Trafics, sorcellerie… : la Guinée inquiète face à la recrudescence des enlèvements d’enfants

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Les enlèvements d'enfants semblent se multiplier ces derniers mois en Guinée, semant la crainte dans l’esprit de nombreux parents Le dernier cas en date est survenu dimanche 22 mai, à Bomboly, commune de Ratoma. Pris en charge par un taxi clandestin, huit enfants nés de deux frères se rendent à une cérémonie de mariage au quartier Koloma de Conakry, où leurs mères les attendent, quand le chauffeur actionne la fermeture automatique des vitres. Méfiante, une des jeunes filles demande à descendre.

« Le chauffeur tente alors de les asperger d’un gaz, mais ils crient et une fillette parvient à ouvrir une portière pour se jeter à terre avec son frère d’un an et trois mois. En tombant, elle s’est blessée légèrement et le nourrisson a eu le pied droit cassé », raconte leur père, Mamadou Alpha Bah. Alerté par ces événements, les riverains se lancent à la poursuite du véhicule qui s’est immobilisé plus loin. Cerné, le chauffeur et principal suspect, Bangaly Condé, 32 ans, échappe de justesse à la vindicte populaire. Son véhicule est incendié par une foule déchaînée et il ne doit la vie sauve qu’à l’intervention rapide de la gendarmerie.

Un proche parfois complice des kidnappeurs

La Brigade de recherches de Kipé, en banlieue nord de Conakry, après avoir bouclé les enquêtes préliminaires, a transmis le dossier au parquet du Tribunal de première instance de Dixinn. Selon le procureur de la République, Sidy Souleymane Ndiaye, le suspect a été placé sous mandat de dépôt une information judiciaire a été ouverte sur un cas qui est loin d’être exceptionnel.

De fait, l’Association guinéenne des assistantes sociales (Aguias), spécialisée dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, dénombre depuis le début 2016 déjà 25 cas d’enlèvements – et encore s’agit-il seulement de ceux qui ont été signalés au numéro vert de l’ONG (le 116). Trafic d’enfants liés à leur exploitation, y compris sexuelle, trafic d’organes, sorcellerie ? En l’absence de procès, d’enquêtes approfondies et de communication officielle sur le phénomène, toutes les pistes restent ouvertes.

Seules certaines affaires paraissent liées de manière évidentes à la sorcellerie, quand on retrouve un corps mutilé notamment. « Il y a deux mois, un enfant a été assassiné à Kagbélen (dans la préfecture de Dubréka, près de Conakry). On a enlevé son sexe, son nez et ses aisselles », explique la présidente de Aguias, Aïssatou Barry, pour qui « les complices des kidnappeurs sont généralement des proches : un voisin ou un membre de la famille… »

« L’enfant de ma propre tante, âgé de de 11 ans, a échappé à un enlèvement, poursuit-elle. Il a réussi à s’enfuir après avoir repris conscience alors qu’il était sur la route de Boffa. Souvent, les kidnappeurs se font passer pour des vendeurs de parfum. Dès que l’enfant respire l’odeur, il s’évanouit et perd connaissance ».

Le 18 avril dernier, Tiguidanké Damaro Camara, collégienne de 14 ans, a été confrontée au même scénario. Montée à 16h dans un taxi ordinaire à la sortie de son école, Sainte Marie de Dixinn, elle a eu le réflexe – étant asthmatique – de se boucher les narines pour ne pas respirer le « parfum » dont l’aspergeait son chauffeur.

« Il a dit qu’il faisait très chaud en se tournant vers son ami assis à l’avant, puis il a fait mine de se parfumer les aisselles, mais en réalité il pulvérisait les passagers derrière lui. L’odeur me fatiguait beaucoup mais j’ai simplement somnolé », explique la jeune-fille à Jeune Afrique.

Direction le Sierra Leone

Elle passe finalement dans un hangar où on la fait monter avec 22 autres enfants et une femme dans un mini-bus. Restée éveillée et reprenant vite toute sa lucidité, Tiguidanké est la seule à pouvoir s’échapper, vers 21h, en trompant la vigilance de ses ravisseurs qui s’approvisionnaient en carburant à Wonkifong, dans la préfecture de Coyah, à 50 km à l’est de Conakry.

« J’ai cassé les vitres à l’aide d’un morceau de bois qui était dans le véhicule. J’ai balancé mon sac et, la tête en avant, je me suis projetée dehors, aidée par le pompiste accouru à mon secours. Les ravisseurs ont démarré en trombe, emmenant les autres ».

Selon la description de la jeune-fille, les deux ravisseurs devaient respectivement avoir environ 30 et 40 ans. Le chauffeur, le plus âgé, était de teint clair. Il répondait en anglais quand son ami, de teint foncé, lui parlait en français. Ils suivaient en continu les informations à la radio et étaient régulièrement au téléphone avec des complices à qui ils semblaient indiquer leur position… et leur destination : le Sierra Leone.

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Que fait la police ?

En plus des services de sécurité ordinaire de la police et de la gendarmerie, deux structures sont spécialisées dans la protection des mineurs : l’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs (Oprogem), et la Division de protection des enfants et du genre. La première est rattachée à la police et la seconde à la gendarmerie. La rivalité entre ces deux corps, selon des sources sécuritaires, nuirait à leur bonne coordination. Mais pour le directeur de l’Oprogem, le commissaire Fanta Oulen Bakary Camara, c’est surtout le manque de moyens de ses services et l’absence de vigilance de la société qu’il faut pointer du doigt. « Nous irons bientôt dans les écoles pour sensibiliser les enfants à ne pas suivre des inconnus », dit-il.

Diawo Barry

Source: jeune afrique

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