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Le général Sekouba Konaté, «au repos» sur les rives du lac d’Enghien-les-Bains

Sekouba konate 2

Empêché de regagner son pays, l’ancien président par intérim de la Guinée Conakry a trouvé refuge auprès sa famille en banlieue parisienne. Les Faits - A travers des destins très divers, l’Opinion raconte des histoires de personnalités politiques déchues, déposées, « neutralisées » ou chassées loin de leurs terres natales.

Le général Sékouba Konaté reçoit ses visiteurs au Grand hôtel d’Enghien-les-Bains. Confortablement installé dans le salon de l’établissement, l’ancien président guinéen revient sur son parcours. Grand, le regard perçant, celui que l’on surnommait « le Tigre » pour ses faits d’armes au Liberia et en Sierra Leone passe d’un français soutenu aux expressions très africaines, ponctuées de jargon militaire.

Six ans après son départ de Guinée Conakry, le général a trouvé récemment le réconfort dans le Val d’Oise auprès de sa femme Hadja Aissatou, de sa fille et de ses trois fils, qui ont tous la nationalité française. Il réside dans la demeure de son épouse non loin de la station connue pour ses eaux thermales, son lac et son casino. Le général vient de se voir accorder par la France une carte de séjour pour dix ans.

En septembre 2016, Thomas Melonio, conseiller Afrique de François Hollande, a facilité ses démarches pour l’obtention du titre de résidence. Aujourd’hui, Sekouba Konaté, toujours persona non grata à Conakry, remercie la France d’Emmanuel Macron de lui avoir accordé. En banlieue, le général mène une vie paisible. Il s’occupe de ses enfants, notamment des devoirs de son dernier fils qui entre au collège. Cet ancien para commando s’entretient physiquement au cours de longues marches. Il fait lui-même ses courses, reçoit ses compatriotes, dévore la presse guinéenne sur internet et les journaux français. Accro aux chaînes d’information, il ne manque pas le JT du soir de France 2 et surfe entre BFMTV, France 24 et Africa 24. Il regarde aussi de nombreux documentaires sur Arte et National geographic. Amateur de politique française, il s’est passionné pour la campagne électorale et suit les débats au Parlement.

Transition pacifique. Sur les affaires guinéennes, après une période de grande discrétion, le Tigre est sorti de son silence dans le journal en ligne Nouvelle de Guinée, tenu par un proche. En juillet, au siège de l’Assemblée nationale et au Sénat, il s’est entretenu notamment avec Olivier Stirn, ancien ministre, et Bruno Fuchs, nouveau député En marche. Son ambition : retisser un réseau au sein du paysage politique français. Il a aussi rencontré Cellou Dalein Diallo, l’opposant guinéen, au très chic hôtel Georges V à Paris. Les deux hommes se sont rapprochés. Et Konaté prévoit de le soutenir lors des prochaines échéances électorales. Il s’engagera aussi dans le débat guinéen si Alpha Condé, l’actuel président, décide de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat.

Il nourrit du ressentiment à son égard. « Il renie mes droits d’ancien président et doit penser que je suis une solution de recours aux yeux de la France. Mais je n’ai jamais voulu déstabiliser mon pays. Je suis l’un des rares officiers africains à avoir assuré une transition démocratique pacifique avant de remettre le pouvoir à un civil », assure le général Konaté qui accuse certains de ses proches de l’avoir trahi pour rejoindre le pouvoir actuel.

Konaté, si l’on en croit les déclarations des officiels guinéens, devrait prochainement être entendu par la justice locale au sujet du massacre de civils, le 28 septembre 2009, pour lequel sont poursuivis d’anciens militaires de la transition. A l’époque, il était ministre de la Défense. « Pensez-vous que la communauté internationale m’aurait confié le soin de mener la transition si j’étais impliqué ? demande-t-il. A l’époque, j’ai voulu faire arrêter les auteurs mais le président par intérim, Dadis Camara, les a protégés ».

L’Union africaine lui propose de devenir Haut Représentant pour la création de la Force africaine. Paris est dans le coup. La France cherche à l’éloigner pour laisser les mains libres à Alpha Condé qui, dès son arrivée, s’attachera à écarter les proches du général Konaté

Le 3 décembre 2009, Sékouba Konaté est en visite officielle au Liban, où il rencontre le président Sleiman, lorsque le chef de la junte au pouvoir est blessé par son aide de camp, Toumba, dans le camp militaire Koundara à Conakry. Dadis Camara, qui a rompu son serment de pas se présenter à la présidentielle, est évacué vers le Maroc pour être soigné. Les États-Unis, la France et le royaume chérifien sont à la manœuvre. Début janvier 2010, Konaté se rend à Rabat pour rencontrer Dadis Camara.

André Parant, conseiller Afrique de Nicolas Sarkozy, Johnnie Carson, sous-secrétaire d’État américain, et Yassine Mansouri, le discret patron de la DGED (les services secrets marocains), lui demandent de regagner Conakry et d’assurer la transition. Il organise la présidentielle en 2010 et remet le pouvoir, en décembre, à Alpha Condé à l’issue d’une transition apaisée même si l’opposant Cellou Dalein Diallo, arrivé second, peut s’estimer lésé. Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, a pesé de tout son poids auprès de Nicolas Sarkozy et des responsables guinéens de la transition pour que son ami socialiste, Alpha Condé, remporte le scrutin.

D’un commun accord avec les dirigeants africains, le Gabonais Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine (UA), propose alors à Konaté de rejoindre l’organisation panafricaine en tant que Haut Représentant pour la création de la Force africaine en attente. Paris est dans le coup. La France cherche aussi à l’éloigner pour laisser les mains libres à Alpha Condé qui, dès son arrivée, s’attachera à écarter les proches du général.

Fidélité maçonnique. A Addis Abeba, le général regrette cette chasse aux sorcières. Mais sa nouvelle vie est passionnante. Installé dans le quartier cossu de Bole-Rwanda avec les avantages des commissaires de l’UA (villa, voiture de fonction...), il fréquente Jean Ping, est convié aux cérémonies officielles. Il arpente aussi le continent, à la rencontre des chefs d’État, pour parler de cette force militaire. Et reçoit les honneurs. Le 4 avril 2012, l’ambassadeur de France à Addis Abeba, Jean-Christophe Béliard, organise une réception à sa résidence. Konaté est élevé au grade de commandeur de la légion d’honneur. Au fil du temps, le mal du pays va l’atteindre. Les dirigeants africains n’avancent pas sur le dossier de la force africaine.

Victime d’un accident à Addis Abeba fin 2014, il est gravement brûlé. Il est d’abord évacué dans une clinique à Nairobi avant d’être transféré dans un hôpital pour grands brûlés à Charlotte aux États-Unis. Soigné, il gagne le Maroc à la fin de l’été 2016. Les autorités lui mettent à disposition une résidence à Rabat. Il emménage dans un hôtel à Casablanca, le temps d’y faire des travaux. Finalement, Sékouba Konaté est prié de plier bagage par son hôte marocain. Raison : les menaces que proférait le général contre le pouvoir de Conakry, ce qu’il nie.

Il se rend alors au Tchad mais Idriss Deby, avec lequel il était pourtant en très bons termes, refuse de le recevoir. La presse le donne partant à Brazzaville, chez Denis Sassou Nguesso. Mais le général connaît l’amitié et la fidélité maçonnique qui lie Condé et le président congolais. Il ne veut pas rejoindre le Congo où il sait qu’il sera sous la surveillance des services congolais. Il demande alors à venir en France.

 

Par Pascal Airault

Source: l'Opinion

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