Le sang coule encore en Guinée
- Par Administrateur ANG
- Le 15/08/2012 à 12:41
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« La répression est à la dictature ce que la propagande est à la démocratie » disait le scientifique, ethnologue et écrivain français Paul-Emile Victor (1907-1995).
Les mauvaises habitudes sont décidément tenaces en Guinée où une fois de plus le sang a coulé à la suite d'une manifestation à caractère social et/ou politique, surtout en ce mois de ramadan, de dévotion, de piété, d'abstinence, de tolérance, d'osmose et de prières. Cette fois-ci, la ville de Siguiri (Haute Guinée) et le village de Zogota situé à 65 km de la ville de N’Zérékoré (Guinée forestière) près du fleuve Diani en furent le théâtre.
Une répression planifiée et exécutée nuitamment le 04 août dernier par les forces de défense et de sécurité montre le caractère prémédité de ces crimes ignobles.
Il n’y a aucun doute sur la volonté meurtrière des auteurs et commanditaires de ces massacres. Les événements malheureux qui ont eu lieu dans ces deux villes sont l'illustration parfaite des fléaux, des tares congénitales de la société guinéenne en proie déjà, d'une part à la calamité du choléra depuis plusieurs mois sous l’œil passif des autorités sanitaires et gouvernementales et, d'autre part, au conflit social de Rusal-Friguia, le fleuron de l’industrie minière en Guinée, la plus grande usine d’alumine d’Afrique à Fria, ville située à 145 km de Conakry. Depuis plus de cinq mois, Fria traverse une crise sans précédent suite à une grève illimitée déclenchée par les travailleurs qui réclament une amélioration de leurs conditions de vie. Rusal refuse de payer ses travailleurs et programme, en revanche, l’arrêt de la fourniture de l’eau et de l’électricité.
L’électricité étant un élément indispensable au bien-être et à l'économie, c'est la raison pour laquelle les habitants de Conakry dans les quartiers de Yimbaya fagban, Matam, Touguiwondy, Boussoura, Madina et Mafanco auraient manifesté, barricadé les routes et brûlé des pneus le lundi 13 août.
Ces tares congénitales, devenues un système de gouvernance en Guinée qu'il faut éradiquer, sont :
- la signature dans l'opacité, sans appel d'offre, de contrats miniers léonins ;
- la discrimination et la ségrégation ethnique à l'emploi ;
- la corruption, dans le cas d'espèce avec le détournement du paiement de l'indemnité pour compenser les expropriations des populations locales des sites miniers ;
- la violence pour réprimer toute contestation à caractère social et/ou politique ;
- l'impunité, au final, pour absoudre les producteurs de violence et les personnes ayant, ici, détourné les fonds d'indemnisation.
Des remèdes à ces fléaux existent et ne résident pas dans une indignation sélective, irrationnelle, partisane des « fils du terroir » comme Jean-Marie Doré qui a pondu un communiqué contre le massacre des « siens » de la Guinée forestière, ni dans l'envoi par le gouvernement d'une délégation conduite par des émissaires « fils de la région » tels Michel Kamano, président du Conseil économique et social, et le sulfureux colonel Claude Pivi dit Coplan, chargé de la sécurité présidentielle.
Car ces conflits à connotations sociale, économique et/ou politique nécessitent, requièrent une réponse nationale et républicaine.
Pour rappel, Jean-Marie Doré était le premier ministre de transition lorsque Siguiri fut le théâtre de massacres de Peulhs dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2010 ; il demeura silencieux lors de ces exactions. C'est un personnage controversé qui, plus que des casseroles, traine toute une quincaillerie.
Quant à Claude Pivi, il est, d'une part, responsable de la mort de dizaines de policiers au CMIS de Cameroun et, d'autre part, cité dans le rapport nominatif et accablant (diligenté par le Conseil de sécurité des Nations-Unies) de Mohamed Bedjaoui de décembre 2009 pour les douloureux évènements du 28 septembre 2009 au stade du même nom à Conakry. Il est sous la menace d’un transfèrement à la Cour pénale internationale (CPI).
1) Le village martyr de Zogota
Dans leur rapport, trois ONG de défense des droits de l’homme (« Paix sur Terre », « Mêmes Droits pour Tous » et « Avocats Sans Frontières Guinée »), avec le Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, qui se sont rendus à Zogota pour vérifier les faits, parlent de « massacres constitutifs de crimes contre l’humanité ». Ce qualificatif est repris par Faya L. Millimouno, membre d'un Comité de crise constitué par des cadres de la région forestière, et le juriste Ibrahima Sory Makanéra au regard de l’article 7 du statut de Rome du 17 juillet 1998 portant création de la Cour pénale internationale.
Le village de Zogota est au bord d'une montagne riche en minerais que l'Etat guinéen a octroyée à la société brésilienne Vale ou Companhia Vale do Rio Doce (CVRD), qui est une entreprise minière multinationale et l'un des plus grands opérateurs logistiques du Brésil. Vale est devenu un des leaders dans la production et l'exportation du minerai de fer, de bauxite, d'alumine, entre autres.
L'exploitation du site engendre des conséquences sur le plan environnemental avec la pollution, sur le plan médical avec la prostitution et la pandémie du sida malgré la promesse d'un centre de santé, sur le plan de l'insécurité, etc.
Envoyer des militaires pour gérer une manifestation civile non armée, alors qu’il y a la police ou la gendarmerie dont c’est l’une des missions, revenait à traiter ce conflit dans un esprit belliqueux, de violence, de guerre. Il y aurait eu au moins cinq morts, des blessés, des disparus, des arrestations et même des viols.
« Qui viole une femme souille toute l'humanité » dit-on. Ce méfait est la conséquence logique de l'impunité dont jouissent les violeurs du 28 septembre 2009.
L’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP) et le Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition (CPPFT) demandent de rester mobilisés pour que cesse définitivement cette banalisation de la dignité humaine en Guinée. Ils exigent la mise en place d’une commission d’enquête indépendante afin que les auteurs et les commanditaires soient identifiés et traduits devant les tribunaux. Les deux blocs politiques exigent également la libération immédiate et inconditionnelle des personnes interpelées.
Le gouvernement aurait dépêché une délégation avec un message du chef de l’Etat Alpha Condé et la somme de 300 millions GNF aux sages de la Guinée forestière et particulièrement à ceux de Zogota. Ses émissaires se sont heurtés aux exigences compilées dans un mémorandum des « Sages » à N’Zérékoré. Ces derniers auraient demandé le départ du préfet Hassan Sanoussy Camara et du commandant de la gendarmerie, le colonel Soumah, et exigé que les auteurs du crime, ainsi que les commanditaires, soient identifiés et traduits en justice et qu'on libère les personnes arrêtées.
2) Siguiri : la révolte contre l'insécurité réprimée dans le sang
A plus de
Selon le secrétaire général de la mairie de Siguiri, Nankouma Sangaré, les incidents auraient éclaté à la suite d'attaques à main armée contre des boutiques de la ville dont celle d'un commerçant appelé Korosso Sylla. Pendant toute la durée de l'opération, les forces de l'ordre bien qu'alertées ne seraient pas intervenues, notamment celles du camp de Soronkoni.
En Guinée, des boutiques, des magasins, des marchés, des pharmacies, des domiciles privés, des citoyens, des diplomates et travailleurs expatriés sont quotidiennement attaqués par des bandits lourdement armés et quelques fois en pleine journée.
La sécurité des personnes et des biens est la première des libertés, y compris celle des transactions civiles et commerciales. La personne humaine et sa dignité étant sacrées, l’Etat a l'impérieux devoir de les respecter et de les protéger.
3) Des tares congénitales récurrentes
La manifestation du 31 juillet 2012 de la population du site très ferreux de Zogota, pour des revendications légitimes d’emploi et d’avantages liés à l’exploitation minière de leur terre contre la société Vale qui a provoqué la colère des autorités, n’est pas une première en Guinée. En septembre 2011, les populations de Kiniero, dans la préfecture de Kouroussa avaient manifesté contre la SOMAFO. En novembre 2011, des populations de Lola ont manifesté contre la Société de mines de fer de Guinée.
Toutes ces manifestations ont un dénominateur commun, relèvent d'enjeux économiques avec des effets induits sur les plans social, environnemental, de l'emploi ; par ailleurs, elles mettent à nu des fléaux qui continuent de gangréner la société guinéenne :
- La signature dans l'opacité, sans appel d'offre, de contrats miniers léonins : c'est la captation des actifs et des biens de l'Etat au profit du pouvoir et de ses proches, le bradage de nos ressources minières sans appel d'offre, dans l'opacité avec des marchés de gré à gré au détriment du budget de l'Etat. Ces évènements de Zogota sont la conséquence de conventions minières opaques signées par les autorités politiques pendant que les populations d’accueil de sociétés minières, à travers leurs représentants, ne sont pas informées des retombées de l’exploitation minière de leurs localités puisque n’ayant pas été associées ni à la négociation de ces conventions, ni à leur conclusion.
- La discrimination et la ségrégation ethnique à l'emploi : c'est la discrimination à l'encontre des fils du terroir dans les processus d'embauche et d'avancement. A égalité de compétence, il aurait été question de privilégier le recrutement de la main-d'œuvre locale. Mais, les jeunes de la région affirment que lors du dépôt de leur dossier de demande d'emploi, le chef du personnel en complicité avec les agents de l'administration, demande trois à quatre millions GNF. La main-d'œuvre non autochtone devenant manifestement plus nombreuse que la main-d'œuvre locale, cette dernière s'est sentie flouée, trahie et s'attaqua ainsi en désespoir de cause aux installations de la société Vale
Le gouvernement actuel et ses structures déconcentrées doivent traiter tous les citoyens sur le même pied d’égalité. C'est la faillite de l'Etat dans son rôle de régulateur social, de promotion de l'excellence et de traitement équitable.
Après les leaders politiques originaires de la région forestière qui ont dénoncé les recrutements sur des critères ethniques des jeunes ouvriers par le géant minier Vale sur injonction du pouvoir de Conakry, l’ancien président de l’Assemblée nationale Aboubacar Somparé condamne à son tour « les nominations et promotions actuelles dans les hautes sphères de l’Etat ne peuvent que frustrer et diviser les Guinéens puisque ne respectant pas les équilibres naturels des différentes ethnies et régions du pays » (...) « La Guinée n’avait jamais atteint le pic actuel de division ethnique et régionale depuis son indépendance » fustige-t-il.
- La corruption avec le détournement du paiement de l'indemnité pour compenser les expropriations des populations locales. Vale aurait déboursé un milliard de francs guinéens. Vale, en association avec BSGR, avait bénéficié du permis de recherche et d'exploitation du minerai de fer de Zogota. Sur le site, il y avait des paysans qui avaient des cultures de riz, de café. Donc, il a fallu les faire déguerpir contre le paiement d'une indemnité remise à l'autorité administrative pour être distribuée aux populations. Les populations disent qu'elles n'ont jamais reçu cet argent. Elles ont envoyé successivement deux délégations chez le préfet pour avoir leur argent. Les populations prétendent que le préfet les a refoulées avec menace de les mettre en prison s'ils revenaient pour poser le même problème. Donc, les paysans disaient dans l'énervement que « ou c'est l'indemnité ou leur terre ».
Il n'est pas inutile de souligner que la prévarication a un impact énorme, négatif, handicapant sur le fonctionnement de l'Etat et ses services publics.
- La violence pour réprimer toute contestation à caractère social et/ou politique. Des manifestants se seraient attaqués aux installations de Vale qu'ils ont saccagées. Cela est condamnable en soi, ainsi que la réaction disproportionnée des autorités.
Mais la répression sanglante des manifestations pacifiques en Guinée est due notamment au non-respect et à la non-garantie des libertés individuelles et collectives ; l'article 10 de la constitution du 07 mai 2010 consacre le droit de manifestation et de cortège qui est perçu à tort par les pouvoirs publics comme un acte de subversion et d'atteinte à la sureté de l'Etat.
C'est la persistance de l’avilissement de la personne humaine, de la violence politique de l’Etat, de ses démembrements, de ses forces paramilitaires contre les citoyens, qui est un fléau qui perdure. Du fait notamment de l’accommodement à la culture de l’impunité et de l’injustice, à la violence, aux nombreux et répétitifs manquements aux droits de l’Homme depuis les années 50.
La grande muette guinéenne traîne la triste réputation d’avoir la gâchette trop facile, l'étiquette de sanglante répression des manifestations et d'enlèvements clandestins suivis d’exécutions sommaires de contestataires. La réforme du secteur de sécurité, surtout l'armée, était prévue par l'accord-cadre de Ouagadougou du 15 janvier 2010 signé par Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et le « facilitateur partisan » Blaise Compaoré du Burkina Faso, qui s'étaient accordés sur les mesures suivantes en vue d’une transition pacifique en Guinée dont :
- Le respect des libertés publiques, y compris de la liberté de presse et d’opinion ;
- La garantie de la sécurité des personnes et des biens ;
- La réorganisation et la réforme des forces de défense et de sécurité ;
- La mise en place d’un organe de suivi, d’évaluation et d’accompagnement .
Ces quatre points essentiels de l'accord n'ont pas connu la réussite attendue.
- L'impunité, au final, pour absoudre les producteurs de violence et les personnes ayant détourné les fonds d'indemnisation des expropriations de terres. On a assisté et déploré la récurrente réhabilitation des fossoyeurs de l'économie guinéenne, des deniers publics, des services publics et des criminels de sang, des violeurs par le pouvoir actuel. Par ailleurs, l'impunité est favorisée par le laxisme du système judiciaire guinéen corrompu qui est manifeste et récurrent.
Conclusion : Des remèdes pour conjurer le mal guinéen
Toutes les violences d'où qu'elles viennent sont condamnables.
Les préfets de Siguiri et de N'Zérékoré, Aboubacar Sidiki Kaba et Hassan Sanoussi Camara, auraient été démis de leurs fonctions le lundi 13 août par un décret du président de la République.
D'autres sanctions politiques, administratives et judiciaires devraient suivre pour lutter contre l'impunité et exorciser les frustrations des victimes. Pour cela, la mise en place d’une commission d’enquête indépendante est indispensable, ainsi qu'une justice non corrompue et non assujettie au pouvoir politique.
Il faut assurer, prôner le respect de la loi et de l’ordre public, l’apaisement et la cohabitation pacifique avec toutes les personnes et les sociétés qui investissent en Guinée.
Privilégier, dans toutes les crises, la concertation, la négociation et le dialogue qui est une vertu cardinale que tous les acteurs politiques, économiques, sociaux doivent s'approprier.
Parachever la réforme du secteur de la sécurité qui est la matrice de tous les maux de la société.
Favoriser l’implication des représentants des populations riveraines de sites miniers dans la négociation et la conclusion de contrats miniers concernant leurs localités pour qu'au final elles puissent bénéficier de l’exploitation de leurs sol et sous-sol.
Cependant, il ne faut plus privilégier le tout minier au détriment du secteur agricole qui peut créer plus d'emplois et de richesses. Quel est l'impact, l'apport actuel du secteur minier notamment pour l'éducation, la santé, les services publics, les transports, les communications ?
Personne ne doit contester l'autorité de l'Etat, mais un Etat impartial jouant pleinement son rôle de régulateur social, de redistributeur au profit de tous les enfants de le Guinée sans distinction de race, d'ethnie, de religion.
Des remèdes à nos fléaux existent et ne résident pas notamment dans une indignation sélective, irrationnelle, partisane des « fils du terroir », d'une localité. Chaque fois qu'un Guinéen sera victime d'une injustice quelconque ou d'une violence, tous les Guinéens devraient se sentir concernés, partie prenante et réagir en tant que républicain guinéen. Car notre destin est commun, entrelacé.
Que Dieu préserve la Guinée!
Nabbie Ibrahim « Baby » Soumah Juriste et anthropologue guinéen
« La répression est à la dictature ce que la propagande est à la démocratie » disait le scientifique ethnologue et écrivain français Paul-Emile Victor (1907-1995).
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