Peut-on encore parler de scrupule ?
- Par Administrateur ANG
- Le 26/10/2015 à 13:27
- 0 commentaire
En politique, il y a souvent très peu de ce que le commun des mortels appelle le scrupule (souci extrême du devoir, grande délicatesse morale). Doit-on d'emblée me rétorquer qu'il faut être naïf pour croire que scrupule et politique font bon ménage ? Certes, non, car dans le monde entier, tous les professionnels de la politique font au moins semblant, devant les citoyens dont ils doivent solliciter les suffrages, lors des élections, d'être des hommes ou des femmes qui ont du scrupule sur toute chose.
Mais c'est aussi exact que parler de scrupule ou de morale en politique peut quelque peu surprendre des esprits. Dans cette chronique, c'est le langage et l'approche qu'adopte l'homme ordinaire face à cette thématique que j'ai choisie d'utiliser.
Dans les années 1960-70, ce sont des militaires qui prenaient fréquemment le pouvoir politique par la force des armes. Il n’y avait aucun recours contre cette conquête du pouvoir. En 2015, ce sont des civils, des hommes entrés en politique avec (pas toujours) une formation pour ce métier, qui élaborent des lois fondamentales mais qui réalisent aussi des coups d'Etat permanents. Ils ne se privent pas pour autant de clamer sempiternellement leur attachement à la loi, toutes les lois de la République, sans oublier, dans leurs discours, la transparence des élections et à la démocratie à l’œuvre. C'est ce qui se passe en Guinée où sans gêne tous les affidés du pouvoir, de la base au sommet de l'Etat, sans aucun scrupule, ont laissé entendre urbi et orbi que cette élection n'était qu'une simple formalité et que, sans aucun doute le président en place de 2011 à 2015 retrouverait son fauteuil. L'échafaudage de la vaste escroquerie tissée, à cet effet, autour d'un peuple largement analphabète a été réalisé sur une batterie de pilotis que tout le monde connaît. Implication de l'administration publique dans son ensemble en faveur du président-candidat ; utilisation, sans compter, des deniers publics ; pléiade de petits écrivassiers stipendiés sur sites internet pour répandre ce message du « un coup KO » ; mystification du peuple par recours à l'utilisation pèle- mêle d'un mélange de scientisme (une doctrine introduite au XIXe siècle, selon laquelle tous les phénomènes peuvent s'expliquer par la science) et des pratiques occultes voisines de la cartomancie, de pouvoirs fétichistes ou maraboutiques de devins ; recensement de la population loin des méthodes modernes de dénombrement correct des individus, fichier électoral rendu sciemment bancal etc.
Tout ceci a conduit aux résultats publiés que tout le monde connaît à présent. Il faut faire avec. C'est ce qu'a voulu, dit-on, tout le monde ; y compris et surtout l’opposition guinéenne qui savait tous ces ingrédients de ce qu'elle appelle une mascarade d'élection. C'était en effet une mascarade, mais alors, comme dans mes chronique d'avant cette élection, je me pose toujours la question du pourquoi d'une participation qui allait être suivie, comme je l'écrivais, par une récusation des résultats. Ceci dit, comme d'autres, n'ayant pas été entendu, j'ai quand même choisi de soutenir Cellou Dalein Diallo de l'UFDG pour les raisons que j'avais évoquées. Je referais ce choix si j'avais à le refaire. Mon choix, dans tous mes écrits, est motivé par l'unique préoccupation d'une recherche de l'équilibre national guinéen. Et pas d'autre chose.
Le fait qui corrobore l'ampleur des fraudes, insupportables pour des démocrates, est de se reporter aux comportements des électeurs de la diaspora guinéenne (150 771 dans des pays africains, 19 909 en Europe, 7 966 en Amérique ). De toute évidence, cet électorat ne pouvait pas numériquement changer la donne de l'élection. Mais ce qui est intéressant c'est de constater que cette diaspora qui comprend toutes les ethnies du pays et qui n'a pas subi les tripatouillages de ses votes comme ceux de l'intérieur du pays, présentent des résultats diamétralement opposés à ceux des électeurs intérieurs vis-à-vis des deux principaux candidats. Le candidat battu Cellou Dalein Diallo arrive presque partout en tête. Mais, il y en a qui trouveront toujours d'autres explications. Quoi qu'il en soit, ces votes de l'extérieur de la Guinée constituent un indice irréfutable de ce que nombre de Guinéens et d'étrangers considèrent comme des fraudes massives ayant entaché l’élection.
Malgré le slogan abondamment répandu par le RPG d'Alpha Condé pour cette élection d' « un coup KO », qui signifiait que le président-candidat serait irrémédiablement élu dès le premier tour, je m'étais dit que ce n'était qu'un slogan du genre de ceux qui résonnent lors des campagnes électorales. Le président Alpha Condé disposait, certes, de TOUT pour être réélu, comme Sékou Touré, puis Lansana Conté, ont disposé de TOUT, en leur temps en Guinée. Mais en ce premier quart du XXIe siècle, on pouvait raisonnablement penser qu'Alpha Condé qui dit avoir lutté pendant quarante ans pour l'avènement de la démocratie en Guinée, ne se prêterait jamais, un jour, à jouer à l'organisateur d'une mascarade d'élection aussi digne de l'époque des nombreux putschs de la soldatesque ou des partis uniques de l'Afrique des années 1960-70. Huit candidats étaient en lice, il faut insister là-dessus. Quelle qu'ait été l'aura d'un président-candidat et la bienfaisance de ses réalisations sur le pays, il ne pouvait nulle part dans le monde d'aujourd'hui atteindre les 57,85% des voix, annoncés avant l'élection et attribués à Alpha Condé, dès le premier tour sur les sept autres candidats. Et cela, d'autant plus que parmi ces sept, au moins trois poids lourds de la scène politique guinéenne étaient présents. Il faut, aujourd'hui encore, aller dans des pays comme la Corée du Nord ou la Biélorussie pour constater des élections comme celle qui est intervenue ce 11 octobre 2015 en Guinée. Alors quand on a entendu des représentants de grands pays démocratiques porter un jugement presque positif sur cette élection présidentielle guinéenne, on en vient à se dire que ce type d'appréciation ne peut être portée que sur l'Afrique et sur les Africains. En effet ceux qui se sont empressés d'exprimer un cautionnement à cette élection, n'auraient jamais formulé ce genre de remarques ailleurs qu'en Afrique . Ceci dit, on ne peut aucunement les rendre responsables de l'incurie qui affecte la gouvernance en Guinée. Ce ne sont pas des étrangers qui ont payé des préfets et des sous-préfets pour intimider des électeurs, ni pour bourrer des urnes ou tenir des fichiers électoraux défectueux. On peut seulement constater que des observateurs qui s'érigent en juges sont confortés en cela par des élites aux manettes de leurs pays. De révolutionnaires marxistes-léninistes-maoïstes il y a peu, ceux-ci sont devenus ce qu'ils appelaient naguère des éléments de la bourgeoisie compradore. C'est-à-dire, en vocable révolutionnaire des années 60-70, la bourgeoisie composée d'éléments de pays en développement qui s'enrichissent des liens tissés avec des relations dans les pays développés. Cette bourgeoisie s'agrippe au pouvoir d'une telle férocité que des pays en ont sombré dans le chaos.
Bref, cette élection a encore été pour la Guinée, une occasion manquée. Pas pour ceux, nombreux qui se satisfont toujours du plat chaud qu'on leur sert. L'occasion manquée n'est pas le fait du seul pouvoir en place mais également le fait de l’opposition républicaine qui y a contribué. J’étais de ceux qui avaient mis cette opposition en garde sur sa participation qu'elle-même avait brandie comme une menace, des mois durant, en dénonçant l’impréparation.
Ce que je retiens de cette élection est simple : le pouvoir semble avoir inhibé en cinq ans les capacités de réflexion d'Alpha Condé. On peut même dire que politiquement, cette élection au premier tour avec une palette de huit candidats (il faut encore insister sur le nombre de 8 candidats) sera à terme contre-productive pour le pouvoir du président guinéen. Mais seulement en Guinée, on a toujours vu les problèmes, tous les problèmes, à court terme. Et personne n'a semblé tirer de leçons des désastreuses conséquences qui s'en sont suivies. Les supporteurs fieffés des politiques des présidents Sékou Touré (1958-1984) et Lansana Conté (1984-2008 ) ont disparu dans la nature, aussitôt le Chef disparu, sans que cela interpelle beaucoup de monde. C'est un très mauvais service qu'Alpha Condé s'est rendu à lui-même en s'autoproclamant pour un second mandat pour 2015-2020 avec la couverture d'hommes et d'institutions de paille. A entendre certains personnes recommander de porter les litiges relatifs à l'élection devant la Justice, on mesure leur degré d'ignorance sur la prégnance que le président de la République de Guinée exerce sur les hommes et les choses de ce pays. C'est d'ailleurs ce qui explique l'ampleur de la fraude qui a été pratiquée au cours de cette élection. Dans plusieurs circonscriptions de son fief le candidat Alpha Condé a fait plus de 95% des voix. Personne ou presque n'a souligné ce fait. Son principal adversaire Cellou Dalein Diallo n'a atteint nulle part dans son fief électoral 90% des voix. Au vu de ce contexte, tout recours à une quelconque juridiction ne conduirait qu'à justifier à nouveau l'innommable félonie pratiquée sur la Guinée. Tôt ou tard, malgré la capacité d'oubli des faits par nos compatriotes, les effets pervers de cette félonie remonteront à la surface.
Pour le présent, tout le monde étant en face de fait accompli, je pense que personne n'a intérêt à souffler sur les braises au niveau des masses populaires. Il faut seulement donner à ce qu'on appelle l'élite guinéenne de quoi réfléchir sur l'avenir commun. Dans son malheur guinéen qui persiste, personne, encore moins les dirigeants politiques, n'a intérêt à rallumer des haines entre les citoyens. Il y a d'autres voies. Lesquelles ? « Légales » bien qu'elles semblent très souvent invisibles, on en parle et il en faut pour manifester qu'on ne peut plus continuer à se comporter comme un troupeau de bétail. Il faut, en tout cas, que chacun à son niveau évite ce qui peut opposer les Guinéens les uns aux autres. Mais il faut surtout qu'en haut lieu on sache que tout ce qui est bâti sur l'absence de scrupule, et sur le « mensonge construit », n'a eu aucun avenir durable , nulle part en Afrique. Consultez, pour vérifier cette constatation, l'histoire des cinquante dernières années des Etats africains. Il faut que les chefs d'Etat africain en viennent à une réflexion sur eux-mêmes. Dans de nombreux cas on a observé que la vieille sagesse africaine (c'est selon) qui rappelle que « le poisson commence toujours à pourrir par la tête », a été vérifiée.
Ajouter un commentaire