Retour du capitaine Dadis Camara : Un cadeau juridiquement et politiquement empoisonné
- Par Administrateur ANG
- Le 11/04/2013 à 17:46
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« Attention : la première publication de cet article date du 13 février 2011 à 9h14 sur leguepard.net et d'autres sites internet guinéens. Son authenticité peut être vérifiée en écrivant le titre dans les moteurs de recherche sur internet. Il nous semble opportun de l'afficher de nouveau sans rien rajouter ou retranché ». Bonne lecture.
Le Président Alpha Condé ne finira-t-il pas d'entamer le capital de confiance que certains Guinéens lui accordent avant les cent jours de sa présidence ? Tout laisse à croire que le président Condé n'a pas pris la mesure de l'hostilité de la majorité des Guinéens à la survivance de l'impunité.
Lors de sa visite d'Etat à Ouagadougou en date du 23 janvier 2011, le président Alpha Condé avait dit que rien n'empêchait le capitaine M.Dadis Camara de se retourner en Guinée, avant que la presse ne nous informe qu'il aurait promis l'amnistie, d'autres encore ont parlé de grâce présidentielle au capitaine Dadis Camara.
Que cette information soit exacte ou pas, son éventualité suffit pour qu'on se penche sur l'analyse de ses conséquences probables qui peuvent être à la fois juridiques et politiques.
Conséquences juridiques :
Juridiquement, le cadeau présidentiel qui serait fait à Dadis est empoisonné. Cette allégation se vérifie en se référant à la qualification de crime contre l'humanité dont est accusé l'ex-chef de la junte. Ce crime étant l'un des crimes internationaux entrant dans le champ de compétence de la cour pénale internationale, toute volonté politique tendant à assurer l'impunité aux auteurs présumés des massacres et viols du 28 septembre 2009 sera un élément déclencheur de la compétence de la CPI, étant donné que les relations de la CPI et les juridictions internes sont régies par le principe de subsidiarité sur le fondement duquel la défaillance volontaire ou involontaire des juridictions internes déclenche automatiquement la compétence de la CPI. Comme vous pouvez l'imaginer, un éventuel retour de M. Dadis Camara non suivi de poursuite judiciaire sera analysé par la CPI comme une volonté manifeste des autorités guinéennes d'assurer l'impunité aux auteurs présumés de la tragédie du 28 septembre 2009, fait qui pourrait précipiter la prise en main de cette affaire par la CPI sans que cette dernière n'attende l'épuisement du délai d'observation habituel de trois ans servant à évaluer la bonne ou mauvaise volonté des juridictions internes au sujet des poursuites des crimes internationaux.
Il me semble important de dire un mot sur ce que certains journalistes ont rapporté à savoir, une promesse d'amnistie ou de grâce que le président Alpha Condé aurait faite à M. Dadis Camara. La nouvelle constitution guinéenne en son article 49 dispose ce qui suit : « Le Président de la République exerce le droit de grâce ». Mais, il est évident que l'exercice de ce droit est conditionné (décision juridictionnelle définitive) et son champ d'application n'est pas illimité. L'exercice du droit de grâce présidentiel ne s'applique que sur des décisions de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée, c'est-à-dire, une décision définitive insusceptible d'aucune voie légale de recours. Ce qui précède nous renvoie à l'article 9 de la nouvelle constitution guinéenne qui dispose que : « Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'une procédure conforme à la loi ». Conformément à cet article, M. Dadis Camara et ses co-accusés restent présumés innocents jusqu'à ce que la justice nationale ou internationale(CPI) établisse leur culpabilité. De ce fait, ils sont hors champ d'application du droit de grâce présidentielle car un innocent n'a pas besoin de grâce ou de pardon.
Plus important, est de savoir que le droit de grâce présidentielle est inopérant en matière de crimes internationaux tels que le crime contre l'humanité. En ratifiant le statut de Rome portant création de la cour pénale internationale, les pays ont renoncé à une partie de leur souveraineté juridictionnelle, ce qui permet à la justice internationale de se substituer à eux en cas de défaillance, sans faire abstraction sur le fait que l'article 27 du statut de Rome fait échec à tout privilège de juridiction, d'immunité ou autres faveurs pouvant s'attacher à la qualité d'officiel : de chef d'Etat, chef de gouvernement entre autres.
Quant à l'amnistie dont certains parlent, il faut savoir qu'elle ne fait pas partie des pouvoirs propres du président de la République. Elle relève de la compétence du parlement. Toutefois, il est important de rappeler que les crimes internationaux ne peuvent faire l'objet d'amnistie du fait entre autres du renoncement des pays partie au statut de Rome à leur souveraineté juridictionnelle en matière de crimes internationaux. Ce qu'il faut retenir du mécanisme de l'amnistie, c'est qu'il consiste à ôter rétroactivement le caractère délictuel aux faits concernés qui étaient délictueux au moment de leur commission. Les crimes internationaux étant définis et leur sanction prévue par une convention internationale (statut de Rome), les législateurs d'un pays ne peuvent leur ôter le caractère délictuel car, ces crimes se situent hors champ de leur compétence qui reste nationale et non internationale. De ce qui précède, il est facilement compréhensible que toute promesse présidentielle de grâce ou d'amnistie au bénéfice des auteurs présumés des crimes du 28 septembre ne sera que manœuvre politicienne et tromperie, sans aucune pertinence légale nationale ou internationale.
C'est ce qui nous fait dire que le retour immédiat du capitaine Dadis Camara est un cadeau empoisonné car, il sera de nature à accélérer sa poursuite par la cour pénale internationale pour motif de défaillance de la justice guinéenne.
Conséquences politiques :
Le retour éventuel du Capitaine Dadis Camara en Guinée non suivi de poursuite judiciaire peut engendrer des conséquences politiques et sociales particulièrement néfastes pour les Guinéens, mais surtout pour le Président Alpha Condé. Il n'est de secret pour personne qu'une colère noire habite la majorité des Guinéens du fait par par le Président Alpha Condé d'accordé une prime exceptionnelle à l'impunité en Guinée. Dans son gouvernement, une place de choix est accordée aux ennemis de la démocratie et à ceux qui sont accusés par la commission d'enquête des Nations Unies comme étant les auteurs et commanditaires des massacres et des viols du 28 septembre 2009. Certains ministres en exercice sont ceux que la communauté internationale ne souhaitait pas voir dans le gouvernement de la transition. On se demande les raisons de leur présence dans un gouvernement qui est et reste le fruit des combats contre la dictature militaire et pour la démocratie en Guinée ?
Bon nombre de Guinéens qui se sont battus pour la démocratie et contre l'impunité en Guinée se sentent humiliés et se voient nargués par certains ministres pro-CNDD encore en exercice, qui ont tout fait pour le maintien de la dictature en Guinée. Un ministre d'Etat du gouvernement Alpha Condé avait même nié les massacres et viols du 28 septembre 2009 par le biais des médias nationaux et internationaux avant de former une délégation qui s'était rendue à Ouagadougou avec pour objectif de faire échec à l'accord sur la transition démocratique en Guinée. Voir ce dernier prospérer sur le fruit de la lutte des martyrs sur les cadavres desquels il crachait est une situation difficile à digérer pour la majorité des Guinéens surtout venant de celui qui se disait opposant historique et allergique à la compromission.
Les Guinéens ont vu le retour en force de ceux qui ont saboté les institutions de la République de multiples manières telles que des usurpations des pouvoirs présidentiels accompagnées de faux décrets et contre décrets facilitées par la maladie du feu Président Lansana Conté.
Tous ces constats ont fini par irriter les Guinéens qui n'attendent plus qu'un signal pour demander des comptes. Ce signal peut être le retour du Capitaine Dadis Camara non suivi de poursuite judiciaire. Les Guinéens de l'intérieur comme de l'extérieur n'accepteront jamais que le Président Alpha Condé tente d'accorder l'impunité aux auteurs des crimes contre les artisans de la démocratisation de notre pays. Cette éventualité sera de nature à laisser place à d'autres tragédies humaines. Interrogé sur le cas de Dadis Camara par France 24, le Président parlait de pardon.
Si son accession à la magistrature suprême constitue l'aboutissement heureux de toutes ses préoccupations, il n'en est pas de même pour des milliers de victimes et leurs familles qui n'ont autres préoccupations que de voir la justice donner un sens à la disparition de nos martyrs à savoir, la fin de l'impunité en Guinée qui passe forcement par la soumission des criminels à la rigueur de la loi. Les massacres et viols du 28 septembre 2009 ne sont que les conséquences directes de l'impunité dont ont bénéficié les auteurs des massacres de janvier et février 2007.
Si on se réfère à l'exemple de la Serbie, la communauté internationale pourra conditionner son aide et sa coopération avec la Guinée au transfèrement du Capitaine Dadis Camara et ses co-accusés devant la cour pénale internationale si toutefois le Président Alpha Condé tente de les soustraire à la justice. Situation qui ne lui laissera que deux choix : protéger les présumés criminels et subir les sanctions politiques et économiques de la communauté internationale, ou les livrer à la CPI avec pour conséquence d'être vu par les partisans de Dadis Camara comme celui qui les aurait livré à la CPI. Raison pour laquelle nous pensons que le retour de l'ancien Chef de la junte est un cadeau juridiquement et politiquement empoisonné pour lui-même, mais aussi pour le président Alpha Condé.
Dans ce régime du président Alpha Condé ou les bourreaux d'hier sont bien récompensés, on se demande toujours quant au sort qui sera réservé aux familles des martyrs dont les sacrifices ultimes ont permis au professeur Alpha Condé de se retrouver là où il est aujourd'hui.
Makanera Ibrahima Sory Juriste
Directeur de publication du site leguepard.net
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