Le Président Condé devrait renforcer l’État de droit lors de son second mandat
- Par Administrateur ANG
- Le 12/12/2015 à 16:39
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Le Président de Guinée, Alpha Condé, devrait mettre à profit son second mandat pour intensifier la lutte contre l’impunité, renforcer le système judiciaire et promouvoir l’égalité des droits de tous les Guinéens. Alpha Condé prêtera serment le 14 décembre 2015, après avoir été réélu en octobre.
L’élection présidentielle, tout en étant considérée dans l’ensemble comme libre et équitable par les observateurs internationaux, a été marquée par de graves problèmes logistiques. Des violences ethniques et politiques ont entaché la campagne électorale et causé la mort de plusieurs personnes, dont certaines par les forces de sécurité, ainsi que des dommages matériels importants. Les violences ont aggravé les tensions ethniques entre les Malinkés, dont la majorité soutenait Condé, et les Peuls, qui soutenaient surtout l’opposition.
« Le Président Condé a pris certaines mesures pour rompre le cycle douloureux de violence et d’exactions en Guinée, mais il reste encore un long chemin à parcourir », a déclaré Corinne Dufka, directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Pendant son second mandat, Alpha Condé devrait redoubler d’efforts pour combattre l’impunité et renforcer les institutions qui soutiennent l’État de droit et le développement. »
Alpha Condé a été élu pour la première fois en 2010. Cette élection, reconnue comme largement libre et régulière, représentait une avancée majeure après 50 ans de régime autoritaire. Toutefois, Condé a hérité de problèmes profondément enracinés en matière de droits humains :une armée dont l’histoire est marquée par de graves exactions et par l’’impunité, les lacunes flagrantes du système judiciaire, une pauvreté accablante, ainsi qu’une corruption endémique privant les Guinéens de droits sociaux et économiques fondamentaux. Depuis plus de dix ans, Human Rights Watch mène des recherches approfondies sur la plupart de ces problèmes.
Pendant le premier mandat de Condé, son gouvernement a réalisé des progrès lents mais significatifs concernant l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises par le passé par les forces de sécurité, en particulier dans le cas de l’enquête sur le massacre et les viols perpétrés en 2009 dans un stade de Conakry contre des manifestants non armés. Quatorze hommes, notamment l’ex-dirigeant du coup d’État à l’époque, Moussa Dadis Camara, ainsi que d’autres membres des forces de sécurité, ont été inculpés. Les autorités ont également ouvert des enquêtes sur d’autres exactions graves comme le massacre en 2007 d’environ 130 manifestants lors des grèves au niveau national. En dépit de ce progrès récent dans les enquêtes, aucun membre des forces de sécurité n’a été inculpé à ce jour pour un crime constituant une violation grave des droits humains.
La réforme du secteur de la sécurité a représenté une priorité pour le gouvernement de Condé, et il semble que des progrès ont été accomplis s’agissant de la professionnalisation des forces qui pendant longtemps ont été imprégnées d’une culture d’indiscipline, d’intimidation et d’esprit partisan. L’accent mis sur la prévention des abus par le biais de formation sur les droits humains, l’amélioration de la discipline, et un contrôle civil accru sur les forces de sécurité semblent avoir abouti à une réduction des abus.
Toutefois, les efforts ont été limités s’agissant de mener des enquêtes et des poursuites contre des membres des forces de sécurité vraisemblablement impliqués dans de nombreux cas d’abus durant le premier mandat de Condé. Le recours excessif présumé à la force létale par les forces de sécurité a causé la mort d’au moins soixante personnes, surtout dans la période précédant les élections parlementaires de 2013. Plusieurs participants à des manifestations ont été tués dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle d’octobre 2015.
Ces crimes commis par les forces de sécurité n’ont mené quasiment à aucune suite judiciaire, même lorsqu’ils ont fait l’objet de rapports crédibles d’organisations de défense des droits humains et de la presse, ou lorsque des victimes ont déposé plainte.
Durant les périodes de troubles politiques, les forces de sécurité ont également été impliquées dans de nombreux actes de comportement abusif, de mauvais traitements à l’encontre de détenus, d’arrestations arbitraires, d’extorsions, de prises de pots-de-vin, de vol qualifié, et dans une moindre mesure, de tortures et de viols.
« Les progrès judiciaires concernant le massacre du stade sont encourageants, mais les progrès réalisés sur une situation ne sauraient constituer l’unique cas de lutte contre l’impunité », a déclaré Corinne Dufka. « Pour que l’État de droit se concrétise, le système judiciaire doit ouvrir activement des enquêtes sur les nombreuses allégations d’abus commis par les forces de sécurité. »
Le Président Condé a hérité d’un système judiciaire marqué par des insuffisances flagrantes, négligées par les gouvernements successifs depuis des décennies. Ce système demeure extrêmement fragile en dépit des efforts de fonctionnaires de justice pour former et déployer des dizaines de nouveaux juges, pour mettre en place un conseil disciplinaire pour les juges et pour réviser des textes juridiques essentiels.
Le budget du système judiciaire reste inférieur à 0,5 % du budget national, ce qui contribue à l’insuffisance du personnel, des infrastructures et de la capacité à rendre la justice correctement. Le fait que la Cour d’Assises – le tribunal guinéen pour les crimes les plus graves – ne se réunit pas régulièrement, ainsi que l’insuffisance d’une assistance juridique pour les accusés, ont contribué à de la détention préventive prolongée et à des prisons surpeuplées.
Depuis 2010, plusieurs épisodes meurtriers de violences communautaires se sont produits, surtout dans la région de Guinée forestière dans le sud-est du pays, ainsi que des tensions ethno-politiques croissantes entre les communautés malinkés et peules dans tout le pays, en particulier dans les périodes électorales.
Ces affrontements, qui ont tué des centaines de personnes, ont montré la nécessité urgente de mettre en place un mécanisme de vérité et réconciliation ayant la capacité de formuler des recommandations afin de traiter les causes profondes des tentions communautaires, et pour des garanties effectives d’égalité et de non-discrimination. Condé a créé en 2011 la Commission provisoire chargée de la réconciliation nationale (CPCRN), mais celle-ci n’a guère avancé dans l’accomplissement de son mandat crucial.
« Si le Président Condé veut qu’on se souvienne de lui comme du président qui a consolidé le respect des droits de tous les Guinéens, indépendamment de leur origine, appartenance ethnique ou affiliation politique, il doit faire du renforcement de l’État de droit une priorité de son programme de second mandat », a conclu Corinne Dufka. « Les actions du Président Condé pourraient mener soit à un meilleur respect des droits humains de tous les Guinéens, soit à un recul vers les douloureux problèmes du passé. »
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Problèmes persistants relatifs aux droits humains en Guinée
Obligation de rendre des comptes et lutte contre l'impunité
Depuis que la Guinée a proclamé son indépendance de la France en 1958 jusqu’à l’élection de 2010, des gouvernements autoritaires successifs ont permis à un climat d’impunité de se développer. L’impunité dont bénéficient les crimes graves a fait le jeu de des auteurs de violations des droits humains pendant des générations. Les forces de sécurité ont commis la grande majorité de ces abus.
Pendant le premier mandat de Condé, le système judiciaire a ouvert plusieurs enquêtes sur de graves violations commises par les forces de sécurité, dont le meurtre de quelque 130 manifestants non armés en 2007 ; la torture de membres de l’opposition politique en 2010 ; le meurtre de six hommes dans un village du sud-est du pays, en 2012 ; et le meurtre de douze manifestants qui protestaient contre le report des élections parlementaires en 2013.
Les progrès les plus significatifs ont été accomplis dans l’enquête sur le massacre commis dans un stade en septembre 2009, au cours duquel la Garde présidentielle et d’autres individus ont massacré plus de 150 partisans de l’opposition et ont violé une centaine de femmes lors d’un rassemblement pacifique dans le principal stade de Conakry. Le panel de juges nommé début 2010 pour enquêter sur ces exactions a interrogé plus de 400 victimes et inculpé 14 suspects, dont l’ex-dirigeant du coup d’État, Moussa Dadis Camara, son vice-président d’alors, Mamadouba Toto Camara, et plusieurs autres membres haut placés des forces de sécurité.
Les avancées dans nombre de ces enquêtes ont cependant été bloquées par l’insuffisance du soutien gouvernemental et de l’appui au système judiciaire. On pense notamment à l’incapacité du gouvernement à suspendre de leurs fonctions gouvernementales les hauts responsables suspectés d’abus en attendant les résultats des enquêtes ou à veiller à ce que les membres des forces de sécurité répondent aux convocations judiciaires. En outre, aucune de ces affaires n’est encore parvenue au stade du procès.
Les progrès en matière de droits humains dans le cadre législatif et institutionnel se sont traduits par la création en 2012 d’un ministère des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, dont le ministre a activement soutenu un meilleur respect des droits humains, et par la mise en place en janvier 2015 d’une institution indépendante chargée de la défense des droits humains, comme le prévoit la constitution guinéenne de 2010, quoique non conforme aux Principes de Paris.
Afin d’accélérer les progrès en matière d’obligation de rendre des comptes, le gouvernement devrait :
- S’assurer que tous les membres des forces de sécurité répondent aux convocations judiciaires ;
- S’assurer que les autorités compétentes ouvrent et mènent des enquêtes appropriées sur les affaires impliquant des crimes présumés soutenus par l’État lorsqu’elles reçoivent des preuves crédibles de la part des victimes et autres plaignants, de la part d’organisations nationales et internationales, et d’autres sources ;
- S’assurer que le personnel judiciaire travaillant sur des affaires sensibles bénéficie d’une sécurité suffisante.
Renforcement du système judiciaire et amélioration des conditions de détention
Le Président Condé a hérité d’un système judiciaire qui avait été négligé pendant des décennies et manipulé par les régimes successifs, entraînant des insuffisances importantes dans ce secteur et permettant à une dangereuse culture d’impunité de s’installer. Même si son gouvernement a pris des mesures significatives pour réformer et renforcer le système judiciaire, celui-ci reste extrêmement fragile.
Les progrès importants accomplis durant le premier mandat de Condé ont compris l’adoption d’un plan d’action de réforme de la justice portant sur la période 2015-2019 ; le recrutement et le déploiement de dizaines de nouveaux juges, dont 50 à travers tout le pays en 2015 ; l’instauration du Conseil Supérieur de la Magistrature chargé de la sélection, de la discipline et de la promotion des juges ; l’imposition de certaines sanctions contre les juges pour corruption et comportement non professionnel ; la formation approfondie du personnel judiciaire ; et la révision de textes juridiques clés – notamment le code pénal, le code de procédure pénale et le code de justice militaire – dans le but de les rendre conformes aux normes internationales. Également, l’adoption en 2014 d’un nouveau statut pour les juges a abouti à une amélioration des conditions et des paiements pour les juges chroniquement sous-payés.
Toutefois, le budget opérationnel pour le système judiciaire s’est maintenu depuis au moins sept ans à environ 0,5 % du budget national. Ceci a abouti à de graves pénuries de personnel judiciaire ainsi qu’à une insuffisance d’infrastructures et de ressources. Venant s’ajouter à des comportements non professionnels - notamment pratiques de corruption, défaut de comparution au tribunal et mauvaise tenue des dossiers - l’insuffisance des moyens contribue à une justice qui trop souvent viole, au lieu de protéger, les droits des Guinéens.
Les efforts accomplis en 2015 visant à assurer la justice pour les violences collectives et communautaires ont été ternis par des allégations de manque d’indépendance judiciaire. En avril, un tribunal a condamné onze personnes à la réclusion à perpétuité pour le meurtre collectif de huit agents de santé, fonctionnaires locaux et journalistes répondant à l’épidémie d’Ebola dans le village de Womey, dans la région forestière du sud. Toutefois, des organisations de défense des droits humains ont déclaré que le système judiciaire avait omis d’enquêter et d’engager des poursuites contre les membres des forces de sécurité impliqués dans des viols, des pillages et d’autres exactions à la suite des meurtres de Womey.
De la même façon, bien que le système judiciaire ait condamné treize hommes pour leur rôle dans une vague meurtrière de violences communautaires survenue en 2013 dans la région de N'Zérékoré dans le sud-est du pays qui a fait environs 200 morts, il n’y a pas eu d’enquête sur le rôle de plusieurs politiciens considérés comme proches du parti au pouvoir dans ces violences. En outre, des huissiers de justice, chargés de faire appliquer de nombreuses décisions judiciaires, ont indiqué que les ingérences politiques dans leur travail avaient été fréquentes.
Les prisons sont fortement surpeuplées, et les prisonniers et les détenus sont exposés à des insuffisances en matière de nutrition, d’hygiène et de soins médicaux. Le plus grand établissement pénitentiaire guinéen, conçu pour 300 détenus, en a régulièrement accueilli plus de 1 200, selon des organisations nationales de défense des droits humains. Le surpeuplement est le résultat du recours systématique à la détention provisoire – qui concerne 60 % des prisonniers à Conakry – ainsi que de la mauvaise gestion des dossiers et du fait que la Cour d’Assises ne se réunit pas régulièrement.
Toutefois, depuis 2010, des organisations nationales et internationales de surveillance des prisons ont noté une réduction des taux de malnutrition et de mortalité parmi les prisonniers, ainsi qu’une amélioration des soins de santé et de l’administration pénitentiaire, notamment la création d’un corps des gardiens de prison. Une nouvelle prison est également en cours de construction, dans un effort de réduction du surpeuplement.
Pour renforcer le système judiciaire et améliorer les conditions carcérales, le gouvernement devrait :
- Faire de l’édification d’un système judiciaire qui respecte et protège les droits humains une priorité du second mandat du président, notamment en veillant à ce que le système judiciaire dispose de ressources suffisantes ;
- Finaliser et soumettre à l’Assemblée Nationale les codes et les lois essentiels à la réforme de l’État de droit - et révisés au cours du premier mandat du Président Condé - en s’assurant de leur conformité au droit international ;
- Abolir la peine de mort, et inclure le crime de torture dans le nouveau code pénal ;
- Adopter et respecter des indicateurs pour la réalisation du Plan d’action de la réforme de la justice ;
- Garantir que tous les accusés dans des affaires criminelles ont accès à une assistance juridique appropriée ;
- Garantir que le droit international est appliqué de sorte que la détention préventive constitue l’exception et non la règle, et que chaque détenu est présenté rapidement à un juge, et s’il est placé en détention, qu’il bénéficie d’un examen judiciaire régulier de la nécessité de sa détention. Toute personne placée en détention préventive devrait avoir droit à un procès dans un délai raisonnable ou bien être relâchée.
Comportement des forces de sécurité
En 2009, la Guinée a entamé un long processus de réforme des forces de sécurité chroniquement indisciplinées, qui étaient devenues davantage un vecteur d’instabilité qu’un garant de sécurité nationale. Pendants des décennies, les présidents successifs ont utilisé les forces de sécurité à des fins partisanes afin de consolider leur contrôle politique et leur ont accordé l’impunité pour leurs abus.
Condé a clairement indiqué pendant son premier mandat que la réforme du secteur de la sécurité était une priorité pour son administration. Les Nations Unies, l’Union africaine et la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (ECOWAS) soutiennent cette réforme, avec la participation d’organisations non gouvernementales.
Depuis 2010, des efforts ont été accomplis pour réformer le secteur, former ses membres dans le domaine des droits humains et garantir une plus grande discipline ainsi qu’une responsabilité de commandement au sein des forces de sécurité et un contrôle civil exercé sur elles. La hiérarchie militaire a progressivement fait en sorte que les militaires et la garde présidentielle restent dans les casernes, et les forces mandatées pour répondre aux troubles civils – la police et la gendarmerie – le fassent de façon proportionnée et soient soumises au contrôle civil.
Les recherches menées par Human Rights Watch montrent que depuis 2010, le nombre de violations soutenues par l’État en général, et le recours excessif à la force par les forces de sécurité en réponse aux manifestations politiques en particulier, semblent avoir diminué, par rapport à des périodes passées de tension politique.
En juin 2015, le parlement a adopté la Loi sur le maintien de l'ordre public, qui a sensiblement renforcé le contrôle civil sur les services de sécurité en n’autorisant leur déploiement qu’avec l’approbation civile. Cette loi définit également des règles d’engagement claires sur la base de celles qui sont énoncées dans les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois.
Des progrès sont également manifestes dans l’élaboration et la mise en œuvre des codes de conduite et d’éthique, la révision des codes disciplinaires, la création d’un bureau de liaison chargé des droits humains au sein des forces de police, et des efforts importants pour former les forces de sécurité sur les droits humains.
Toutefois, la formation a bénéficié de façon disproportionnée aux gendarmes et aux militaires par rapport à la police. Des experts de la réforme du secteur de la sécurité ont expliqué à Human Rights Watch qu’environ 70 % des policiers n’ont pas reçu de formation de base, et que les forces de police ne disposent pas des équipements nécessaires pour remplir leur mandat.
Le gouvernement, toutefois, n’a pas suffisamment agi pour enquêter sur les abus des forces de sécurité commis pendant le premier mandat de Condé. La grande majorité des abus signalés ont eu lieu pendant des manifestations et des affrontements souvent violents entre militants de partis politiques opposés. Ces abus ont compris le recours excessif à la force létale, entraînant la mort de nombreux manifestants ; le comportement abusif et les mauvais traitements infligés aux détenus ; des actes de torture ; et dans une mesure bien moindre, des viols. Les forces de sécurité ont également été impliquées dans de nombreux actes d’extorsion, de vol qualifié et de banditisme, ainsi que la prise de pots-de-vin, notamment de la part de membres de l’opposition qui avaient été détenus arbitrairement.
Les forces de sécurité ont également répondu parfois de façon partiale à des manifestations, utilisant des insultes à caractère ethnique et omettant de traiter avec le même professionnalisme les membres de tous les groupes ethniques et religieux, y compris ceux qui soutiennent l’opposition politique.
Si les autorités et les commandants font désormais davantage d’efforts pour prévenir les abus en périodes de troubles, par exemple en donnant des ordres clairs de ne pas porter d’armes létales pendant les manifestations et de ne pas maltraiter les détenus, ils ont très rarement mené des enquêtes, encore moins des poursuites, contre les membres des forces de sécurité impliqués dans des violations des droits humains. Si un tribunal militaire a également été mis en place, il n’a pas encore commencé à juger des affaires.
Durant son second mandat, le gouvernement du Président Condé devrait :
- Faire de la formation et de l’équipement des forces de police une priorité ;
- Garantir que la hiérarchie du système judiciaire, de la gendarmerie et de la police prend des mesures concrètes pour améliorer encore plus le commandement et le contrôle au cours des manifestations, notamment en augmentant la présence de commandants durant les opérations de terrain ;
- Émettre des déclarations publiques claires et fermes condamnant le recours excessif à la force, les comportements criminels, les destructions arbitraires et autres violations par les membres des forces de sécurité ;
- S’assurer que le système judiciaire mène des enquêtes sur les signalements crédibles de crimes graves commis par les forces de sécurité ;
- Renforcer la capacité du bureau chargé des droits humains au sein des forces de police ;
- Créer un conseil de surveillance civil indépendant pour la Gendarmerie et la Police nationale guinéenne qui accepte des plaintes de la part du public portant sur des fautes professionnelles ; et mener des enquêtes promptes, impartiales et indépendantes sur toutes les allégations de violations.
Tensions ethniques et réconciliation
Des flambées sporadiques mortelles de violence communautaire et politique à caractère ethnique ont, depuis 2010, fait plusieurs centaines de morts. Les épisodes les plus meurtriers se sont produits en Guinée forestière, région du sud-est du pays, en particulier à N’Zerekoré. Par exemple, en 2013, plusieurs centaines de personnes ont été tuées lors d’affrontements entre les groupes ethniques Guerze et Konianke ; et en 2011, plus de 25 personnes ont perdu la vie lors d’affrontements entre les Kpeles et les Malinkés dans le village de Galakpaye.
Les tensions politiques de meurent particulièrement fortes entre les Malinkés et les Peuls qui, pendant les élections présidentielles de 2010 et 2015, ont largement soutenu l’opposition. Les observateurs nationaux et internationaux affirment que le gouvernement de Condé a aggravé ces tensions en omettant de sanctionner les membres des forces de sécurité pour les abus commis contre les Peuls ; en usant de discrimination dans la désignation des fonctionnaires, ce qui, selon les observateurs, a abouti à un nombre disproportionné de fonctionnaires Malinkés ; et en utilisant parfois les services de sécurité et le système judiciaire afin de réduire et de punir des membres de l’opposition politique exerçant leur droit de réunion pacifique.
Les tensions entre les Peuls et les Malinkés ont de nouveau éclaté lors de la campagne présidentielle de 2015, lorsque des foules à Conakry ont battu à mort au moins deux personnes, et ont incendié et pillé de nombreux magasins appartenant à des commerçants des deux groupes ethniques. Les affrontements entre les deux communautés à N’Zerekoré ont fait 80 blessés.
La Commission provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale (CPRN), créée par décret présidentiel en juin 2011 en partie pour explorer les tensions communautaires, a été compromise par l’insuffisance des consultations auprès des parties prenantes à propos du mandat de la commission, de sa composition et de ses pouvoirs. La commission a réalisé peu de progrès visibles dans l’accomplissement de son mandat.
Un mécanisme efficace de vérité, justice et réconciliation en Guinée pourrait avoir un impact important sur l’avenir du pays. Il pourrait éclairer les atrocités peu évaluées commises durant les périodes d’abus passées, explorer les dynamiques des tensions communautaires endémiques et formuler des recommandations afin d’empêcher une répétition des abus passés et d’améliorer le respect envers les droits humains.
- Afin de s’attaquer aux tensions ethniques et de créer une commission de vérité crédible, indépendante et efficace, le nouveau président devrait :
- Mettre en place une commission d’enquête sur les violences de 2015 liées aux élections, mener des enquêtes sur les personnes présumées responsables, quel que soit leur camp, et indemniser les victimes de tous bords qui ont subi des dommages corporels et matériels, y compris les nombreux commerçants dont les biens ont été pillés ou détruits au cours des violences ;
- Organiser un large processus de consultation sur le mandat de la commission vérité et sur sa composition, en impliquant les organisations de défense des droits humains, les organisations de jeunes, de femmes et de victimes ; les parties politiques ; les syndicats ; les confessions religieuses ; et les forces de sécurité, entre autres ;
- Garantir l’indépendance de la commission vérité ;
- Garantir que tous les membres de la commission proposés sont soumis à des audiences publiques de confirmation ;
- Garantir que la commission vérité s’inscrit dans des efforts plus larges visant à dire la vérité et à rendre des comptes, qui comprennent la justice pour les crimes graves.
Le président devrait également explorer les moyens de garantir l’égalité et la non-discrimination en accord avec le droit international, et il devrait fournir aux personnes faisant l’objet d’une telle discrimination un recours effectif, notamment par le biais d’une loi anti-discrimination efficace.
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