voir ci-après).
Cinq (5) magistrats ont été désignés par leurs pairs, à savoir :
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un premier président de Cour d'appel : Amady Seck à Kankan,
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un procureur général près la Cour d'appel : Hassane Diallo à Conakry,
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un magistrat de l'administration centrale du ministère de la justice : El Hadj Mamadou Dian Souaré,
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un président de tribunal de première instance (TPI) : Seydou Keita à Kindia,
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et un procureur de la République : Mandjour Chérif près du TPI de Mafanco.
Enfin quatre (4) officiels sont membres de droit :
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le PRG est président du CSM,
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le Ministre de la justice est vice-président du CSM,
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le premier président de la Cour suprême (qui devient président du Conseil de discipline des magistrats),
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le procureur général près la Cour suprême.
Soit un total de dix sept (17) membres pour ce CSM.
Des élections peu formalistes (un comble !), mais aussi peu transparentes.
On se souvient de la protestation d'un juriste, Mohamed Camara, au sujet du formalisme de la « convocation » de magistrats par le Garde des Sceaux lui-même, ce qui n'est pas commun1.
On a par ailleurs peu d'informations sur ces différentes désignations (par leurs pairs ???), sachant que l'ancienne loi de 1991 prévoyait, que ces désignations nécessitaient la proposition (des candidatures) par le Bureau de la Cour Suprême. On n'aime pas tellement la transparence en Guinée, malgré les déclarations d'Alpha Condé. Pourtant si on n'a rien à cacher...
Yaya Boiro, premier président de la Cour d'appel de Conakry et membre du jury a précisé : « Nous avons organisé une AG qui a réuni l'ensemble des magistrats guinéens. Le seul point à l'ordre du jour portait sur l'élection et la désignation des magistrats qui doivent composer le CSM… Il y avait 19 candidats, 221 électeurs inscrits dont 183 votants ».
Où est la distinction entre élection et désignation ?
Enfin le nouveau Ministre Cheick Sacko a profité d'une rencontre avec la presse en marge de l'élection du CSM, pour répondre au député UFDG Ousmane Diallo (de la circonscription électorale de Gaoual), qui lui avait écrit2, pour lui demander ce qu'il comptait faire pour que justice soit rendue aux victimes de l'histoire récente du pays, particulièrement celles du massacre du 28 Septembre 2009.
Apparemment le Ministre s'est offusqué du fait que le député de l'opposition ait rendu son courrier public – notamment sur des sites Internet - , lui répondant que « toutes les personnes impliquées dans le massacre du 28 Septembre seront auditionnées par les magistrats instructeurs ».
On rappelle que la justice est un Service public, au service du public. Par ailleurs le courrier ne concerne pas des affaires privées. Curieuse réaction !!! A t-il peur d'être pris au mot ?
Un Garde des sceaux peu regardant
Le Garde des sceaux a rappelé qu'un État de droit est le garant de la stabilité, de la sécurité et du progrès socio-économique. Et de marteler : « Nous avons des magistrats valeureux dans ce pays, ça mérite d'être dit, n'en déplaise à certains. Les brebis galeuses, on va s'en occuper ».
Déclaration de principe certes, mais il existe néanmoins trois problèmes majeurs :
Les nominations illégales de magistrats à la cour Suprême
Selon l'article 109 de la Constitution : « les magistrats du siège, du parquet et de l'administration centrale de la justice sont nommés et affectés par le président de la République, sur proposition du ministre de la justice, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Toute nomination ou affectation de magistrat sans l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature est nulle et de nul effet ».
On se souvient qu'en Août 2011, par décret présidentiel, il avait été procédé à la nomination d'un Conseiller à la Cour suprême (Zoumanigui Sidiki), en violation du fonctionnement de la Cour Suprême, dont le public ignorait la composition réelle, alors qu'il eût été nécessaire de vérifier la conformité de ce décret, aux articles 9 et 12 de la loi organique n°91/008/CTRN du 23 Décembre 1991 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême.
Par ailleurs la nomination en tant que telle, était contraire à l'article 109 précité, n'en déplaise à ceux qui vociféraient que le CSM existait... sur le papier.
De même, en Juin 2012, deux magistrats3 de la cour Suprême ont été révoqués en violation des articles 12 de la loi organique n°91/008/CTRN et 109 de la Constitution, précités.
Le non respect du Code de procédure pénale pour les militaires
La Ligue Guinéenne des Droits de l'Homme et la Fraternité des Prisons de Guinée, ont demandé récemment au ministre de la Justice, la libération « immédiate » des personnes incarcérées dans le dossier sur le pseudo-attentat de Juillet 2011.
Elles constatent en effet que « la durée de la détention préventive est contenue dans un délai qui, en l'espèce, est de 12 mois alors que depuis leur incarcération en Août 2011, il s'est écoulé au moins 30 mois ». En réalité le Code de procédure pénale permet de prolonger cette durée à 24 mois au maximum (sous conditions de l'article 142-2), mais même dans cette hypothèse, on a largement dépassé le délai légal. Je doute que le Garde des Sceaux l'ignore, d'autant qu'il a été interpellé par ces deux ONG.
Les cas William Fernandez et Mamadou Sylla
Tout le monde se souvient – sauf Alpha Condé apparemment – que ce procureur avait été reconnu au minimum comme complice de trafic de drogue. Devenir indirectement le chef de la police, chargé entre autres de poursuivre ses anciens complices, clients ou fournisseurs, ne va pas de soi. Mais c'est ça la Guinée d'Alpha Condé.
Par ailleurs grâce à la télédiffusion du procès du pseudo-attentat, les Guinéens ont pu découvrir son incompétence notoire, une véritable honte pour la justice guinéenne. Constater, non qu'il ait été désigné par ses pairs (on ignore les procédures concrètes ayant amené à celles-ci), mais élu, en dit long sur le fait que la justice guinéenne est une justice pourrie jusqu'à la moelle. On le savait déjà, car même les « juristes » de la Cour Suprême qui avaient été illégalement révoqués, n'ont même pas utilisé les moyens de droit pour se faire entendre, c'est tout dire.
Ce devra être la priorité de tout gouvernement digne de ce nom, attaché à l'état de droit de restructurer fondamentalement ce département.
Quant à Mamadou Sylla, non seulement il n'a pas réagi face aux nominations et révocations illégales de ses collègues, un comble alors qu'il est membre de droit du CSM, qui plus est, président du Conseil de discipline de ladite institution, mais on a vu par ailleurs son comportement scandaleux à l'occasion des recours concernant les législatives, l'UE dans le rapport de la Mission électorale ayant même reconnu un déni de justice.
Leur retraite anticipée serait un moindre mal, et on attend de voir ce que fera réellement le nouveau Garde des sceaux, puisqu'il rappelle qu'il peut saisir ipso facto le CSM quand un magistrat commet une faute dans l'exercice de son métier, on verra la suite qu'il donne. Pour la société civile, c'est beaucoup plus significatif que les déclarations présomptueuses, indiquant que « la Guinée a connu une véritable avancée dans le processus de la réforme de la justice ces derniers temps ».
De toute façon, puisque le CSM existe désormais, des citoyens organisés pourront également le saisir, en tant qu'organe disciplinaire des magistrats.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
1http://guineenews.org/2014/02/le-decret-dinstallation-du-conseil-national-de-la-magistrature-reaction-dun-juriste/
2http://guineeactu.info/debats-discussions/points-de-vue/4227-lettre-au-ministre-de-la-justice-et-garde-des-sceaux.html
3Mohamed Ali - alias Éric – Thiam et Paulette Kourouma, remplacés respectivement par Amadou Sylla et Geneviève Kourouma.
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