Risques de conflit éthno-politique en Guinée sur fond de campagne présidentielle
- Par Administrateur ANG
- Le 28/04/2015 à 07:43
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Les manifestations des deux dernières semaines ont fait quatre morts et de nombreux blessés. Le président sortant, Alpha Condé, est accusé de tribaliser son discours pour se faire réélire.
Les faits – Depuis plusieurs mois, la Guinée vit au rythme des grèves, journées « ville morte » et manifestations de l’opposition contre le pouvoir du président Alpha Condé sur fond de rivalités communautaires entre Peuls et Malinkés. La jeune et fragile démocratie d’Afrique de l’Ouest est en danger à l’approche de l’élection présidentielle du mois d’octobre. Très inquiets, les diplomates européens à Conakry appelent les acteurs politiques à la retenue et au dialogue.
« Nous n’avons pas souhaité avoir recours à la rue mais c’est la seule manière d’amener le pouvoir à respecter ses engagements alors que la confiance ne règne plus », explique Cellou Dalein Diallo, 63 ans, patron de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). A la résidence du leader de l’opposition dans la commune de Dixinn à Conakry, les militants exhibent les photos de leurs camarades agressés par les forces de l’ordre. En ce 22 avril, l’heure est à la mobilisation. Les cadres de la formation et alliés politiques défilent pour recevoir les dernières consignes avant la grande journée de manifestation nationale du lendemain. « J’ai le soutien de la population, assure le leader de l’UFDG. Alpha Condé a cherché à monter les autres ethnies du pays contre les Peuls [NDLR : Diallo est lui-même peul], a tribalisé le discours politique et a fissuré le tissu social sans résoudre les problèmes des Guinéens. »
Depuis des mois, le combat politique prend une dimension ethnique. L’UFDG et le Rassemblement du peuple Guinéen (RPG), parti d’Alpha Condé, mobilisent respectivement les deux principales communautés du pays, les Peuls et les Malinkés. Enjeu : la victoire à la présidentielle prévue en octobre prochain. L’opposition rejette ce calendrier électoral et souhaite au préalable la tenue des élections locales, le mandat des élus ayant expiré en 2010. Dans certaines régions, le pouvoir a désigné des administrateurs que l’opposition accuse d’avoir manipulé les législatives de 2013. Pour l’instant, le président guinéen reste inflexible. Ses mouvements de soutien sont déjà en campagne. A Conakry, ils ont monté à chaque artère de la ville des calicots aux slogans victorieux : « Y a pas match », « un coup KO », « Après lui, c’est lui ».
Des messages qui rappellent ceux utilisées par le Front populaire ivoirien (FPI, parti de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo) lors de la campagne présidentielle ivoirienne de 2010. Alpha Condé, 77 ans, est, comme son camarade et ami socialiste ivoirien, un opposant historique passé par la case prison. Lui aussi est très sourcilleux sur les questions de souveraineté. Alors que la communauté internationale appelle au dialogue avec l’opposition et propose sa médiation, il exclut toute implication étrangère dans le processus électoral hormis le financement et l’observation du scrutin.
« On part pour six mois de turbulences politiques, prédit Moustapha Naïté, le ministre de la Jeunesse, étoile montante du RPG. Le leader de l’opposition joue son va-tout pour ce qui devrait être son dernier combat politique. » Les caciques du régime Condé dénoncent l’instrumentalisation d’une jeunesse désœuvrée et contestataire qui pense pouvoir faire et défaire les dirigeants du pays depuis le décès de l’ex-président Lansana Conté, en 2008, après 24 années de règne.
Dans cette jeune démocratie, l’armée a assuré la transition politique de 2008 à 2010. Composée essentiellement de Malinkés, Soussous et autres ethnies de la Guinée forestière, elle a joué un jeu trouble lors de la présidentielle de 2010. Arrivé en tête du premier tour avec 44 % des voix contre 18 % à Alpha Condé, Cellou Diallo estime s’être fait voler sa victoire, le second tour n’ayant été organisé que quatre mois plus tard. Son adversaire a rattrapé in fine son retard pour le dépasser sur le fil. En 2013, les législatives ont une nouvelle fois été contestées par l’opposition qui a décidé d’engager le bras de fer. « Nous avons épuisé les voies du dialogue et la communauté internationale ne s’est pas montrée assez ferme pour faire entendre raison au pouvoir qui nous emmène à une présidentielle truquée », soutient Cellou Dalein Diallo.
Ces deux dernières semaines, les affrontements entre militants et forces de l’ordre, dont certains éléments tirent à balles réelles, ont fait cinq morts qui viennent s’ajouter à la soixantaine de décès enregistrés depuis 2010. En provoquant un pouvoir répressif sourd à ses revendications, l’opposition tente de rallier la communauté internationale à sa cause.
« L’opposition fait du terrorisme politique en instrumentalisant les jeunes de 15 ans qui n’ont aucune conscience des enjeux, n’ont pas l’âge de voter et marche pourtant pour une révision de l’agenda électoral », déplore le ministre de la Jeunesse. L’épicentre de ce combat se déroule à Conakry autour de « L’Axe », une zone déshéritée du nord de la capitale, habitée par les Peuls.
Dans ces quartiers pauvres où l’Etat a démissionné, les gangs au nom de Blood boys, Communauté Ona, Guetho mafia, Big Union, Zacko ou encore Wu-tang clan, font régner leur loi. Les jeunes y vivent de petits boulots et de divers trafics. A chaque manifestation, ils prennent diverses drogues (amphétamines, valium, marijuana…) pour se donner du courage. Ils brûlent des pneus, bloquent les carrefours, empêchent les habitants de circuler. Conscients de leurs forces, les chefs de ces gangs monnayent leur militantisme. Ils se disent payés par l’opposition pour prendre la rue quand le pouvoir cherche, via les commerçants, à acheter la paix sociale. La politique est devenue un vrai business dans ce jeu politique malsain aux destinées macabres.
Par Pascal Airault
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