Le dernier « coup tordu » du PM ? (partie 2)
- Par Administrateur ANG
- Le 05/09/2010 à 18:30
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Suite à mon précédent papier, j'avais indiqué que le Premier Ministre (PM) s'égarait dans sa tentative de vouloir rendre au Matap les clés du processus électoral.
Avant de voir ce que le PM peut ou ne peut pas faire (notamment par rapport à la CENI), il convient de rappeler un principe juridique, qui est celui de la hiérarchie des normes. Cela signifie que tous les textes inférieurs (dans cette hiérarchie) ne peuvent être pris que dans le respect des textes supérieurs. Concrètement si vous voulez prendre un Décret, vous devez vous conformer aux lois (qu'elles soient ordinaires ou organiques) et évidemment la Constitution.
De manière schématique, se situe en haut de la pyramide la Constitution, puis de façon décroissante, on trouve les Conventions et Traités internationaux, les différents types de lois et ordonnances, les décrets, les arrêtés, les circulaires, les directives...
Un petit rappel succinct s'impose toutefois, afin de ne pas imiter le PM, c'est-à-dire « embrouiller » les profanes, pour que ces derniers ne retiennent que le fait, que le PM soit dans son rôle pour prendre des Décrets, sans tenir compte de son domaine d'intervention.
Ce que le PM ne peut pas faire
Si nous reprenons la hiérarchie des normes évoquée ci-dessus, le Président de la Transition (donc le PM), ne peut modifier (et encore moins dissoudre) la CENI, en vertu de l'article 156 de la Constitution.
Seule l'Assemblée Nationale (donc le CNT actuellement) peut légiférer, c'est-à-dire voter des lois, qu'elles soient ordinaires ou organiques. Les premières sont les lois classiques que nous connaissons tous et qui portent sur les domaines essentiels de la vie en société, alors que les lois organiques sont celles qui complètent la Constitution, en vue d'indiquer par exemple comment va fonctionner la CENI, qui sont ses membres, etc... et quelles sont ses relations avec les autres institutions de la République.
A titre exceptionnel, et pour des raisons particulières (notamment en période de transition), l'Assemblée Nationale peut autoriser le Président de la République (et seulement lui, pas le PM), à prendre temporairement des actes - appelés Ordonnances - dans des domaines qui sont normalement de la responsabilité des parlementaires (articles 72 et 73 de la Constitution). Toutefois l'article 83 de la Constitution prévoit que cette faculté n'est pas possible dans le domaine relevant de la loi organique, c'est-à-dire relativement à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la CENI par exemple.
Tout le monde comprend donc que le PM ne peut amender (modifier) l'Ordonnance du 4 Janvier 2009, qui rendait la CENI seule maître d'œuvre des élections.
Un Code électoral regroupe en principe, l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires relatives aux élections politiques. Ce n'est qu'un recueil de tous les textes existants, anciens ou nouveaux. Le Code électoral guinéen comprend donc des textes récents de Mai 2010, mais également d'Octobre 2007 et pourrait même en théorie comprendre des textes de 1990, si un texte pris cette année là dans un domaine particulier, n'a pas subi de retouches.
Mais ayant la volonté de changer de régime politique en y incluant des nouveautés, le CNT n'a pas souhaité empiler de nouveaux textes aux anciens, mais refondre complètement le processus électoral, sous la forme de la loi organique du 24 Mai 2010 portant justement refonte du Code électoral.
Pour cette raison vous l'aurez compris, le PM ne peut pas davantage modifier l'article 2 du Code électoral.
Ce que le PM peut faire
Je l'ai indiqué ci-dessus, un Code électoral (pas celui-ci pour le moment) peut comprendre des textes règlementaires, comme des décrets par exemple. Le PM peut donc être fondé à prendre des mesures, y compris dans le domaine lié aux élections, mais à la stricte condition du respect du texte inférieur (Décret) par rapport au texte supérieur (Loi ordinaire ou organique). Le Décret ne doit donc ni modifier l'esprit et la lettre de la loi, ni l'interpréter - ou la « préciser » - (c'est le domaine du juge), mais seulement la compléter. Ce texte ira alors enrichir le Code électoral.
Mais cette faculté est strictement encadrée, et consiste par exemple pour le PM :
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de prévoir des amendes, pour le non respect par le titulaire d'une procuration de vote de l'article 30 du Code électoral,
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de préciser que la « dénonciation » de l'article 14 du Code électoral, peut se faire (ou non) de manière anonyme, etc...
On est donc bien loin du pouvoir réglementaire que voudrait s'octroyer le PM en la matière.
Des évènements apparemment anodins, mais qui poursuivent néanmoins une logique d'ensemble
De nombreux commentateurs insistent sur le volet théâtral de Jean-Marie Doré, mais les derniers évènements montrent qu'il faut rester vigilant jusqu'au bout, et que ses simagrées ne sont pas à prendre à la légère, notamment lorsqu'on fait un rapprochement entre les différents évènements qui suivent, qui permettent de mieux percevoir sa logique d'ensemble.
1°) - Le PM prépare le terrain politique, « amuse la galerie » avec des ballons d'essais (annonces médiatiques pour tester les réactions diverses) sur les modifications qu'il souhaite entreprendre, en vue de rendre le Matap véritablement acteur du deuxième tour des élections.
2°) - Il réunit une Commission inter-institutionnelle pendant près d'une semaine quand même, pour commenter le Protocole d'accord entre la CENI et le Matap du 2 Avril 2009. Mais cette manœuvre poursuit plusieurs objectifs : d'une part, minimiser la CENI en la mettant sur le même plan que les autres entités invitées (CES, CNC, Fossepel, RPG et UFDG, CNT), alors que la CENI est la seule institution compétente en matière d'élections, les autres organisations n'ayant donc rien à y décider de manière autonome. D'autre part, obtenir le remplacement de l'expression « techniquement aidée » figurant dans ce Protocole par le terme « participation ».
Et c'est là que le bât blesse, avec un Ministre qui interprète le sens des mots selon son entendement, et non selon le sens commun. Quel est en effet le sens à donner à l'expression « participation du Matap », qui ne figurait pas dans le Protocole d'accord, en lieu et place de l'expression « techniquement aidée » ? Dans ce dernier cas, on comprend bien que la CENI est maître d'œuvre. Le terme « participation » laisse plutôt entendre une co-gestion (ce que le PM souhaite à tout prix) signifiant que le Matap peut faire au même titre que...
3°) - Finalement on ne décide rien d'autre en apparence. Le PM a quand même essayé en vain, d'obtenir la transformation du Protocole d'accord (qui reste une convention entre deux parties consentantes, la CENI et le Matap) en un texte modifié (mais imposé à la CENI si elle ne le signe pas) en décret. Il est heureux de voir que la CENI ne se laisse pas faire, défendant ses prérogatives avec justesse, et ne tombant pas dans le « piège » du PM.
Le PM rappellera néanmoins sa détermination à avoir des élections correctes, ce qui suppose l'implication du gouvernement (à travers le Matap) dont c'est une des missions dit-il. Il clame qu'il ira jusqu'au bout, avec une motivation sans faille.
4°) - Puis le PM va à l'intérieur du pays prêcher la bonne parole, et demander probablement aux autorités locales de prendre leurs responsabilités, comme il va le faire lui-même. Il les assure qu'ils seront couverts légalement : au Matap de faire sur le terrain, ce qu'un Décret pourra l'autoriser à faire.
5°) - Il revient à Conakry pour éventuellement transformer en Décret (ce serait l'aboutissement de sa démarche), son texte légèrement modifié. Son acharnement à vouloir donner une valeur juridique supérieure à un simple texte, dont on a quand même modifié subrepticement le contenu n'a pas d'autre signification.
Fantasme ….
Même si mon hypothèse sera considérée par certains comme du fantasme pur et simple, je veux leur rappeler deux choses : je ne suis pas omniscient et je me trompe souvent, donc une fois de plus ou de moins n'a pas d'importance ; d'ailleurs je souhaiterais sincèrement me tromper. Mais le PM est tout sauf un imbécile, et le mésestimer serait une grave erreur. C'est pourquoi, mon deuxième point consiste à constater que réunir un certain nombre de personnes pendant près d'une semaine pour ne changer que un ou deux mots dans un texte, en se disant que ce n'était que du vent, serait faire preuve d'arrogance vis-à-vis de cet adversaire de la démocratie. Il ne faut donc pas mésestimer ces agissements.
Pour que le Matap prenne ses responsabilités, autrement dit prenne sur lui de transporter les urnes et les PV par exemple, encore faut-il un semblant de légalité (que ne lui permet pas le Protocole d'accord), d'où la volonté presque obsessionnelle du PM de prendre un texte sous forme de décret, pour lui donner une valeur plus grande. Si d'aventure, il ne le prenait pas (des pressions locales pourraient intervenir en ce sens, notamment du Président de la Transition), rien ne dit que les agents de l'État ne feront pas comme si.
...ou machiavélisme consistant à donner une apparence légale à une sorte de « coup d'état constitutionnel » qui ne dit pas son nom
Si on traduit les propos récents de Mr Kiridi Bangoura, il ne dit pas autre chose, lorsqu'il déclare au nom du candidat du RPG, «...la nécessité de préciser la mission qui lie le Matap au processus électoral. Nous pensons que le niveau de réglementation exigé pour une telle action, c'est le niveau du décret. Nous pensons que c'est un décret du président de la république qui doit être pris instantanément pour réglementer ces relations pour que le Matap joue son rôle et en cas de contentieux, la Cour suprême puisse se positionner sur le décret et non sur un simple protocole d'accord ».
C'est on ne peut plus clair : s'agit-il d'une sorte d'acte manqué ?
Toute l'ambiguïté réside dans le fait que le PM est certes habilité à prendre des décrets, mais sans en préciser le domaine d'intervention (alors qu'on a vu précédemment qu'il ne pouvait pas modifier les prérogatives de la CENI, ni le Président de la Transition d'ailleurs). Dans la confusion de la campagne électorale, entre les cris des uns et des autres, il ne restera le fait que le Matap se sente soutenu à faire les opérations qu'on veut lui faire faire sur le terrain. Ceux qui voudront contester judiciairement cet acte illégal ou les résultats électoraux avant, pendant ou après le 19 Septembre, ne pourront le faire que devant la Cour Suprême qui devra dire le droit.
Loin de moi, l'idée que la Cour Suprême est partiale - d'autres l'ont dit néanmoins -, mais vu la manière dont certains - y compris et surtout les plus hautes instances – considèrent et respectent le droit, il vaut mieux prévenir que guérir. Les magistrats de la Cour Suprême n'ont malgré tout pas pour habitude de remettre en cause l'État, et donc le nouvel ordre établi, et d'autre part, leur décision est non susceptible de recours.
Mais quand bien même la Cour Suprême remettrait en cause la validité de ce texte et/ou des élections, que se passera t-il alors ?
En conclusion
Mon opinion est claire : il ne faut toucher à rien et continuer sur la base des textes existants (le CNT ne va pas remettre en cause en Septembre ce qu'il a décidé en Mai), ce qui évitera bien des fantasmes de part et d'autres.
De manière parfaitement claire aujourd'hui, l'article 132 de la Constitution stipule que : « la CENI est chargée de l’établissement et de la mise à jour du fichier électoral, de l'organisation, du déroulement et de la supervision des opérations de vote.... ».
Pour ceux qui auraient encore des doutes sur la répartition des tâches entre la CENI et le Matap, il faut se souvenir que le texte supérieur par excellence est la Constitution, à laquelle on ne peut déroger. C'est de plus, le texte le plus récent (Mai 2010), donc d'application immédiate, qui abroge toute la législation antérieure, et qui consacre la primauté de la CENI dans l'organisation (toute l'organisation et rien que l'organisation : c'est même sa seule fonction) des élections.
Enfin la CENI est une Institution de niveau identique à toutes les autres institutions, y compris au PM (ce que JMD et de nombreux Guinéens avec lui, n'ont sans doute pas encore compris et intégré !!!), si ce n'est que son domaine d'action est strictement limité aux élections (mais quasiment illimité dans ce domaine) au contraire du pouvoir réglementaire général du PM.
Il est donc temps que le PM comprenne que la nouvelle Constitution institue un pouvoir désormais partagé entre plusieurs institutions (l'époque des leaders irremplaçables et charismatiques qui décident de tout est terminée), et qu'il ne peut donc intervenir dans le domaine électoral qu'à la marge et en complément de la CENI. Toute décision contraire constituerait un casus belli.
Je conseille donc vivement au PM de se rendre compte que ses gesticulations ne font plus rire personne, et qu'elles risquent de s'apparenter de plus en plus à un délit (violation volontaire de la Constitution au sens large) susceptible de faire l'objet d'un renvoi devant la Haute Cour de Justice (article 118 et 119 de la Constitution).
Gandhi, citoyen guinéen
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