Le « printemps africain » de Alpha Condé pourrait être mis à mal par quelques gelées tardives

« Moi, je fais confiance aux peuples africains. On parle du printemps arabe, mais, comme le démontre mon élection, nous vivons actuellement un printemps africain ». Cet homme qui fait le « printemps de l’Afrique » à lui tout seul s’appelle Alpha Condé. Il préside la République de Guinée ; enfin, ce qu’il en reste après quelques décennies de dictature.

Il en a été désigné le président (cf. LDD Guinée 026/Mercredi 17 novembre 2010) à la suite d’une campagne au cours de laquelle « l’ex-marxiste » devenu « social-démocrate », « opposant historique » à la dictature guinéenne, leader du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), n’a pas ménagé sa peine pour stigmatiser les peuls « mafieux qui pillent le pays », « le voleur qui crie au voleur », « des commerçants qui n’ont aucune expérience du pouvoir d’Etat et ont acheté un parti à Diallo » (Cellou Dalein Diallo arrivé en tête au premier tour avec 43 % des voix contre 18 % à Condé mais battu au deuxième tour !).

Christophe Châtelot dans Le Monde avait évoqué « l’ethno-stratégie opportuniste » de celui qui disait vouloir être « à la fois le Mandela et le Obama de la Guinée ». Je crains que Condé ne soit que l’autre façon de dire « Gbagbo » en malinké !

J’ai évoqué, déjà, les exactions et les viols perpétrés en pays peul par des éléments de « l’armée » guinéenne afin de terroriser cette population pendant la période électorale (cf. LDD Guinée 027/Mardi 14 décembre 2010). J’avais reçu le témoignage de victimes, à Dakar, et je n’étais pas confiant quant à la façon d’être de Condé qui me semblait alterner la posture politique et l’imposture idéologique. Les hommes politiques tout comme les hommes d’affaires ont tendance à se construire une légende. A 72 ans, Condé a eu le temps de peaufiner la sienne.

Sans, pour autant, faire illusion dès qu’on gratte un peu (cf. LDD Guinée 026/Mercredi 17 novembre 2010). L’opposition radicale, la prison, le socialisme… « Mandela et Obama » permettent, dans les médias, de faire l’impasse sur le monde des affaires et les… affaires de tout ce beau monde. Le problème, c’est que les « opposants » ont une vie politique à éclipses : un jour, ils sont sur le devant de la scène ; le lendemain dans l’ombre (plus souvent encore dans le brouillard). Tandis que président de la République, c’est un job à plein temps. On est sous les projecteurs en permanence. Plus encore quand on a attendu longtemps, très longtemps, ce moment-là et qu’enfin il arrive avec les limousines, les motards, les drapeaux qui claquent au vent, les tapis rouges, les regards concupiscents des uns et des autres qui veulent se faire remarquer du chef.

Condé est en France, en visite officielle. L’occasion de répondre aux questions de Etienne Mougeotte (le « patron » en personne) et de Pierre Prier pour Le Figaro (23 mars 2011). Par les temps qui courent où les « révolutions arabes » sont soutenues et encensées par la droite française, rien de mieux que Le Figaro pour exprimer son tempérament « révolutionnaire ». Condé est l’homme du « printemps africain ». Mais à l’âge qu’il a, il faut reconnaître que ça ne bourgeonne plus guère. « L’opposant historique » a pris ses distances avec l’Histoire. Il a laissé mourir de mort naturelle Ahmed Sékou Touré puis Lansana Conté et a attendu qu’un militaire tire une balle dans la tête de Moussa Dadis Camara et que celui-ci soit exfiltré au Burkina Faso pour qu’une présidentielle (laborieuse) puisse être organisée en Guinée.

A la mort de Conté et après que Dadis Camara se soit emparé du pouvoir, Condé avait proclamé que les « Guinéens n’ont plus peur » et que le « rapport de force » était en faveur de « la population et [de] la communauté internationale » (La Croix, mardi 6 janvier 2009). Conté était mort mais Camara était bien vivant. Et l’on vivra le massacre du lundi 28 septembre 2009 au lendemain des manifestations anti-Camara de Labé, capitale du pays peul, deuxième ville de Guinée et fief de l’opposition. Avant que Camara ne prenne un peu de plomb dans la tête, Condé comptait sur la « communauté internationale » et sa détestation des massacres de civils et des viols des femmes par les militaires. Aujourd’hui, il est pour « les solutions pacifiques en Afrique » et affirme que « si on laissait les Africains régler leurs problèmes, on y arriverait plus facilement ».

La meilleure preuve en est qu’il a fallu plus d’un demi-siècle, la mort naturelle de deux dictateurs et l’assassinat d’un troisième pour que l’on parvienne, enfin, à organiser une élection présidentielle en Guinée et que Condé en soit déclaré vainqueur !

Aujourd’hui, la politique n’est plus sa tasse de thé ; et les relations internationales encore moins. Il est chef d’Etat et son grand souci c’est de remettre de l’ordre dans l’économie guinéenne ; pas l’économie des entreprises, celle des fonctionnaires. « Le système était tellement gangrené que, sur dix fonctionnaires, huit ou neuf sont concernés ». Dans un pays où rien, jamais, n’a fonctionné dans le secteur public, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation nationale, des transports, des infrastructures, etc. et où les salaires étaient payés « à l’occasion », je m’étonne qu’il y ait eu des fonctionnaires « honnêtes » ; sans doute ceux qui, morts de faim, sont au cimetière.

Mais, précise Condé, « comme me l’a demandé l’imam de la grande mosquée, nous allons nous concentrer sur les grands voleurs plutôt que sur les petits ». Espérons que ce ne sera pas qu’une « chasse aux peuls » ! Condé veut « geler tous les contrats passés en 2009-2010 », c’est-à-dire depuis la mort de Conté ; sans doute pour n’être pas désagréable avec les « hommes politiques » qui ont géré la Guinée sous Conté et sont, aujourd’hui, nécessairement, ses alliés.

Condé veut aussi « désarmer » la Guinée : 4.200 militaires vont être mis à la retraite. Et les autres vont « participer à la vie économique. [L’armée] va construire des routes, rénover des usines, et nous sommes en train de créer une brigade agricole ». Mais il ne dit rien de la hiérarchie militaire qui, pendant des décennies, à mis la Guinée en coupe réglée, exploitant les sociétés d’Etat, encaissant les « commissions » sur les contrats, assurant la « sécurité » des sites de production minière, organisant le racket des populations et participant à tous les trafics y compris ceux de la drogue et des êtres humains.

Condé en « Monsieur Propre » ? Avec le « printemps africain », il nous promet un grand nettoyage. Sauf que ce qui nous tombe dessus en ce moment c’est un grand déballage : celui de « l’affaire Getma-Bolloré ». Mauvais calendrier. Jamais personne ne parle de la Guinée mais voilà que Condé débarque à Paris alors que cette affaire passionne la presse française.

Pour la bonne raison que Bolloré est, incontestablement, le groupe privé français le plus ancré au « sarkozysme » et que celui-ci n’est pas au mieux de sa forme à un an de la présidentielle française. « L’affaire Getma-Bolloré », c’est la version guinéenne de « l’affaire Progosa-Bolloré » qui, voici pas loin de deux ans, a fait les beaux jours des médias (cf. LDD Progosa 010 à 014/Lundi 1er à Vendredi 5 juin 2009). Progosa, c’était à Lomé, Getma, c’est à Conakry. Le schéma est le même : manu militari les autorités en place balancent à la mer les gestionnaires du port pour les remplacer par le groupe Bolloré. « J’ai pris une décision souveraine pour les intérêts de la Guinée », commente Condé dans Le Figaro (cf. supra). Mais dans le même temps, les journalistes révèlent le déroulement de l’affaire qui n’a rien à envier (dans le fond, la forme est plus soft : il n’y a pas encore de morts) aux méthodes de Sékou Touré et de Conté. Il faut lire à ce sujet ce que Sylvain Courage dit dans Le Nouvel Observateur (24 mars 2011) de la collusion entre Condé et Bolloré et du rôle de Bernard Kouchner (qui a repris du service comme consultant depuis qu’il a été viré du gouvernement).

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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