Le destin de la Guinée entre les griffes du « Tigre »
- Par Administrateur ANG
- Le 11/12/2009 à 07:13
- 0 commentaire
« Soyons une armée républicaine. Notre pays a trop souffert, la population civile a trop souffert des agissements de certains de nos camarades », lançait le général Sékouba Konaté mercredi au militaires guinéens. Ces propos, diffusés par la télévision nationale, rejoignent le sentiment général du peuple guinéen qui espère, en effet, que les militaires jouent leur rôle – protéger les citoyens –, plutôt que d’être une menace permanente. Le 28 septembre, plus de 150 personnes, rassemblées pour protester contre les velléités du président auto-proclamé Moussa Dadis Camara de se présenter aux élections, périssaient à Conakry sous les balles et les coups des bérets rouges et de leurs acolytes. Plusieurs agressions et actes de vandalisme commis par des militaires ont été signalés ces six derniers mois. Une situation qui plonge la population dans la peur et la pousse à nourrir une méfiance certaine vis-à-vis d’une armée qui, au fil des cinquante dernières années, a accumulé un lourd passif.
Le général Konaté a appelé les soldats à « la cohésion » et à la « discipline », laquelle, concède-t-il, « était complètement bafouée ». Un bilan et des prescriptions que son prédécesseur avait déjà formulés et notifiés à la troupe, mais sans succès. « C’est une armée où un soldat ne connaît pas son unité organique, c’est une armée où un caporal peut dire merde à son colonel ! », aimait à répéter le capitaine Dadis Camara pour justifier son impuissance et la nécessité qu’il y avait à réformer la Grande muette. Le général Konaté parviendra-t-il à lancer cette réforme que n’a pu initier son prédécesseur ? Il en affiche en tout cas la volonté. « Nous avons quatre priorités, a-t-il expliqué hier à ses hommes : la reconstruction des camps (militaires), la formation des hommes, l’équipement des hommes et le renforcement de la discipline, parce qu’un militaire sans formation, c’est un criminel ». Parmi ses priorités également, la capture de celui que la junte considère comme l’ennemi public numéro un, le lieutenant Aboubacar « Toumba » Diakité qui a blessé grièvement à la tête, jeudi dernier, Moussa Dadis Camara auprès duquel il occupait le poste d’aide de camp. « Nous ne devons plus laisser des gens indésirables agir en notre sein », a déclaré le général Konaté à ses soldats en armes, faisant allusion à Toumba et à ceux qu’il qualifie de « mauvaises graines ».
Un soldat de l’élite militaire guinéenne
Proche de Dadis Camara, qu’il a soutenu lors de sa prise de pouvoir le 23 décembre 2008, après la mort du général Lansana Conté, Sékouba Konaté était considéré comme l’homme fort de l’armée guinéenne et avait hérité du portefeuille de la Défense au sein du gouvernement mis en place par le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD, organe politique de la junte). Le président Dadis Camara lui-même ne tarissait pas d’éloge pour celui dont le bureau, au camp Alpha Yaya Diallo, se trouvait à l’étage au-dessus du sien. Nombreux à Conakry allaient même jusqu’à dire que le pouvoir réel était entre ses mains, tandis que Dadis se contentait d’assurer la communication du nouveau régime. Cependant, il est plus vraisemblable qu’il existât une partition négociée du pouvoir entre les deux hommes. Une partition d’autant plus appropriée au sein d’une armée où les clans et les tensions ethniques étaient patents. Les ethnies forestières (dont le groupe Guersé auquel appartient Dadis Camara) et Malinké (dont est issu Konaté, qui serait aussi proche des Soussou avec lesquels il a passé une partie de sa jeunesse à Conakry) composent la majorité du contingent militaire guinéen [1]. L’alliance des deux hommes pouvait garantir un certain équilibre et satisfaire le gros de la troupe.
Désormais au sommet de l’Etat, le général de brigade Sékouba Konaté, ancien commandant du Bataillon autonome des troupes aéroportées (BATA, unité d’élite de l’armée guinéenne, basée au camp Alpha Yaya Diallo), peut néanmoins compter sur son autorité naturelle et ses états de service pour se faire respecter et imposer ses vues. Ce militaire à la carrure imposante, peu causant, grand spécialiste du combat rapproché, a intégré l’armée en 1985, à l’âge de 19 ans. Il reçoit alors une formation de base, qu’il complète à l’Académie royale de Meknès au Maroc. Il poursuit sa formation en France. En 1996, il suit les cours du Brevet de chef de section Parachutiste à Pau et des cours d’entraînement du 1er degré à Mont-Louis. La même année, il est nommé commandant-adjoint du Détachement des parachutistes à la 2ème région militaire de Labé, au nord de la Guinée. Quelques années plus tard, en Chine, il reçoit des cours supérieurs de guerre. Mais c’est au front qu’il a gagné son surnom de « Tigre » et le respect de ses hommes, en menant entre 2000 et 2002 des actions le long des frontières sud et sud-est de la Guinée contre des bandes armées venues du Sierra Leone et du Liberia, et en participant à la Mission des Nations unis en Sierra Leone (UNAMSIL).
Konaté fera-t-il mieux que Dadis ?
La mise à l’écart forcée de Moussa Dadis Camara et d’un autre homme fort du régime, Mamadouba « Toto » Camara (1er vice-président du CNDD et ministre de la Sécurité), tous deux grièvement blessés à Koundara lors de l’altercation avec Toumba et les hommes du bataillon autonome de la sécurité présidentielle (BASP), pourrait bel et bien ouvrir une nouvelle ère. Nul ne peut dire, aujourd’hui, quand Dadis Camara reviendra en Guinée ni s’il reviendra. Accueilli favorablement par la majorité de la population et la communauté internationale l’année dernière, il s’est trouvé discrédité à leurs yeux suite au massacre du 28 septembre et à sa volonté affichée de se maintenir au pouvoir. Son hospitalisation au Maroc et la fuite de Tomba Diakité (désigné comme celui qui a coordonné le massacre à l’intérieur du stade du 28 septembre – l’identité du commanditaire reste sujet à débat), règlent a priori deux problèmes politiques majeurs. Soulagé de ces poids, le général Konaté apparaît à la communauté internationale comme une alternative acceptable. Les Américains ont d’ailleurs exprimé, hier, leur position. « Nous ignorons si (Camara) reprendra le pouvoir, mais dans l’intervalle nous tendons la main à Konaté (...). Nous pensons que des progrès (vers un gouvernement civil) peuvent être accomplis avec (Konaté) dans le cas où Camara ne reviendrait pas », a dit un diplomate américain à l’AFP, sous couvert d’anonymat. Et le sous-secrétaire d’Etat adjoint pour l’Afrique, Michael Fitzgerald, qui doit participer dimanche à une réunion du groupe international de contact sur la Guinée, a déclaré à l’agence Reuters que, même s’il était « trop tôt » pour le savoir, le général Konaté lui donnait pas l’impression, contrairement à son prédécesseur, de vouloir s’éterniser sur le fauteuil présidentiel.
Le général Konaté confiera-t-il le pouvoir à la société civile et à ses leaders politiques ? La question reste entière. Et l’exemple laissé par le général Lansana Conté aux jeunes générations de militaires ne pousse pas à l’optimisme. Néanmoins, si transition démocratique il y a un jour, il est à peu près sûr qu’elle n’aura pas lieu dans l’immédiat, les priorités affichées du « Tigre » étant tout autres.
Ajouter un commentaire