Le président Alpha Condé doit-il reprendre sa prestation de serment comme le suggère M. Mohamed Camara ?
- Par Administrateur ANG
- Le 19/12/2015 à 07:48
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Dans sa dernière tribune publiée par « leprojecteurguinee.wordpress.com », encore disponible dans les réseaux sociaux, y compris sur Facebook, monsieur Mohamed Camara juriste constitutionnaliste guinéen a estimé que le président de la République doit reprendre sa prestation de serment.
Pour monsieur Camara, je cite : « le fait par le président de la République et du président de la Cour constitutionnelle d’omettre de prononcer les mots suivants: « et de faire respecter la (loi) », démontre que toutes les phrases du serment n’ont pas été totalement dites. Que, si le Président s’est engagé à respecter scrupuleusement la Constitution, cela n’a qu’une valeur individuelle, qu’il doit s’engage aussi à la faire respecter, car pour lui, c’est ce bout de phrase qui lui confère le pouvoir de faire appliquer la Loi pour que la Guinée soit un État de Droit, où force doit rester à la loi. Que faute de cet engagement, le président ne sera pas dans l’obligation légale de faire respecter la loi ».
S’il est compréhensible que l’omission, même involontaire de cette partie du serment par le président de la République laisse place à des questions relatives à sa validité, il nous semble que les conséquences juridiques attachées à cette omission par monsieur Camara ne sont absolument pas légalement fondées.
Pour que le débat soit purgé de toute ambiguïté, nous livrons ci-dessous, la substance des démonstrations juridiques de monsieur Mohamed Camara:
« Le serment prêté par le Président de la République le 14 décembre 2015 doit être repris par la Cour Constitutionnelle le 21 décembre 2015 avant l’installation. Et pour cause ? Un bout de phrase a été doublement omis à la fois dans le texte du serment soumis à la lecture du Président de la République et dans le discours du Président de la Cour Constitutionnelle. Regardez à nouveau les images ou réécoutez les bandes sonores de ladite prestation de Serment ainsi que du discours du Président de la Cour Constitutionnelle. L’un et l’autre ont omis de prononcer l’expression «veille au respect de la Constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice « et de faire respecter ». Les phrases du serment n’ont pas été totalement dites. Or, si le Président s’engage à respecter scrupuleusement la Constitution, cela n’a qu’une valeur individuelle. Il faut qu’il s’engage aussi à FAIRE RESPECTER, tant il est vrai que c’est ce bout de phrase qui lui confère le pouvoir de faire appliquer la Loi pour que la Guinée soit un Etat de Droit, où force doit rester à la Loi ! Il faut donc nécessairement reprendre le serment le 21 décembre 2015 avant l’installation pour dire mot pour mot, ce qui est indiqué à l’article 35 de la Constitution au risque de créer deux problèmes juridiques. 1°)- Le non respect précoce de la Constitution du fait de cette omission qui a échappé à la vigilance de la Cour Constitutionnelle (gardienne de la Constitution). 2°)- Si la Cour Constitutionnelle ne fait pas prêter à nouveau le serment pour que le deuxième niveau d’engagement du Président soit dit conformément à l’article 35 de la Constitution, ni la Cour Constitutionnelle, ni la Haute Cour de Justice, encore moins les députés, ne devraient alors, lui en vouloir au cas où il ne fera pas respecter les Lois. Étant donné qu’il a seulement promis de respecter (pas plus !). Quant à faire respecter, il n’a rien dit pas plus que le Président de la Cour Constitutionnelle dans son allocution ».
Nous ne doutons pas de la volonté de notre constitutionnaliste d’éclairer les Guinéens sur des questions d’ordre constitutionnel, mais, avec sa permission, nous nous permettons d’affirmer que nous n’avons absolument pas la même lecture que lui sur les conséquences qu’engendrera une éventuelle omission des mots en question. Pour justifier notre position, deux points d’analyse s’imposent à nous à savoir, si l’omission de cette partie du serment (et de faire respecter la loi) est de nature à libérer le président de la République de son obligation constitutionnelle de faire respecter la Loi d’une part ? (I) et d’autre part, quelle conséquence aura cette omission sur la validité de la prestation de serment du président ? (II)
« Attention ! Avant toute argumentation, il nous semble important d’informer les lecteurs du fait que tous les termes contenus dans le serment présidentiel sont tirés des articles 45 et 47 de la constitution. Il ne s’agit pas des termes venus d’ailleurs dont l’omission d’un passage laisserait un manque d’engagement. Donc, on peut légitimement estimer qu’en s’engageant, lors de sa prestation de serment, à respecter la constitution qui comporte la totalité des phrases du serment, le président Alpha Condé a satisfait aux obligations d’engagement solennel de respect et de faire respecter « la Loi » conformément aux exigences de l’article 35 de la constitution.
Il nous reste maintenant à démontrer les fondements de nos affirmations ci-dessus mentionnées dans les deux parties suivantes.
- I) L’omission de cette partie du serment (et de faire respecter la loi) libère-t-elle le président Alpha Condé de son obligation constitutionnelle de faire respecter la Loi ?
La réponse à cette question se trouve entre autres dans les dispositions de l’article 45 alinéa 2 de la constitution qui dispose ce qui suit : « Il (Le président de la République) « veille au respect » de la Constitution, des engagements internationaux, « des lois » et des décisions de justice ».
Nous soulignons que, les mots « faire respecter la Loi » et « veiller au respect de la Loi » disent exactement la même chose. Vous constaterez que le passage omis dans le serment est contenu dans l’article 45 alinéa 2 en ces termes : « Il (le président) veille au respect de la Loi »
A la lumière de l’article 45 alinéa 2 ci-dessus reproduit, on comprend que, le fait par le président de la République de jurer lors de sa prestation de serment prévu par l’article 35 « de respecter entre autres, les dispositions de la Constitution », l’oblige fermement non seulement à respecter la loi, mais aussi à la faire respecter malgré que le passage « et de faire respecter la loi » n’a pas été prononcé par lui. De par son engagement à respecter les dispositions de la constitution, il s’engage par ce fait à respecter aussi l’article 45 alinéa 2 de la même constitution qui exige du président de « veiller » au respect de la « loi » par tous les justiciables. Ce qui démontre que la partie du serment qui a été omise par le président était contenue dans une autre phrase du même serment à savoir « je jure de respecter la constitution ». On peut constater que la partie omise a une fonction de répétition et de précision dans le serment car, elle est précédée de la phrase qui la contient déjà. Nous ne contestons pas qu’il y a eu omission. Seulement, elle n’a diminué en rien l’engagement du président. De ce fait, son engagement reste entier. Nous ne voyons pas comment le président de la République peut s’exonérer de ses obligations constitutionnelles devant la haute cour de justice, de la cour constitutionnelle et les députés comme le soutient monsieur Mohamed Camara par le seul fait que cette partie de la phrase ait été omise ! Il faut souligner qu’en acceptant la fonction de président de la République ou toute autre fonction étatique, on accepte par le même acte, toutes les obligations liées à la fonction en question, serment ou pas serment.
Il est de notoriété publique que la soumission d’un citoyen fut-il président de la République, aux obligations constitutionnelles n’est jamais conditionnée à son engagement personnel de les respecter. Une loi ou une constitution en vigueur s’impose à tous.
Au vue de ce qui précède, on peut soutenir que les affirmations de monsieur Camara selon lesquelles l’omission du passage du serment en question libère le président de son obligation constitutionnelle de faire respecter la loi, prêtent largement leurs flancs aux critiques légitimes. Nous soutenons que le président Alpha Condé reste obligé à faire respecter la Loi malgré l’omission de la partie de phrase en question.
D’ailleurs, le même article 45 renferme une partie de la réponse à la deuxième question à savoir, la validité du serment du président Alpha Condé.
- II) Quelle conséquence aura cette omission sur la validité de la prestation de serment du président de la République ?
S’il s’avère comme le soutient monsieur Camara, que le président avait omis un passage du serment, la question de sa validité peut légitimement être posée comme il l’a lui-même posée. Quant à la réponse à cette question, elle exige l’analyse d’un certain nombre de points.
Il est incontestable que l’article 35 de la constitution soumet l’installation du président de la République dans ses fonctions à sa prestation de serment faite de lecture de certains de ses engagements constitutionnels contenus dans le même article 35. Attention ! C’est aux électeurs qu’il tient sa qualité de président et s’agissant de son pouvoir, il le tient de la constitution et non du SERMENT qu’il prête. Dans ce cas d’espèce, mis à part cette omission involontaire, le président avait prêté serment comme l’exige l’article 35. Il reste à se demander si l’omission du passage en question (et de faire respecter la loi) est de nature à invalider sa prestation de serment tout en sachant que le passage qui a été omis est contenu dans une autre phrase du même serment ?
Avant d’aller plus loin, il ne sera pas inutile de chercher à savoir ce que c’est un SERMENT ?
Selon le dictionnaire LAROUSSE, le SERMENT est une affirmation solennelle de quelqu’un en vue d’attester la vérité d’un fait, la sincérité d’une promesse, l’engagement de bien remplir les devoirs de sa fonction.
Au vue de cette définition, on comprend que le serment n’est ni créateur, ni exonératoire d’obligation. Il a pour fonction de donner le caractère solennel à un engagement ou à une affirmation. Dans notre cas, par sa prestation de serment, le président Alpha Condé avait bien donné le caractère solennel à son engagement de respecter la constitution. On peut en déduire que la prestation de serment du Président ne crée aucune obligation à son égard, et l’absence de prestation de serment ne l’exonère d’aucune obligation constitutionnelle inhérente à la fonction présidentielle, à part celle de prêter serment pour le respect de l’article 35 de la constitution. Et cela a été fait par lui.
Pour revenir aux affirmations de monsieur Camara, nous estimons qu’il est indéniable que la prestation de serment par le président avant sa prise de fonction est une exigence constitutionnelle dont le respect s’impose. Si malgré sa prestation de serment, l’omission involontaire du passage en question peut donner lieu à pluralité d’interprétation quant au respect de l’article 35, on ne peut en dire autant quant du respect de l’obligation du président de s’engager solennellement à respecter ses obligations constitutionnelles contenues dans le même article 35, engagement qui constitue la raison d’être de la prestation de serment. En termes d’engagement, seule la prononciation du passage suivant « de faire respecter la loi » fait défaut. De ce fait, peut-on affirmer que le président ne s’est pas engager à faire respecter la Loi ? La réponse négative s’impose. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le fait par le président de dire dans son serment qu’il jure de « respecter la constitution » couvre totalement le passage qui a été omis. En s’engageant à respecter la constitution, il s’engage par ce fait à respecter l’article 45 alinéa 2 précité qui englobe le passage omis lors de la prestation de serment. Voici pour rappel, ce qu’en dispose l’article 45 alinéa 2 : « Il (le président) « veille au respect » de la Constitution, des engagements internationaux, « des lois » et des décisions de justice ».
De tout ce qui précède, on peut prendre le risque de dire que le fait par le président Alpha Condé d’omettre de prononcer qu’il jure « de faire respecter la Loi », n’invalide en rien sa prestation de serment et ne l’exonère en rien de son obligation constitutionnelle de faire respecter la Loi.
Ces constats nous permettent de dire que les craintes de monsieur Mohamed Camara ne nous semblent pas légalement fondées. Le président, s’il le souhaite, peut reprendre sa prestation de serment pour une simple question de convenance personnelle comme le président BARACK OBAMA qui avait repris son serment sans qu’il y soit obligé par qui que ce soit. Mais, nous ne voyons aucune obligation légale qui l’exige.
NB : Nous avons été tenus de répéter un certain nombre de passages pour faciliter la compréhension de nos lecteurs qui ne disposent pas de large culture juridique. Nous nous en excusons.
Makanera Ibrahima Sory
Juriste d’affaires et d’entreprise
Fondateur du guepard.net
Contact : makanera2is@yahoo.fr
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