Moh Kouyaté, libre de toute transgression
- Par Administrateur ANG
- Le 24/11/2017 à 07:33
- 0 commentaire
« Aujourd’hui, alors que la différence fait peur, j’ai tenté d’exprimer à ma façon combien la vérité est relative. En acceptant de vivre ensemble, nous pouvons nous influencer positivement car nous avons tous du bon à donner. Ensemble, cultivons ce que nous avons de meilleur. » C’est vrai, Moh Kouyaté déborde de bons sentiments, mais comment lui en vouloir ? Le « city boy », comme il se décrit lui-même, est aux antipodes des artistes névrosés ou torturés, chouchous des médias.
Né il y a quarante ans à Conakry, il a grandi au sein d’une famille de griots, « nombreuse », « modeste » mais « heureuse ». Moh, diminutif de Mohammed, est l’aîné. Et en ce début des années 1980, dans la Guinée du très socialiste Ahmed Sekou Touré, il fait partie des privilégiés inscrits dans l’un des rares établissements privés. « On partait tous les jours à l’école avec un petit pain rempli de confiture… C’était le luxe à l’époque ! », se souvient-il en riant.
Pourtant, les études ne l’intéressent guère : « Je me suis arrêté très vite », reconnait-il. Contrairement au balafon, que ses parents « jouaient toujours à la maison », et à la guitare, qu’il découvre très rapidement. Le jeune Mohammed s’abreuve à différentes sources : les guitaristes afro-américains George Benson et Jimi Hendrix, le mythique groupe guinéen du Bembeya Jazz National, mais aussi des chanteurs comme Sory Kandia Kouyaté.
« Dès que j’ai commencé à jouer de la guitare, je n’ai plus pensé à autre chose, explique celui qui y a été initié par le guitariste guinéen Amadou Diallo. Mais il n’y a pas de véritable école de musique à Conakry et je n’avais pas les moyens de payer une école à l’étranger. J’ai donc appris sur le tas, en jouant dans les restaurants, les hôtels, à l’Alliance française, en reprenant des classiques. » Au tournant des années 2000, il crée un groupe, Conakry Cocktail, avec plusieurs de ses frères et cousins et écume les lieux « chauds » de la capitale.
Un parcours presque classique que vient chambouler une rencontre, en Guinée, avec le bluesman américain Corey Harris. Très vite, celui-ci l’invite à rejoindre sa prochaine tournée outre-Atlantique. En 2006, à la veille de ses 30 ans, Moh Kouyaté débarque aux Etats-Unis. En trois mois, le duo enchaîne les dates sur toute la côte est, de la Floride au Vermont. C’est au retour de cette tournée qu’il fait escale à Paris pour y voir quelques amis. Il y rencontre finalement celle qui deviendra son épouse, et s’y installe.
Entre-deux générationnel
C’est d’ailleurs dans son coquet écrin parisien du Xe arrondissement qu’il reçoit Le Monde Afrique en ce pluvieux après-midi d’automne. Le tutoiement est facile, le café servi automatiquement. Meubles modernes, objets customisés en wax, chapeaux disséminés aux quatre coins du salon, balafon… Le parfait intérieur du « bobo » parisien, coloré, généreux et finalement si peu transgressif. Décris-moi où tu habites et je te dirais qui tu es… Un adage que Moh Kouyaté aurait pu assurément inventer.
« Il y a un public pour tous les genres de musique, déclare-t-il. J’essaie de vivre avec mon temps, tout en me servant des valeurs traditionnelles. Je fais de la musique profondément guinéenne, je ne chante ni en français ni en anglais mais en malinké, en diaranké, en soussou… Aujourd’hui, la musique est devenue un peu trop fast-food à mon goût, chacun peut en faire avec son ordinateur. Nous allons un peu à contre-courant, toujours avec nos instruments, sur scène, dans des festivals. »
Des scènes, Moh Kouyaté en a fait « près de 200 ces deux dernières années ». En Allemagne, au Brésil, au Pays-Bas, en France… « Depuis Mory Kanté et le succès de son “Yéké Yéké”, jamais un artiste n’avait pu faire voyager la musique guinéenne dans autant de pays. J’ai eu cette chance et j’en suis fier », déclare celui qui rêve désormais de s’installer à Conakry, près de sa famille, afin d’ouvrir un centre culturel qui aiderait les artistes guinéens à développer leur potentiel. « Le centre s’appellera le Link [« lien », en anglais]. Le projet est déjà écrit, il faut juste que je trouve des partenaires et les moyens de le concrétiser. Mais je m’y vois déjà, je serai très bien là-bas. »
Ajouter un commentaire