Les raisons de la persistance de l’épidémie en Guinée
- Par Administrateur ANG
- Le 23/05/2015 à 14:15
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Dans la mouvance de l’épidémie de la maladie à virus Ebola qui continue à sévir dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, Dakar abrite depuis le 19 mai dernier un colloque sous le thème : "Epidémie d’Ebola en Afrique de l’ouest : Approches ethno-sociales comparées".
Cette rencontre de chercheurs travaillant dans des disciplines variées et venant d’horizons divers a permis de lever un pan de voile sur les raisons de la persistance de la maladie en Guinée et en Sierra Leone alors qu’elle a pris fin au Libéria depuis le samedi 9 mai dernier.
Pour Mamadou Saliou Sow, médecin infectiologue travaillant dans la réponse à la fièvre Ebola en Guinée, il ne s’agit pas de la même stratégie de réponse.
"Au Libéria, affirme-t-il, ils sont partis "en commando", ils ont mis le paquet tout de suite et ils ont réussi et c’est très bien. En Guinée, c’est une autre approche : c’est la négociation ; on ne brutalise pas ; on fait intervenir les sciences sociales ; on négocie au sein des familles. Donc, c’est un peu différent de la stratégie de riposte au Libéria. C’est pour cela que l’épidémie n’est pas encore terminée. Mais, nous espérons qu’elle va s’achever dans les mois à venir."
Pour sa part, Alice Declaux, anthropologue de la santé et directrice de la recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement, tient à rappeler au préalable qu’il suffit d’un cas pour contaminer plusieurs personnes.
Et elle ajoute qu'en Guinée, "la communauté des anthropologues et des épidémiologistes a montré que la question des relations avec la population était centrale ; et que les mesures préventives n’étaient toujours pas encore appliquées par l’ensemble des populations".
“Dans un pays comme la Guinée, les gens ne se font pas confiance ; il y a une crise sociopolitique profonde ; avec des dimensions ethno-politiques qui viennent se superposer à une épidémie au sens biologique du terme. Tout cela allonge les délais.” Sylvain Faye, anthropologue à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar
"D’autre part, lorsqu’il y a des détections de cas ou des recherches de contacts, l’absence de confiance qui prévaut en Guinée fait que les personnes croient qu’elles sont recherchées non pas pour leur bien ou pour leur santé, mais pour des raisons défavorables. C’est vrai que les choses changent ; mais, il a fallu trouver des logiques pour intervenir sur les aspects sociaux, et cela a pris du temps, plus d’un an", conclut Alice Desclaux.
Ce point de vue est d’ailleurs partagé par l’anthropologue Sylvain Faye de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, auteur de plusieurs travaux dans la riposte contre cette maladie : "Quand il y a déni de la part des communautés, on prolonge la contamination", dit-il.
Martelant au passage que "le problème de la maladie à virus Ebola n’est pas à prendre forcément du point de vue de l’épidémiologie. Car, explique-t-il, les médecins savent ce qu’ils doivent faire, mais, ils ne peuvent pas le faire. Le problème qu’il y a eu, c’est qu’on ne peut pas accéder aux communautés. Parce que dans un pays comme la Guinée, les gens ne se font pas confiance ; il y a une crise sociopolitique profonde ; avec des dimensions ethno-politiques qui viennent se superposer à une épidémie au sens biologique du terme. Tout cela allonge les délais. Donc, dès que les communautés résistent ou traduisent autrement ce qu’on leur propose, la contamination se propage et on met du temps à rompre la chaîne de transmission".
Au vu de la situation actuelle, faut-il pour autant conclure que la stratégie mise en œuvre au Libéria était la plus efficace ? Pas forcément, répond Mamadou Saliou Sow.
"De toutes les façons, soutient le médecin, les stratégies ont des avantages et des inconvénients. Quand vous prenez le cas de la Guinée, vous constatez que même si l’épidémie persiste encore, le nombre de personnes infectées et le nombre de personnes décédées est inférieur à ceux qu’on a enregistrés au Libéria et en Sierra Leone."
De son côté, l’anthropologue Blandine Bila Ouedraogo, chargée de recherche à l’Institut de Recherche en science de la santé de Ouagadougou au Burkina Faso, estime que les raisons profondes de la persistance de la maladie dans certains pays sont encore à chercher.
"La dynamique de l’épidémie est très liée aux conditions sociales de son émergence et de sa prise en charge. Il faut voir quelles sont les différences entre la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria en matière de comportement des populations par rapport à Ebola, en matière de rapport des populations aux services de santé et en matière d’intervention dans le cadre de la riposte Ebola", analyse celle qui est aussi membre du Réseau ouest-africain des chercheurs sur Ebola.
"Peut-être que d’un pays à l’autre, ce n’est pas la même chose et peut-être que les dispositions prises ne sont pas vraiment adaptées aux conditions sociales de l’émergence de l’épidémie, de sa prise en charge sociale et de la prise en charge aussi des personnes qui lui survivent. Je pense que la réponse est à chercher là-bas", conclut-elle.
En rappel, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a annoncé le 9 mai 2015, la fin de l’épidémie d’Ebola au Libéria après avoir passé 42 jours sans enregistrer de nouveau cas de contamination dans le pays.
Selon Médecins Sans Frontières (MSF), ce pays aura enregistré à lui tout seul 10 564 cas de contamination et 4 716 décès sur les quelque 25 000 cas et 10 000 décès recensés au total dans les trois pays en un an d’épidémie.
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