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La CENI : l'opposition n'a rien fait

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Les nouvelles générations ont du mal à comprendre pourquoi les partis les plus importants de l'opposition (UFDG, UFR, PEDN) se réjouissent de l'élaboration d'une nouvelle CENI.  L'opposition nous a montré ces derniers temps ses mauvais côtés, plus affairée à résoudre les problèmes immédiats qui la concernent, que d'analyser sereinement les défis futurs, y compris ceux qui auront pourtant des conséquences sur son devenir.

Malgré les nombreux avertissements qui ont été faits ici et là, l'opposition – obsédée par la recomposition de la CENI -, n'a pas vu venir les changements réels qui ont été apportés à cette structure - en violation de la loi -, mais qui risquent pourtant de tout changer, sans qu'elle n'y ait prêté garde.

Et contrairement à ce qu'elle prétend, l'opposition s'est une nouvelle fois fait roulée dans la farine, puisqu'au final elle ne disposera que de 10 commissaires au maximum (9 dans l'immédiat) contre 15 pour le pouvoir (inutile de démontrer pourquoi), qui a modifié la loi, en supprimant le consensus, en le remplaçant par une majorité simple. Dès lors, le pouvoir aura beau jeu de dire (via le président de la CENI interposé) que Waymark reste en place.

Rappel des violations passées

Différentes formalités obligatoires ont été bafouées. Ainsi grâce à l'article 157 de la Constitution, le Conseil national de la transition (CNT) a voté une nouvelle loi sur la CENI, alors qu'il n'est ni légitime, ni compétent, et qu'au final, on aurait pu attendre la fin du mandat des membres de la CENI pour faire la recomposition de l'institution. En effet, la nouvelle loi sur la CENI du 17 Septembre 2012 ne trompe personne. Elle a été rédigée par une commission de RPGistes patentés (les fameuses institutions soi-disant représentatives), contresignée - pour lui donner une forme plus présentable – par la seule Rabiatou Serah Diallo, ce qui ne lui confère pourtant aucune légitimité.

Face à cette mascarade, l'opposition n'a rien fait. Il faut entendre cette expression, non pas au sens propre, car l'opposition a multiplié les déclarations, parfois tonitruantes, souvent stériles, et a même organisé une marche pacifique, mais elle n'a rien fait au niveau juridique, pour remettre les choses à plat. Depuis la passivité, voire la lâcheté de la Cour Suprême, qui n'a même pas examiné les recours de l'opposition au second tour des présidentielles, l'opposition entretient des relations de méfiance avec ladite institution. C'est une erreur grossière. La Cour Suprême peut très bien dire le droit – souvent il ne s'agit que de formes à respecter – pour obliger le PRG notamment, à respecter les textes, ce qui réconcilierait la Guinée avec le droit. Dans le cas contraire, la Cour Suprême se décrédibiliserait et se discréditerait définitivement, et la preuve en aurait été rapportée.

Le CNT déjà peu représentatif (les partis politiques ne représentent que 20% des membres de l'organisation), a profité de l'absence de l'opposition (même pas 8 membres sur 150 ???) pour voter – même pas en plénière – un texte ô combien important. Dès lors le consensus entre partis politiques pour élaborer un texte, l'essence même d'une démocratie à la guinéenne, a été balayé par la seule volonté d'Alpha Condé. L'opposition n'a rien fait.

Par ailleurs, l'article 83 de la constitution prévoit la saisine obligatoire par le PRG, de la Cour Suprême avant promulgation, pour vérifier la constitutionnalité du texte. On sait que généralement cette saisine consiste pour Alpha Condé, à appeler directement au téléphone, le président de cette Cour Suprême, pour voir si tout va bien (sic). L'opposition n'a rien fait.

Votée le 17 Septembre, la loi est promulguée le 20, au mépris d'un délai de contestation de 8 jours entre le vote de la loi et sa promulgation (article 78 de la Constitution). Là encore l'opposition n'a rien fait.

Un dixième des membres du CNT (soit 15 personnes), ou l'Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH) peut contester la loi. L'opposition ne représentant même pas 10 personnes au sein du CNT, l'INIDH n'existant pas, l'opposition pouvait arguer que l'article 80 de la Constitution ne pouvait trouver application (impossibilité formelle de contester), dans la situation politique présente. Bien que ce soit un déni de démocratie, l'opposition n'a rien fait.

En définitive, l'opposition n'a pas saisi les nombreuses opportunités – sans évoquer toutes celles qui ont précédé – qui lui étaient offertes de contester les violations de la loi, pour remettre en cause les choses, ou illustrer que l'indépendance judiciaire n'existe pas en Guinée. En conclusion, nous pouvons dire que l'opposition n'a rien fait.

Les œillères de l'opposition

Au-delà de la forme, la nouvelle loi sur la CENI pêche également sur le fond, sur de nombreux points. Rappel non exhaustif de quelques éléments, que l'opposition n'a pas cru devoir contester. A t-elle vu venir le coup tordu du PRG, car ce texte est réellement nouveau, ne serait-ce que sur plusieurs points fondamentaux ?

D'abord des articles ont disparu. Ainsi l'article 3 de la loi 13 d'Octobre 2007, indiquait de façon détaillée les pouvoirs de la CENI, dont la pratique – et le règlement intérieur de l'institution (article 14) - les ont d'ailleurs confiés au président de l'institution. Veut-on réduire les pouvoirs de la CENI ? L'opposition n'a rien fait.

Qui contrôle le fichier électoral, y compris la programmation, dès lors qu'on présente le Matap comme un partenaire technique ? Est-ce le seul président de la CENI (ou 17 commissaires sur 25), qui est habilité par exemple, à remettre en cause l'existence de Waymark, ou est-ce le partenaire technique (le Matap en l'occurrence) ? L'opposition n'a rien fait.

À l'origine (en 2006), la présence des représentants de l'administration au sein de la CENI (et qui y retourneront après leur mandat), s'expliquait par le fait que la constitution d'alors attribuait au Matap et à la CENI, la cogestion du processus électoral. Or, la constitution de 2010 donne l'intégralité de la gestion du processus électoral à la CENI, la présence des commissaires issus de l'administration n'a plus de raison d'être, n'étant plus conforme à l'esprit de la constitution. La nouvelle loi de Septembre 2012 maintient pourtant leur présence. L'opposition n'a rien fait.

Le nouvel article 4 de la loi de 2012 précise que la CENI est composée de personnalités guinéennes reconnues pour leur compétence et leur probité. Comment a donc t-on résolu de mesurer la compétence (notamment juridique) et la probité des futurs commissaires ?

Aux États-Unis par exemple, pour éviter que des personnes compétentes soient remplacées par des incompétents au seul bénéfice de leur appartenance politique (ou ethnique), la procédure contraint le président à obtenir l'accord du Sénat (généralement son opposition) pour les nominations les plus importantes. L'opposition n'a rien fait.

La durée du mandat des commissaires de la CENI, sera désormais de 7 ans non renouvelables pour la future CENI. Cela signifie donc que cette CENI supervisera les élections présidentielles de 2015, mais également celles de 2020. L'opposition n'a rien fait.

De même, le président de la CENI reste omnipotent pour toutes les décisions, puisque non seulement une simple majorité relative (13/25) est requise, mais l'essentiel des décisions est en fait prise par le Bureau, et surtout par le président de la CENI lui-même (article 14 du règlement intérieur). A quoi servent donc les autres commissaires ? Rien n'a été fait dans le nouveau texte pour faire cesser les dérives éventuelles du président de la CENI (dont tout le monde s'accorde à dire qu'il s'agit de l'homme de main du PRG), l'opposition jouera donc les potiches. L'opposition n'a rien fait.

Là aussi, l'article 5 prévoit que le président de la CENI est obligatoirement un des commissaires nommé par la société civile. Il suffisait donc à Alpha Condé – et il ne s'en est même pas caché, car de nombreux textes ont été écrits à ce sujet - de choisir lui-même les 3 membres représentant cette société civile. Aussi le choix de Bakary Fofana n'étonne personne. Là encore, l'opposition n'a rien fait.

Enfin l'article 6 qui laisse entendre qu'à partir de la date de publication au Journal Officiel de la République de la présente loi organique, le mandat des membres de la CENI est terminé, est illégal. Cela revient à dire qu'il suffit d'une loi pour abréger le mandat de personnalités indépendantes. Une loi – le PRG en possède également l'initiative - ne peut pas mettre fin aux fonctions des membres d'une institution indépendante, sinon elle n'est plus indépendante. Or les institutions – la CENI en est une – sont constitutionnellement indépendantes, et leur existence (création, dissolution, modification) ne dépendent pas du PRG, mais des textes. Imagine t-on le PRG faire voter une loi pour abréger le mandat des juges de la Cour Suprême ? Là encore, l'opposition n'a rien fait.

Que pouvait faire l'opposition et comment ?

L'opposition devait d'abord rehausser sa crédibilité, plus préoccupée à imposer sa liste de candidats (même si elle a raison sur le fond), que de faire respecter la constitution. Elle devait montrer à son violeur invétéré, que le règne des autocrates est passé. C'est même une obligation pour elle, d'agir sur le terrain juridique, non seulement pour faire respecter les textes, se faire respecter elle-même (à force de faire des déclarations tonitruantes, ne rien faire ensuite achèverait sa crédibilité), et agir pour l'avenir, en montrant qu'elle peut également contester autrement que par la rue. Comme elle refuse d'utiliser les voies judiciaires, qui constituent pourtant l'une des voies pacifiques de règlement des conflits, il ne lui reste que la rue. C'est un mauvais message envoyé aux démocrates.

L'opposition parle beaucoup, mais n'agit pas sur le terrain judiciaire (voir précédemment). Concrètement, elle pouvait, et elle devait contester la nouvelle loi sur la CENI pour des raisons déjà évoquées sur le fonds, comme sur la forme, ne serait-ce que pour mettre la Cour Suprême devant ses responsabilités. Ou la Cour Suprême rétablit un semblant de droit que le PRG viole allègrement, et un État de droit peut espérer voir le jour. Ou la Cour Suprême ne se comporte pas, comme la plus haute institution, garante de l'équilibre des pouvoirs qu'elle devrait être, et dans ce cas, l'opposition aura toutes les raisons de vouloir changer ce régime par la rue.

Par ailleurs, en montrant que le droit ne l'intéresse pas, l'opposition ne fait pas rêver, et laisse entrevoir qu'elle se comporterait – au moins théoriquement - de la même manière que le régime actuel, sur le respect des textes. C'est pire que décevant.

Par principe, et il faut obligatoirement le rappeler – c'est-à-dire utiliser la Cour Suprême pour se faire -, Alpha Condé n'est pas habilité à déclarer qui fait partie ou non de l'opposition. Si l'UFDG avait déclaré faire partie de la mouvance présidentielle, à quel titre l'aurait-on contesté ? D'ailleurs pourquoi l'UFDG n'a t-elle pas déclaré appartenir à la mouvance présidentielle.... pour mettre le régime devant ses contradictions ?

Certains diront qu'avec 10 commissaires sur 25, l'opposition s'est de toutes façons faite roulée dans la farine, et qu'elle n'est plus à une personne près. C'est oublier un peu vite qu'on a remplacé le pouvoir exorbitant du président de la CENI sur l'annulation de certains PV (réforme de l'article 162 du Code électoral), par une majorité des 2/3 des commissaires (soit 17 personnes). Avec un collège de 16 personnes, il ne reste plus qu'une seule personne à « influencer » (corrompre serait excessif), pour annuler – pour vice de forme par exemple -, les PV de Labé, de Ratoma et/ou de Boké par exemple. Il ne faut rien donc négliger.

L'opposition doit donc remettre à plat les problèmes restés en suspens (voir quelques uns d'entre eux ci-dessus), qui vont inévitablement entraîner des tensions futures. Autant perdre un peu de temps pour régler les problèmes maintenant, que de se précipiter pour des élections qui, de toutes façons, n'auront pas lieu paisiblement, et encore moins si Waymark est maintenu. L'objectif de la recomposition de la CENI était de remettre les choses à plat. Si les règles de majorité ont changé dans un sens plus défavorable à la représentation démocratique, cela ne présente plus aucun intérêt.

Comme je l'ai suggéré dans un texte précédent, un compromis pourrait être possible sachant que la mouvance et l'opposition ne souhaitent respectivement ni Sagem, ni Waymark. Il est donc possible, sans repasser par la procédure d'appel d'offres - en vue de gagner du temps -, car ce n'est qu'une question de volonté politique et d'organisation, d'en revenir à des élections « manuelles », débarrassées des kits et autres matériels informatiques. Aura t-on ce courage ?

Comment peut-elle y arriver ?

Grâce à la loi. En effet, selon l'article 15 de la loi du 17 Septembre 2012 sur la CENI, il est nécessaire d'obtenir un quorum des 2/3 des 25 voix pour siéger à la CENI (soit 17 personnes), donc pour décider valablement. Autrement dit, si l'opposition refuse de mettre en place la CENI (prestation de serment et établissement du Bureau), tant que tous les problèmes ne sont pas résolus, la nouvelle CENI ne sera pas opérationnelle. À l'opposition de profiter de cette disposition de la loi (à ne pas confondre avec l'article 7 du même texte, qui permet ensuite à la CENI de fonctionner, même en l'absence des commissaires « dits » de l'opposition), car c'est sa dernière chance, avant de n'avoir que la rue pour se faire entendre.

La prestation de serment et l'élection du Bureau : l'opposition pitoyable

Malheureusement en participant à la prestation de serment et à l'élection du Bureau, l'opposition reconnaît de fait que toutes les violations ci-dessus indiquées n'ont pas d'importance. Elle se décrédibilise ainsi complètement. L'opposition estime sans doute qu'elle pourra agir au sein de l'institution, comme elle l'a fait auparavant. Elle oublie qu'elle n'a plus la loi pour elle. Sans doute considère t-elle, que nous sommes dans une république bananière, et que seuls les rapports de force comptent. Ce n'est pas un mauvais calcul, si l'on considère qu'Alpha Condé n'est sensible qu'à ça, mais si l'on peut résoudre les difficultés pacifiquement, c'est quand même mieux que de faire des « sacrifices humains » à l'occasion de manifestations de rue. L'opposition oublie un peu trop facilement qu'une quinzaine de personnes sont mortes pour des élections crédibles.

Pourtant elle était prévenue, et elle a appris à ses dépens que lorsqu'Alpha Condé est prêt, tout s'accélère d'un coup, et au moment où l'opposition devrait être particulièrement vigilante, elle multiplie les erreurs navrantes et invraisemblables.

J'ai expliqué dans un texte précédent, que l'unité de l'opposition était une bonne chose, mais difficile à réaliser - leurs atermoiements et contradictions l'illustre à merveille -, d'où ma préférence pour la prise en compte des résultats électoraux de 2010 (les seuls crédibles). Un seul individu au sein de l'opposition qui ne représente que lui-même, ou pas grand chose, peut mettre à mal la stratégie du plus grand parti d'opposition, car il possède le même nombre de commissaires. Si l'UFDG – qui n'est pas capable de défendre ses intérêts pourtant légitimes - avait eu ses 6 à 7 commissaires correspondant à la réalité électorale (les 2/3 de l'opposition), une unité d'action eût sans doute été possible.

Les mésententes de l'opposition s'illustrent d'autant, que Bakary Fofana a été élu par 15 voix contre 5, alors que la mouvance ne disposait que 9 voix (Ibrahima Kalil Keita absent), auxquelles on peut ajouter les deux de l'administration, et les deux de la Société civile (on imagine que Kader Aziz Camara a voté pour lui-même, bien que... nous ne soyons sûr de rien). Dans cette hypothèse, cela signifie que deux voix au minimum de l'opposition « formelle » (au moins celui de l'UPG, la fausse opposition) ont voté pour Bakary Fofana. Cherchez l'erreur.

Il va falloir que les membres de l'opposition s'expriment. On veut savoir qui a accepté d'aller à la prestation de serment, et qui a donc torpillé tout le travail entrepris jusqu'à maintenant. Il ne reste plus que la rue désormais pour se faire entendre sur le fichier électoral et l'opérateur Waymark, car en reconnaissant de fait la légitimité de cette nouvelle CENI, l'opposition se met en position défavorable. Désormais la CENI est « légalisée » et les textes sont clairs : son président décide de tout. Les opinions publiques interne et externe auront donc bien du mal à comprendre, pourquoi les problèmes n'ont pas été résolus pacifiquement, alors que c'était possible, pour lui préférer la rue.

Bakary Fofana a déjà déclaré, qu'il fallait aller très vite, parce qu'il est réellement pressé d'organiser les législatives. C'est sans doute pour cela qu'Alpha Condé ne respecte pas les règles et la loi électorale, prévues par la constitution, en prenant le risque d'un recours devant la Cour Suprême, qui retarderait d'autant celles-ci. Évidemment si l'opposition est également pressée d'aller aux élections...

La logique d'Alpha Condé est d'aller vite, afin que l'opposition n'ait pas le temps de réagir, et pour éviter de parler de l'essentiel, le fichier électoral et Waymark. Même la cérémonie de prestation de serment ne devait pas avoir lieu, vu que le Décret de nomination des commissaires n'est pas encore publié au Journal Officiel. A ce tarif là, on va nous annoncer que les élections, c'est pour dimanche prochain...

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

Haroun Gandhi Barry

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