L’excision en plein jour à Conakry, en toute impunité
- Par Administrateur ANG
- Le 22/09/2016 à 12:44
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La saison des pluies tire vers la fin en Guinée, mais celle de l’excision bat encore son plein. On se rapproche du mois d’octobre. Conakry bénéficie d’éclaircies. L’air est toujours humide, parfois irrespirable dans cette vaste décharge à ciel ouvert que devient progressivement la capitale guinéenne, où les mares de boue le disputent aux ordures jonchant les rues mais aussi aux gigantesques embouteillages quotidiens. Et en marge de ce train-train habituel, les destins de milliers de femmes basculent dans une indifférence nationale aussi douloureuse qu’inacceptable.
Il est environ 16h ce mardi 20 septembre. Dans le quartier de Simambossia au nord de la capitale, de jeunes adolescentes, vêtues de leur pagne aux motifs uniformes traversent la rue. Accompagnées de plusieurs adultes portant en équilibre des seaux sur la tête, la plus âgée ne doit pas avoir 18 ans.
Le pagne noué au dessus de leur poitrine naissante, est un signe distinctif de leur nouveau statut : ce sont désormais des femmes aux yeux de leurs compatriotes. Un rituel d’excision – pourtant interdit par la loi – vient de se dérouler en pleine journée.
Le spectacle est répulsif, saisissant et l’on peut décemment penser que les protagonistes de cette scène se cachent en fait dans les confins d’un village guinéen. Pas du tout : nous sommes à Conakry et tout le monde sait ce qui vient de se produire.
L’inefficacité des campagnes de sensibilisation
Si l’on tendait l’oreille, on pourrait presque entendre partout en Guinée le bruit des clitoris que l’on coupe, nerveusement comme pour leur reprocher d’avoir été là, et que l’on jette dans des seaux contenant déjà plusieurs lambeaux sanguinolents de chair humaine. Selon un rapport de l’Unicef datant de 2013, la Guinée avec un taux de prévalence de 96% des femmes, est le deuxième pays au monde à pratiquer les mutilations génitales féminines (MGF), juste après la Somalie (98%).
Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, l’excision va bon train en dépit de toutes les campagnes, de sensibilisation – affichages, spots radiotélévisés, dialogues intracommunautaires, etc – qui, il faut le dire, ont largement échoué dans leur objectif. Le déclic n’a toujours pas eu lieu et les mentalités restent rigides, imperméables à toute tentative d’explication rationnelle de la nocivité des MGF.
Il est d’ailleurs courant de rencontrer de jeunes gens scolarisés clamer les bienfaits de l’excision et réprouver toutes les jeunes femmes qui ne s’y soumettent pas, les accusant d’être « impures ». La société guinéenne demeure globalement favorable au maintien des MGF et plus celles-ci sont décriées dans des campagnes nationales de sensibilisation, aussi répétitives qu’inefficaces, plus la population semble s’y agripper, voyant dans leur négation la main coupable de l’Occident impérialiste contre des coutumes ancestrales.
Un État transparent
Sur la question, le contexte législatif flou et imprécis n’aide pas la lutte contre la pratique. La loi L/2000/010/AN du 10 juillet 2000 adoptant et promulguant la Loi portant sur la Santé de la Reproduction, indique à l’article 13 que « sous réserve des dispositions du Code pénal, les actes attentatoires aux droits en matière de santé sexuelle seront incriminés et pénalement réprimés. »
Mais il faut aller plus loin pour lire que parmi ces actes attentatoires figurent en particulier toutes les mutilations génitales féminines et la pédophilie. D’une façon générale, les exciseuses, des matrones respectées dans leur communauté, ne sont jamais pénalement poursuivies. On a tôt fait d’intercéder en leur faveur, arguant leur illettrisme, quand bien même on leur a trouvé des activités de substitution dans lesquelles elles n’ont tenu que quelques mois car bien moins rentables que l’excision.
Conséquence : le laxisme des autorités guinéennes a fait le lit de la récente recrudescence de l’excision. La complaisance de l’État a favorisé une relocalisation de celles-ci dans la capitale, au vu et au su de tous, en toute impunité.
Insupportable consentement collectif
Les vacances scolaires sont la période désignée de l’excision dans le pays. De cette façon, les jeunes filles concernées n’ont pas à s’absenter de l’école le temps de la guérison. Puisque les vacances coïncident avec l’hivernage, on estime qu’il est préférable pour les jeunes mutilées de faire leur convalescence avant la cuisante chaleur de la saison sèche.
Un « rétablissement » dans de meilleures conditions climatiques qui se veut comme une petite consolation après la fulgurante douleur ressentie lors de l’opération. Celle-ci a lieu la plupart du temps sans aucune anesthésie, dans des conditions extrêmes de précarité. Une natte rapidement jetée à même le sol, un pagne à la propreté douteuse, très souvent une lame qui a déjà servi. Le temps d’ouvrir les cuisses de la pré-pubère et la brûlure a lieu. Un clitoris à jamais volé, une féminité contrariée.
Tout cela se déroule dans un insupportable consentement collectif. Les Guinéens ont coutume de dire que l’on ne parviendra pas à éradiquer l’excision par la force. Il semble aussi, que la manière douce et la sensibilisation ne porte pas fruit. Plusieurs villages dans les préfectures de Labé, Kankan, Faranah ont promis de ne plus exciser leurs filles, puis ont repris cette activité après le départ des ONG impliquées dans la lutte.
Le problème de la perception de la Guinéenne
Il n’est en rien étonnant que le combat contre les MGF soit si entravé en Guinée. Arrêter l’excision, signifie dans le pays perdre le contrôle sur la sexualité d’un individu que la société considère comme sa propriété.
Car s’il y a bien une chose dont on peut être sûr, c’est que la société guinéenne a un profond problème dans la perception de sa ressortissante. La Guinéenne est confrontée à un paternalisme figé. On a du mal à la voir comme une citoyenne à part entière, libre d’effectuer ses choix. Globalement, il y a une certaine promptitude à lui dicter (ou à lui conseiller dans le meilleur des cas) la meilleure manière de trouver un mari, de trouver un emploi, etc. De sorte que même si elle réalise ses propres décisions, elle ira tout de même chercher l’approbation d’un mâle dans son entourage : un père, un frère, un oncle, etc, pour conforter ses choix.
La femme guinéenne souffre d’un manque de représentativité dans les institutions, si bien que sa voix ne porte pas. Dans les médias, on lui alloue de facto un rôle maternel. C’est la mère de la nation, sans plus.
Le problème ne vient pas que des hommes, les Guinéennes sont aussi leur propre bourreau. Le système patriarcal les a tant formatées mentalement et socialement, qu’elles se complaisent dans des injustices qu’elles vivent au quotidien et qu’elles s’acharnent ensuite à reproduire sur leur progéniture féminine (excision, sororat, etc.).
Le mal est profond, abyssal. Il perdurera tant que, dans les structures éducatives privées et publiques, on continuera d’omettre d’enseigner à la femme guinéenne qu’elle est un individu libre, qui n’a aucune obligation de soumission.
Dieretou Diallo est journaliste, présidente du collectif "Guinéenne du XXIe siècle" et blogueuse.
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