Présidentielle en Guinée : vote, dépouillement... Comment s'est déroulé le scrutin ?

Sans titre1 1La Guinée vit au rythme de l’élection présidentielle. Le premier tour s’est déroulé le dimanche 18 octobre 2020, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao) ont jugé que le scrutin s’est déroulé de façon régulière. Alors que le principal opposant à Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, s’est autoproclamé vainqueur, les deux instances appellent les candidats à la retenue avant la proclamation des résultats. Retour sur les conditions de ce vote avec François Tolno, coordinateur national de Wanep, le réseau ouest-africain pour la consolidation de la paix.

Wanep a été fondé en 1998 en réponse aux conflits qui ont agité la région à cette époque. Wanep est présent dans les 15 pays ouest-africains et travaille en Guinée sur la prévention, la gestion des conflits et la consolidation de la paix.

TV5Monde : Comment s’est déroulé le scrutin ?

François Tolno : Nous avons déployé 310 observateurs sur le terrain. Nous avons mis en place une cellule de veille électorale. Globalement, l’élection s’est déroulée dans le calme, les populations sont allées massivement voter.

Dans les bureaux de vote où nous étions, nous avons constaté quelques incidents mineurs. Par exemple, il y a eu des pratiques diverses d’intimidation. Nous avons ainsi noté la présence d’un groupe de féticheurs traditionnels dans le bureau 4 à Dandaya (dans la commune de Faranah située sur les rives du Niger, au centre du pays). Nous avons également constaté des altercations entre un électeur et les membres du bureau de vote, dues à la lenteur du processus. Par endroit, les électeurs étaient quelque peu impatients et cela a créé des troubles. C’était le cas dans le bureau de vote numéro 2 de la sous-préfecture de Lynsan. 

Nous avons aussi noté le refus de l’accès de nos observateurs à certains bureaux de vote, par certains chefs de quartiers; ou le président du bureau de vote qui refusait l’accès à nos observateurs. Cela a été le cas du bureau de vote numéro 2 à Coyah (à l'ouest du pays).

Sur la base des bureaux de vote que nous avons couverts, nous avons constaté aussi des insuffisances dans le nombre de bulletins de vote fournis par rapport au nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale. Cela s’est produit dans le bureau numéro 7 à Kipé, à Conakry et dans un bureau de la commune de Siguiri (nord-est).

Je précise que nos observations se sont faites sur 2056 bureaux de vote sur les quelque 15 000 que comptait le pays. Donc les résultats que je donne ici sont en fonction des bureaux que nos observateurs ont pu couvrir. Lorsque nous avons constaté ces incidents nous avons pu entrer en contact direct avec les autorités en place qui ont essayé de résoudre les problèmes sur le terrain. L’objectif de notre intervention est, une fois le constat établi, de trouver une solution, pour faire nous avons interagi avec la CENI (commission nationale électorale) ou avec le ministère de l’Organisation des Territoires.

Que dire du dépouillement ?

Le dépouillement s’est déroulé dans de bonnes conditions. Dans certains endroits nos observateurs ont tout de même étaient empêchés de suivre le processus. C’est le cas dans la commune de Dixinn à Conakry.

Les publications anticipées des résultats par certaines formations politiques respectent-elles la procédure ? Cellou Dalein Diallo s’est déclaré vainqueur avant même les résultats prononcés par la Ceni et la Cour constitutionnelle. La Guinée se dirige-t-elle vers une crise ?

Nous le mentionnons dans notre rapport préliminaire, cela ne respecte pas la procédure. Lundi 19 octobre 2020, plus de 90% de nos observateurs avaient mentionné un calme précaire dans les zones de déploiement. Mais tout cela a pris fin avec la sortie de Cellou Dalein Diallo. Que dit la loi ? Seules la Ceni et la Cour constitutionnelle sont habilitées à donner les résultats. Nous condamnons ces agissements au sein de Wanep. Il y a eu des violences sur le terrain, dans de nombreuses préfectures à Conakry aussi il y a eu des heurts. Nous demandons aux militants de respecter les institutions pour que règne la paix. C’est une situation condamnable. La loi ne prévoit pas qu’un candidat s’autoproclame vainqueur.

Avant même le début de la campagne nous avions lancé un appel au niveau des autorités, des partis en lice pour cette présidentielle car il est difficile d’organiser une élection dans un pays où un dialogue sincère entre les différents acteurs politique n’est pas établi. 

Nous sommes partis avec une crise de confiance, une méfiance entre les acteurs. Malgré nos appels au calme, il y a vraiment un risque de crise post-électorale car il n’y a pas eu de dialogue. On n'a pas accepté de s’asseoir et de discuter avant l’élection. Je crains que les manifestations ne dégénèrent, je crains pour les droits de l’homme avec l’intervention des forces de l’ordre, je crains aussi les détériorations des biens publics par une partie de la population; et je crains surtout les violences inter-communautaires.

Que proposez-vous pour améliorer le processus électoral ?

Nous avons fait des recommandations à la Ceni, au gouvernement et aux partis politiques.

A la Ceni nous recommandons, en vue des prochaines élections, de conclure le processus de révision et de fiabilisation du fichier électoral. Et pour cette élection de conduire le processus de compilation des résultats et des publications des tendances dans l’ouverture et la transparence totale. La Ceni doit agir vers plus d’indépendance vis-à-vis de l'exécutif et des formations politiques. L’institution doit également veiller à l’amélioration de la formation des agents des bureaux de vote dans le respect des dispositions des lois électorales. Car le manque de formation à conduit à de l’attente pour les citoyens. Des mesures doivent également être prises pour les votes par procuration afin de restreindre les possibilités de fraudes.

Nous avons aussi demandé aux partis politiques des différents candidats d’éviter toute guerre de division lors des résultats en attendant les communications officielles des instances habilitées à promulguer les résultats provisoires et définitifs. Cela est indispensable pour la paix dans notre pays. De leur côté, les candidats doivent s’écarter de toute pratique ethno-stratégique. Je pense que nous sommes dans un pays où cette stratégie est utilisée et les populations sont facilement manipulables. Alors qu’en dehors de cela, entre Guinéens nous vivons bien tous ensemble. Les forces de sécurité doivent aussi agir de façon professionnelle et respecter l’utilisation des armes conventionnelles lors des opérations de maintien de l’ordre. Ce lundi 19 octobre 2020, lors de manifestations il y a déjà eu quelques morts d’après l’opposition. Les forces de l’ordre doivent renforcer l’esprit républicain à travers toutes leurs actions.

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