Le combat d'une ONG contre l'excision en Guinée
- Par Administrateur ANG
- Le 08/02/2018 à 13:39
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C'est une affaire éminemment féminine mais pour une fois, nous commencerons par le prisme masculin. Il s'appelle Fara Djiba Kamano et dirige l'ONG Accompagnement des forces d'actions sociocommunautaires (Afasco), en Guinée et qui lutte contre l'excision.
Ce sympathique trentenaire a été bien formé. Sa maman, Madeleine Tolno, sage-femme de profession, est l'une des premières activistes guinéennes à se battre contre cette pratique dévastatrice. "J'ai pris le relais, dit-il avec un grand sourire. Ce que ma mère a accompli est un travail noble. Mes deux parents, mon père était enseignant, se sont battus pour cette cause. Il est normal que je poursuive leur action".
97% des femmes sont victimes de mutilations génitales en Guinée, selon l'Unicef
A l'occasion de la Journée internationale de lutte contre l'excision, Fara Djiba Kamano et Finda Iffono qui elle a rejoint le projet "Sauvons les filles de l'excision" de l'ONG Plan International sont venus dans la capitale française afin de témoigner de leur expérience en la matière, succès et résistance. "Ce qui est certain, poursuit Fara, c'est que si vous déboulez dans un village en disant: "il faut arrêter l'excision, vous avez 1% de chances de réussite. Chaque village à sa manière de faire, de penser, ses codes et ses rites. Chaque communauté a ses réalités". 97% des femmes sont victimes de mutilations génitales en Guinée, selon l'Unicef. 200 millions dans le monde et si cette pratique n'est pas définitivement stoppée, elles seront près de 86 millions de filles et de femmes d'ici à 2030.
La pratique est certes féminine mais l'impulsion reste masculine. D'où l'utilité de cette voix, de cet ingénieur agronome de 32 ans, marié, et formé à l'université de Guinée Conakry, élevé par des parents éclairés. "Ma mère est une sage-femme de 70 ans à la retraite. Bien sûr qu'elle aussi a excisé. Mais en 1999, elle a dit stop, je n'excise plus et elle a fondé l'ONG. C'était une mini révolution. Elle a immédiatement reçu des tas de menaces. Mais elle n'a pas cédé et m'a embarqué dans ce combat".
L'excision est entourée de tabou et d'omerta
Un combat qui peut aller jusqu'à la lapidation pour ceux qui tentent de s'y opposer. Un sentiment de solitude accompagne souvent ces combattants du progrès. Mais ces dernières années, le ton change avec l'implication réelle de l'Etat guinéen. "Il s'est finalement décidé à agir à la fin des années 2000, poursuit le directeur de l'Afasco. Sur le plan juridique, un amendement du Code de l'Enfance interdit et condamne cette pratique depuis 2008. Jusqu'à il y a encore trois ans, c'était horrible, notre travail était vraiment compliqué. La première condamnation date de 2016. Le 5 décembre dernier, une femme a été condamnée à deux ans de prison ferme pour avoir exercé ses "talents" sur une fillette de cinq ans qui est morte par la suite". Fara s'énerve. "Elle savait, elle savait mais elle a insisté, elle a nargué les autorités, en quelque sorte. D'où la nécessité de la sanction, conclu, sans appel Fara Djiba Kamano."
Finda Iffono, 35 ans, ne dit pas mieux. Elle comprend l'étendue de ce qui lui arrivée enfant lorsqu'elle accouche de son fils, son premier enfant. "Par césarienne, impossible de faire autrement à cause de l'excision que j'avais subie à l'âge de 13 ans". Il n'est pas forcément aisé de parler de ce genre de chose. D'ailleurs l'excision est entourée de mystère, de tabou et d'omerta. Finda se souvient de cette case où l'attendent des mères et des grands-mères complices et prêtent à tout pour perpétuer ce geste de tradition qu'elles veulent tout autant que ces hommes, immuable. Elle se rappelle cette autre injonction, celle de ne rien dire. Ne pas raconter ce qui s'est déroulée à l'ombre des regards. "
"L'excision n'est pas l'apanage de la religion, c'est culturel et sociétal "
L'excision n'est pas l'apanage de la religion, rappelle-t-elle, c'est culturel et sociétal. La pression est énorme. Ne pas le faire vous marginalise, vous fait montrer du doigt, vous apporte une forme de déshonneur". En Guinée, on y excise dès l'âge de trois ans, même si la plupart le sont entre huit et dix-huit ans. Selon l'ONG Plan International, la pratique la plus fréquente reste l'ablation des lèvres et du clitoris. Mais Finda explique que "tout se déroule dans le cadre très secret de l'intimité du village, et le mode opératoire est donc laissé à l'exciseuse". Ainsi cette dernière a-t-elle toute liberté pour recoudre l'orifice vaginal qui a pour but de le réduire à son minimum vital et de préserver ainsi la virginité de la future mariée. C'est ce qu'on désigne comme la terrible infibulation.
"Nous ne devons plus dépendre de la tradition mais la tradition doit dépendre de nous"
Finda est entrée en résistance. Une guerre sourde qu'elle veut africaine et pas importée des Blancs. "Ça ne marcherait pas". Alors, elle et son équipe, souvent en tandem avec l'ONG de son camarade Fara qui ont uni leurs forces sous la houlette de Plan International, parcourent la préfecture de Kissidougou à 600 kilomètres de Conakry. "On va chercher les femmes sur le terrain, on dialogue beaucoup et on tente de les sensibiliser à cette problématique. On cible nos interventions, jeunes filles, femmes mais aussi hommes du village. Il faut comprendre le poids social de cette tradition. Une femme non excisée peut même avoir honte de ne pas l'être. Elles sont tellement stigmatisées que parfois cela les pousse à demander à subir ce rituel".
L'exciseuse possède le pouvoir. "Elle incarne beaucoup de chose, une forme de savoir, elle inspire la crainte, elle est difficile à combattre". Alors que le monde et l'Afrique sont hyper connectés, que les téléphones portables donc l'ouverture sur le monde via Internet, est de plus en plus accessible, comment expliquer que sur ce point rien ne bouge ou si peu? "Parce que, répondent-ils en cœur, c'est une tradition ancestrale et notre travail consiste justement à démontrer que nous ne devons plus dépendre de la tradition mais que la tradition doit dépendre de nous, que c'est à nous de la faire évoluer".
Par Karen Lajon
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