Présidentielle guinéenne : attention, la quiétude nous quitte !

Sans mérite particulier, j’avais prévu que Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé seraient les deux finalistes de l’actuelle présidentielle. Le prochain président sera donc l’un ou l’autre si le processus électoral se poursuit jusqu’à son terme. Le vote a été massif ; j’ajoute qu’il a été aussi machiste, l’unique candidate Daraba ayant été ignorée. 

Cependant, l’inquiétude demeure. Dans une émission de la BBC diffusée une semaine avant le 1er tour de la présidentielle, j’avais exprimé des doutes sur la fiabilité du dispositif mis en place par la Commission Electorale Nationale Indépendante. On parle de participation massive qui serait entachée de fraude massive

Je crois plutôt à une manipulation massive assortie de termes belliqueux : cartouches, choc, assaut, bataille, siège, mobilisation, etc. Serions-nous en guerre ? Même chez les rescapés du 1er tour, chacun s’estime victime de fraude. 

Ainsi des partisans de Cellou  pensent que leur candidat a remporté la victoire dès le 1er tour. Ceux d’Alpha restent persuadés qu’il a écrasé tous ses adversaires d’une simple formalité. Des impossibilités mathématiques ! On ne devrait pas se montrer inquiet lorsqu’on estime disposer de réserves éléphantesques dès lors que les compteurs seront obligatoirement remis à zéro pour le second tour.

Y a-t-il eu fraude ? J’incline à croire que oui sans pouvoir en mesurer l’importance car même les élections dans les vieilles démocraties qu’on juge habituellement parfaites contiennent une certaine dose de fraude. Pour le cas présent, c’est l’ampleur accordée à cette fraude qui me semble exagérée. Les Guinéens, souvent divisés, se sont spécialisés en multiplication de toute sorte. Ainsi, un certain commerçant aurait confectionné un million de cartes d’électeurs (je me demande comment il aurait procédé pour les photos !) et aurait proposé 50 millions de dollars au Général Konaté (avec un dixième de ce montant on pourrait s’accommoder de n’importe quel vainqueur pour investir !). Un autre, également commerçant, aurait acheté le président de la CENI pour une valeur en liquide de 3 milliards de francs guinéens, sans compter les voitures 4X4, élevant ainsi les mensonges auxquels nous sommes coutumiers à la puissance 16 ! Dans un pays qui aurait pu être fantastique, des compatriotes fantaisistes allèguent que des électeurs se sont rendus aux bureaux de vote les chaussettes remplies de milliers de faux bulletins. Quand on connaît la taille des bulletins de vote rappelant par ses dimensions les feuilles du lugubre journal « Horoya », je me demande comment ces tricheurs auraient pu marcher ! Mentez, mentez, il en restera peut-être quelque chose à commenter en Guinée. 

Quelles que soient les fraudes constatées ou amplifiées parce que supposées, je pense qu’avec la présente élection, la Guinée se dirige quand même vers la démocratie. Il suffit qu’il y ait des élections régulières. Après des fraudes dites « massives », on passera à de petites fraudes pour arriver finalement à des fraudes « acceptables » parce que tout simplement indétectables. Il n’y a pas de zéro faute dans une élection nationale.

Si nous voulons vraiment que la démocratie s’enracine chez nous, nous devons très prochainement revoir nos listes électorales. Les Guinéens à l’extérieur sont scandaleusement sous représentés dans ces listes. A l’intérieur du pays, la base est faussée faute d’égalité de traitement à l’égard des citoyens. Des enfants auraient même été recensés, non pour des prestations familiales mais en qualité d’électeurs ! La place d’un bébé n’est-elle pas plus dans un berceau que dans une liste électorale ? 

Au demeurant, je pense que pour le second tour, les deux candidats en lice doivent faire preuve de responsabilité et de retenue en calmant leurs extrémistes respectifs. Ils ne sont qu’adversaires et non ennemis. Quoi qu’il en soit, personne ne se laissera intimider ! J’aurais bien souhaité un débat télévisé entre eux pour mieux comprendre leurs projets de société. Mais tout compte fait, est-ce vraiment nécessaire ? Que peuvent-ils nous dire de plus que ce qu’ils nous ont déjà laissé entendre ? Un débat enflammé pourrait entraîner des dérapages verbaux douteux au contenu inflammable. Je ne vois même plus la nécessité de meeting qui donnerait l’occasion à des provocateurs de semer des troubles.

A propos d’éventuels troubles, je me demande d’ailleurs à quoi joue en ce moment Sydia Touré. Ce mauvais perdant aurait-il perdu raison ? Battu dans les urnes après avoir été bastonné au Stade du 28 septembre, l’ancien PM qui oscille entre sel et savon (à ne considérer que comme produits de consommation courante permettant de ne pas manger fade tout en restant propre) semble plus productif en matière agricole que persuasif sur le plan politique. Il pourrait, par une farce peu républicaine, donner à la junte le prétexte espéré pour conserver le pouvoir, au motif que le pays n’est pas  encore suffisamment sécurisé. Un processus même bien engagé n’est pas à l’abri d’une interruption volontaire (cas de l’Algérie avec le Front Islamique du Salut ou du Nigeria avec Moshood Abiola).

En effet, dans le jeu politique actuel, l’armée joue et arbitre en même temps. Sinon comment expliquer la fébrilité martiale du Général Sékouba Konaté qui l’a conduit à s’ « auto grader » ? Voici du jamais vu dans ce monde à l’envers : un chef d’état-major de l’armée qui accorde une promotion militaire à son patron cumulant les fonctions de chef d’Etat (pour l’intérim) et de ministre de la défense ! Sékouba vient de commettre une erreur dégradante. Quand on se lève le matin, on ne se dit pas bonjour ; c’est aux autres de vous saluer. Il revenait au prochain président de la république de remercier, au nom de la nation, le Général Sékouba Konaté pour des services rendus. Ce dernier vient, par maladresse, de casser le bâton de maréchal que certains proposaient prématurément de lui accorder. 

Pour revenir à la présidentielle proprement dite, j’espère que la CENI va tirer les leçons des couacs constatés : bourrages d’urnes, rétention de cartes d’électeurs, difficultés inadmissibles de centralisation des données, retard volontaire dans la proclamation des résultats, etc. Il faudrait absolument que dans chaque bureau de vote il y ait des représentants de chacun des deux candidats. Aucun d’eux ne doit être bourré afin d’assurer qu’aucune urne n’est bourrée à l’avance. Pour les électeurs handicapés, non voyants ou illettrés, il faudra exceptionnellement les accompagner dans l’isoloir où ils exprimeront leur choix devant deux représentants (un pour chaque candidat). A la fermeture d’un bureau de vote, il faut immédiatement compter les suffrages exprimés et transmettre rapidement le résultat.

Quel que soit le futur vainqueur, la Guinée ne sera pas pour autant paradisiaque comme le promettent ses partisans ; elle ne sera pas non plus dans l’enfer prédit par ses détracteurs. Elle sera simplement dans la bonne voie pour se construire.

Nous sommes un des rares pays au monde, à l’exemple du Togo, du Gabon (où sévit un autre détestable PDG, moins sanguinaire mais tout aussi clanique) ou de la Libye à n’avoir encore jamais eu d’ancien président de la république en vie. Sur ce point, j’envie le Mali voisin qui a, lui, d’autres Moussa et Alpha (respectivement Traoré et Oumar Konaré bien sûr !), le Sénégal qui a encore le respecté Abdou Diouf et même la Mauritanie aux « Ould » innombrables ! Est-ce l’effet plus corrosif de l’usure du pouvoir excessif dans un Etat sans droit qui explique cette singularité peu enviable ? Je vous laisse le soin de méditer là-dessus. 

Je vous salue tout en vous promettant de revenir sur l’ensemble de cette élection, quel qu’en soit le vainqueur, certains des 24 candidats au départ ne valant pas, sur le plan de l’intelligence politique, mieux qu’un bœuf de labour !

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