Transparence en Afrique
- Par Administrateur ANG
- Le 31/07/2013 à 00:42
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LE CERCLE. Retour sur l’article du Président guinéen Alpha Condé à propos de la nécessaire transparence en matière politique, économique et financière en Afrique.
Aujourd’hui, j’ai décidé de réagir à l’article du président de la République de la Guinée sur l’impératif de transparence de l’Afrique (paru dans le Cercle Les Échos le 13/06 dernier).
Non pas parce que je suis un spécialiste de l’économie guinéenne et de ses considérables ressources minières, mais tout simplement parce que je conserve un lien sentimental fort avec ce pays.
Je voudrais dans ce papier interpeler le Président de la République de Guinée sur 2 points : la transparence démocratique dans les faits ; la transparence économique dans les faits.
La transparence démocratique
Le président Alpha Condé ne peut qu’avoir raison lorsqu’il affirme : "le manque de transparence ronge le processus politique, compromet des principes de base démocratique et sape notre démocratie en évolution".
Alors pourquoi ne pas faire vivre tout simplement cette démocratie dans son propre pays puisque je crois savoir que l’opposition politique ne cesse de réclamer des élections législatives qui devaient avoir lieu en juin 2011, mais n'ont toujours pas eu lieu en ce mois de juillet 2013 dans un pays qui reste gouverné par décrets présidentiels.
Au-delà d’une véritable coopération économique à laquelle vous vous référez et sur laquelle l’on reviendra, permettez-moi d’insister sur le fait que la qualité des institutions reste une des conditions nécessaires, mais non suffisantes de la croissance et du développement. Cela passe par une réelle professionnalisation de la vie économique et surtout par sa dépolitisation.
Cela passe aussi par un apaisement des tensions sociales et ethniques. Ces tensions sont naturellement un handicap majeur à tout investissement étranger. En fait, les clivages ethniques entretenus en Guinée par les gouvernements successifs, les difficultés de vie liées à l'extrême pauvreté des couches populaires tant urbaines que rurales, le chômage massif des jeunes de moins de 25 ans (70 % de la population) et le refus de l'opposition de tout dialogue avec le pouvoir peuvent installer la République de Guinée dans des conflits sociaux et ethniques violents.
La transparence économique
Je ne peux également que souscrire aux propos du président Condé rompant enfin avec l’infantilisme et le misérabilisme primaires hérités du traumatisme colonial selon lesquels "ce qu'il nous faut maintenant, c'est le soutien des pays développés dans la construction d'un climat d'affaires global qui permet l’épanouissement de ceux qui respectent les règles, et la correction de ceux qui ne les respectent pas".
Oui, effectivement, la seule aide efficace dont devrait avoir besoin un pays en voie de développement, c’est celle qui consisterait à créer les conditions économiques de la croissance et du développement (fiscalité, code des investissements attractif et intelligent aussi bien pour l’investisseur étranger que pour le pays d’accueil). Oui, mais voilà là encore des paroles aux actes, comportements et réalités, il subsiste des décalages aussi malsains qu’indécents.
Depuis que je suis tout petit, j’entends parler des immenses potentiels miniers de la Guinée. C'est devenu d'ailleurs une antienne pour tous les dirigeants guinéens qui se sont succédé depuis 54 ans (pour le meilleur et surtout pour le pire) de répéter que leur pays est un "scandale géologique" en référence aux variétés des ressources potentielles minières.
Mais même pendant les années de très forte production de bauxite, ressource minière de référence, entre 1976 et 1982 avec des moyennes annuelles de plus de 10 millions de tonnes, aucun effet bénéfique notable n'est intervenu ni dans le niveau de vie des populations ni dans l'aménagement des zones géographiques des unités d'implantation de bauxite et d'alumine. En revanche, les cadres de ces secteurs et les dirigeants politiques se sont énormément enrichis dans l'opacité au cours de ces années, d’abord durant la dictature de Sékou Touré puis aussi et surtout comme vous le savez pendant la période de dictature militaire (1984-2009).
Alors naturellement, tout ceci c’était avant votre arrivée au pouvoir en novembre 2010 – si ma mémoire ne me fait défaut. Mais voilà votre discours sur la transparence souffre à mes yeux d’un réel déficit de crédibilité. Sans être un spécialiste de l’économie industrielle et minière – je ne suis que spécialiste des questions économiques et financières –, je crois me souvenir que les débuts de votre présidence ont été marqués par des contrats miniers signés en catimini et dans la précipitation.
Il aura fallu que la presse internationale spécialisée intervienne en mettant en avant un certain nombre d’incohérences pour que vous fassiez machine arrière en dénonçant certains de ces contrats (ce qui, au passage, était tout à votre honneur). Alors la reprise de nouveaux contrats a démarré avec la signature d'un décret en août 2011 portant création d'une Société de Patrimoine du Secteur Minier (Soguipam) et qui a commencé à fonctionner, me semble-t-il. Je ne suis pas pour autant convaincu que le potentiel minier du pays sera mieux exploité que ces 20 dernières années.
Ce que je note en tout cas, c’est que Rusal le producteur d'alumine est à l'arrêt. On se souviendra qu’il s’agissait de l’ex Compagnie Friguia (production d’alumine de la région de Fria) dont la production d’alumine se situait entre 185 000 et 690 000 tonnes entre 1960 et 1980 (qui furent pourtant parmi les années les plus sombres de l’histoire de la Guinée indépendante).
Alors me direz-vous, il faut sans doute donner du temps au temps. Peut-être, mais permettez moi de m’interroger.
En tout cas de la transparence, cher Président Condé, oui, mais montrez enfin l’exemple tant dans le cadre de la consolidation démocratique de votre pays que dans celui de la mise en place – certes dans la mesure de vos moyens – d’une politique économique cohérente et crédible.
Vous n’êtes malheureusement pas en matière de déficit d’exemplarité – ou heureusement suivant la façon dont l’on appréhende la question – une exception sur le continent africain et, si tant est que cela puisse soulager les dirigeants africains, les vieilles démocraties occidentales ont très peu de leçons à donner en la matière. Mais bon vous ne trouvez pas que l’on a déjà perdu beaucoup de temps en Afrique en général et surtout en Guinée en particulier.
Mory Doré
CONAKRY – En décembre 2010, j'ai été élu président de la République de Guinée dans les premières élections véritablement ouvertes et démocratiques de mon pays.
Lorsque je disais que j'avais hérité d'un pays, pas un état, notre économie était en ruine, notre peuple parmi les plus pauvres de la planète et notre système politique affaibli par des décennies de corruption, de dictature et de mauvaise gestion.
Il ne doit pas en être ainsi. La Guinée possède de vastes richesses minérales, les plus grandes réserves mondiales de bauxite et des gisements de fer, de haute qualité, non exploité.
Pour que la réalisation de ces actifs serve mieux tout notre peuple, plutôt que des sociétés minières et des politiciens sans scrupules, il va falloir faire face à la corruption profondément enracinée dans notre culture politique et dans des affaires. Ce chemin peut être très lent, et parfois dangereux car les défis ne sont pas les bienvenus pour des intérêts mal acquis.
Des acteurs rogues font un préjudice disproportionné dans un pays comme la Guinée, d’autant plus qu’ils ne le font dans les pays développés. Le manque de transparence et la corruption dans le monde des affaires ne signifient pas seulement le manque de concurrence et les taxes non rémunérées. Il ronge le processus politique, compromet des principes de base démocratique et sape notre démocratie en évolution. Il ralentit le changement et laisse la porte ouverte à la frustration et à un type de tension politique, et de violence regrettable qui a récemment attristé notre pays avec des décès tragiques.
Le samedi, je vais rejoindre David Cameron à Lancaster House à Londres pour la conférence du G8 sur le commerce, la transparence et les taxes. Le défi que la Guinée veut relever maintenant reflète l'ordre du jour de G8. Les pays du G8 veulent voir des entreprises multinationales s’exploiter par les règles du jeu, être plus transparentes sur la façon dont elles font des affaires et paient leurs taxes.
Alors, je m'interroge sur certaines des critiques que mon gouvernement reçoit lorsque nous insistons sur l'examen de la légalité des contrats miniers signés sous les régimes non démocratiques et militaires. Ces mêmes voix nous ont critiqués lorsque nous avons publié tous les contrats sur internet pour que le monde entier les voit.
Mais je ne vois pas d'avenir dans les affaires douteuses du passé. Notre population est jeune, 70% ont moins de 25 ans. Ils sont avides de changement et n'ont aucun intérêt à perpétuer la vieille culture de la corruption. Leur avenir est notre espoir et notre responsabilité.
Cet avenir sera construit sur des partenariats sains entre le gouvernement et le secteur privé, qui s’engage à renforcer la démocratie et la transparence, et qui permet l’utilisation de notre richesse en ressources pour réaliser des niveaux de vie plus élevés pour notre peuple.
Nous avons déjà fait beaucoup de progrès. La Guinée a signé l'Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE), avec le Royaume-Uni, la France, l'Australie, la Norvège et les Etats-Unis. Nous développons de nouveaux partenariats de long terme basés sur l'égalité avec des sociétés minières responsables, fournir un engagement à long terme pour créer des emplois et des avantages durables de long terme pour les deux.
Ce qu'il nous faut maintenant, c'est le soutien des pays développés dans la construction d'un climat d'affaires global qui permet l’épanouissement de ceux qui respectent les règles, et la correction de ceux qui ne les respectent pas. De nombreux centres financiers du monde permettent aux prédateurs de s’échapper. Ils utilisent des entités légales (entreprises offshores) pour masquer leur identité. Ils bouclent leurs finances grâce à des juridictions offshores. Ils utilisent des cabinets prestigieux d'avocats, comptables, conseillers financiers et des cabinets de relations publiques pour se donner un faux vernis de respectabilité.
Cela a créé un effet de serre pour la corruption qui constitue une menace mortelle pour l'Afrique. La Guinée va travailler étroitement avec le FBI des Etats-Unis, avec l'OFS de la Grande-Bretagne, et avec d'autres organismes d'application de la loi pour dénoncer et extirper la fraude et la corruption qui menacent l'intégrité des marchés mondiaux tout comme la démocratie africaine.
La Guinée apprécie l'aide que nous recevons de la part des pays développés. J'espère qu'ils comprennent quand je dis pendant que nous en avons besoin, que nous n'en voulons pas. Nous voyons notre programme anti-corruption comme étant à la fois pro-business et pro-développement. Nous ne voulons pas vivre aux dépens de la charité des autres, lorsque nos ressources peuvent nous rendre prospères, sains et forts.
Quand je vais rencontrer David Cameron, je ne vais pas lui demander de l'argent des contribuables britanniques. Je vais plutôt lui demander de continuer à faire preuve de leadership sur la transparence et la bonne gouvernance dans des affaires mondiales. Une bonne opération non seulement pour la Guinée, mais aussi pour la Grande-Bretagne et tout le monde.
Alpha Condé
Président de la République de Guinée
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