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Lettre ouverte à Messieurs Tommaso Caprioglio et Anthony Ohemeng Boamah

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Messieurs,

C'est en tant que Guinéen vivant en France que je vous adresse cette lettre ouverte . Vous représentez en République de Guinée deux organisations pour aider cette République à se muer en nation organisée. Pour M. Caprioglio, il s'agit de l'une des plus crédibles et des plus grandes unions politiques du monde, qu'est l'Union européenne.

C'est pour assurer une mission essentielle pour la Guinée et pour les Guinéens que vous êtes y êtes allé. Pour M. Boamah, coordinateur du Système des Nations Unies, incomparable création du XXe siècle, pour l'union des nations, vous œuvrez déjà dans des actions du développement du pays. Pour tous les deux et sur les élections législatives qui se déroulent le 24 septembre prochain, il s'agit d'aider les Guinéens à la réalisation d'élections libres et transparentes. C'est là de hautes missions qui doivent mener sur la voie démocratique de l'exercice du pouvoir, une nation qui la cherche depuis cinquante-cinq ans.

Ce sont des missions qui, si elles aboutissent à la satisfaction des Guinéens, vaudront dans leur mémoire collective, pour aujourd'hui et pour demain, une reconnaissance à l'UE et au Système des Nations Unies. Mais si tel n'est pas le cas de figure qui se présente au lendemain du 24 septembre 2013, vous ne serez pas pour autant mis en cause. Ceux qui le seraient, ce sont les habituels satisfécits délivrés par des observateurs après des élections sur lesquelles ont plané et planent des doutes de fraudes.

A la date de la prise officielle de fonction de la Mission de l'UE, le 31 août 2013, comme annoncé par des dépêches, je demande à M. Caprioglio de me permettre de poser deux petites questions. Celles-ci pourraient être également posées à M. Boamah qui semble être à demeure en Guinée avec la trentaine d'agences onusiennes.

La première est celle-ci: comment avec vingt-quatre observateurs de votre Mission UE, même aidés de supplétifs guinéens, couvrirez-vous convenablement l'intégralité du territoire guinéen pour observer le bon déroulement des élections ?

La deuxième question est : connaissez-vous suffisamment l'éthique politique qui a toujours été celle des dirigeants guinéens, y compris ceux d'aujourd'hui que vous allez rencontrer?

Pour ne pas allonger inutilement cette question, je dois vous dire que vous allez dialoguer, du cadre moyen de la mouvance du pouvoir en place jusqu'à la Présidence, avec des professionnels du double langage et double visage. Devant vous, leur rhétorique va ressembler comme une sœur jumelle à celle que vous avez toujours entendue sur la transparence démocratique en Europe. A la base et en direction de leurs militants, le cynisme les conduira à donner des consignes d'action qui seront diamétralement opposées aux bons désirs de transparence énoncés pour l'étranger.

Quant à l'opposition politique guinéenne, elle donne parfois l'impression de ne pas savoir où elle va. A sa décharge et dans un pays largement prolétarisé, on mesure les montagnes d'obstacles comme les faibles moyens dont elle dispose. Comment peut-elle se retrouver toujours cohérente devant un pouvoir arrogant et son parti le RPG-Arc-ciel qui ont la haute main sur tous les attributs de l'Etat ? Attributs dont ils usent et abusent sans contrôle. Ces abus sans contrôle, puisqu’il n'y a pas d'Assemblée nationale depuis le début du quinquennat en janvier 2011, couvrent l'utilisation des finances publiques, de toute la hiérarchie de la fonction publique, de l'armée, la gendarmerie, la police, des notables stipendiés sur deniers publics, etc., au seul bénéfice du pouvoir et de son parti. Bon nombre d’agents publics travaillent sans état d'âme pour le parti présidentiel, puisque c'est de ce point de vue qu'ils ont appris que les choses doivent se passer. Une note positive a été, cependant, annoncée par le pouvoir du président Condé pour ces élections : c'est l'attribution d'une enveloppe de trois milliards de Francs guinéens comme frais de campagne à répartir entre les vingt-neuf partis politique en présence. Avec, toutefois l'application de l'adage antique: primam partem tolo quoniam nominor leo (je prends la première part puisque je me nomme lion).

Les Guinéens doivent souhaiter que la vigilance de l'extérieur (UE, Nations Unies ) se maintienne en éveil sur des pratiques douteuses de la démocratie. Ces doutes, dans le contexte guinéen, donnent lieu à des rumeurs incontrôlables, comme la multiplication supposée d'émissaires nocturnes du pouvoir, chargés de mallettes de billets de banque auprès de familles pauvres pour acheter des votes. Et comme les pauvres sont légions dans toutes les régions du pays... On imagine la suite.

C'est en considération de cette brève sociologie politique guinéenne que j'ai voulu attirer votre attention sur le terrain que vous avez déjà observé ou que vous allez observer.

Je vous prie d'agréer MM. Caprioglio et Boamah, l'expression de ma haute considération.

Le 31 août 2013

Ansoumane Doré Dijon, France

Note : Tommaso Caprioglio est chef adjoint de la Mission d'observation électorale de l'Union européenne en République de Guinée et Anthony Ohemeng Boamah est coordinateur du Système des Nations Unies en Guinée

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