Règlements de compte à Siguiri : où est passé l’État guinéen ?
- Par Administrateur ANG
- Le 15/06/2014 à 19:17
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Rien ne va plus dans la ville de Siguiri, dans l’extrême est de la Guinée Conakry. Depuis jeudi dernier, les partisans de deux candidats à la mairie se rendent coup pour coup : tabassages des militants, locaux saccagés… tout les coups sont permis dans une ville où l’État semble aux abonnés absents.
Siguiri est une ville d’environ 30 000 habitants qui n’a plus de maire depuis huit mois. L’ancien élu, Nanamoudou Magassouba, décédé en novembre 2013, a laissé le poste vacant. Pour lui succéder, deux candidats issus d’un même parti, le Rassemblement pour la Guinée-Arc-en-ciel (RPG), parti du président guinéen Alpha Condé, s’opposaient : Yamoussa Sylla, le candidat officiel du parti, et Aboubacar Sidiki Traoré, candidat dissident.
Après un conseil municipal spécial, c’est le candidat dissident Aboubacar Sidiki Traoré qui a été élu maire le 19 mai. Mais depuis, il n’a toujours pas pris ses fonctions, victime de menaces de la part de représentants de son propre parti, le RPG, qui lui reprochent son implication passée dans le parti rival, le Parti de l’unité et du progrès (PUP) de l’ancien président guinéen Lansana Conté.
Depuis, des affrontements entre les supporters de Aboubacar Sidiki Traoré et des représentants de la jeunesse du RPG (Association de la jeunesse pour Siguiri - AJPS) éclatent régulièrement. Entre autres exemples, cette vidéo du tabassage d’un supporter du nouveau maire par des militants de l’AJPS.
Dino Mory travaille pour une radio communautaire à Siguiri.
La victime s’appelle Blasco Magassouba, il est très connu à Siguiri parce qu’il arpentait la ville pour expliquer aux habitants pourquoi Aboubacar Sidiki Traoré devait rester maire. Jeudi, des membres de l’Association de la jeunesse de Siguiri, opposés à sa nomination, sont venus à son domicile. Ils l’ont forcé à les suivre dans la brousse en disant que sinon, ils casseraient sa maison. Puis ils l’ont déshabillé, roué de coups, et fouetté avec des ceintures. Après cette scène, ils l’ont remis à la police de Siguiri en affirmant qu’il avait une arme chez lui et qu’il préparait une rébellion. La police a mené ses investigations mais n’a rien trouvé.
Pourtant, dimanche soir, ce militant n’était toujours pas libre. Pour protester contre cette arrestation, des supporters du maire élu ont saccagé lundi matin les locaux du RPG et du parti des jeunes en mettant le feu à tout ce qu’ils ont trouvé. Ils réclamaient la démission du préfet local mais aussi du député de Siguiri [Sékou Savané] qu’ils estiment être à l’origine des blocages [contacté par FRANCE 24, Sékou Savané estime que le nouveau maire n’a 'aucune légitimité' et indique ne pas être au courant des violences contre le militant].
Depuis jeudi, j’ai vu beaucoup de membres du parti local des jeunes du RPG s’échanger cette vidéo et se vanter d’avoir tabassé ce qu’ils appelaient un ‘mouton noir’. Ils avaient l’air déterminé à en retrouver d’autres et à régler leurs comptes.
Le militant a finalement été relâché mardi par la police, et trois ministres guinéens se sont rendus à Siguiri mercredi pour trouver une issue au conflit. Contacté par FRANCE 24, le maire élu Aboubacar Sidiki Traoré 'regrette que ses militants aient saccagé des locaux politiques' mais rappelle que "le souhait de la population [de Siguiri] est [qu’il] reste en place".
Siguiri est considérée comme le fief du RPG, où, depuis 1993, le parti du président Alpha Condé récolte entre 80 et 90 % des voix toutes élections confondues. Mais, comme dans l’ensemble de la Guinée Conakry, aucune élection municipale n’a été organisée depuis 2005. Celles-ci devaient être fixées pour le premier semestre 2014, mais n’ont toujours pas eu lieu. Une situation dénoncée cette semaine par l’opposition guinéenne qui menace de redescendre dans la rue comme en aout 2013, si le calendrier n’est pas respecté.
Si les institutions avaient été respectées, Aboubacar Sidiki Traoré, qui est vice-maire de Siguiri, aurait dû être nommé. Mais les membres du RPG ne pouvaient pas accepter qu’un ancien membre du parti PUP, de Lansana Conté, soit maire à Siguiri. Lansana Conté était l’ennemi juré d’Alpha Condé, le nouveau président. Ils ont profité du flou autour de l’organisation d’élections municipales dans tous le pays pour imposer leur loi.
Ce qu’il se passe à Siguiri montre la faiblesse des institutions guinéennes : le maire est mort, et les procédures pour désigner le successeur sont modifiables à la guise des hommes politiques locaux. Même des partisans d’un même parti sont capables de se faire la guerre pour accéder au pouvoir ! Ça me désole : j’ai toujours vécu à Siguiri, et je n’ai jamais pu élire mon maire.
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