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L’Alpha (Condé) et l’oméga

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Epilogue d’une visite de travail de 5 jours, la conférence de presse donnée hier mardi par le président guinéen Alpha Condé dans un salon de l’hôtel Raphaël, palace parisien au chic désuet voisin de l’Arc de Triomphe, laisse une tenace sensation de malaise.

L’exercice avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices. Réfractaire à la pompe en vigueur dans ce genre de cérémonial, l’ancien « opposant historique » vient saluer chacun des journalistes présents, gourmandant l’un, apostrophant l’autre sur un ton familier.

Mélange de rugosité et de fraîcheur, son propos liminaire puise à la même source, quitte à rudoyer son entourage. « Il est vrai que mon gouvernement ne brille pas par la qualité de sa communication, concède le ‘patron’. Et je me vois obligé de surveiller chaque ministre comme le lait sur le feu. » En clair : je dois tout faire moi-même, sinon c’est le bazar. Habillés pour la saison des pluies, les intéressés apprécieront. D’autant que celui qui, fin 2010, hérita d’une patrie en lambeaux, anéantie par un demi-siècle de dictature militaro-clanique, enfoncera le clou. « Je n’ai aucun complexe à faire venir des Blancs chez moi. Nous n’avons pas les compétences et sommes à ce stade incapables de gérer le pays. Il ne faut pas avoir honte de ses faiblesses. » Voilà qui a au moins le mérite de rompre avec la langue de bois d’akoumé, de teck ou d’acajou d’ordinaire en usage. De même, comment ne pas souscrire au courroux d’« Alpha », 74 ans, quand il préconise une riposte vigoureuse mais africaine au funeste essor du cancer djihadiste dans le Nord-Mali?

C’est après que ça se gâte. Pour m’être enquis du calendrier d’un scrutin législatif qui aurait dû être convoqué dans les six mois suivant l’investiture, soit il y a plus d’un an dernier carat, j’eus droit à une longue tirade contre les ténors de l’opposition -« tous ces anciens Premiers ministres qui ont mis le pays à genoux ». « Les législatives, ce n’est pas mon affaire, tranche l’orateur, mais celle des partis politiques. Moi, j’ai été élu par le peuple guinéen. » Nous qui croyions bêtement que le président de la République, docteur d’Etat en droit public à la Sorbonne dans une vie antérieure, avait aussi pour mission de garantir le fonctionnement régulier des institutions… La sortie paraît d’autant plus insolite que, la veille, lors de la rencontre à l’Elysée avec « son ami François Hollande », le même Condé s’était montré conciliant, priant au passage Pari d’appuyer les efforts entrepris en la matière par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF); et que dans un entretien accordé à l’AFP, il s’engageait à « tout faire pour que les élections se tiennent avant la fin de l’année ». La fin de l’année, soit. Mais laquelle ? S’il flétrit volontiers la « démocratie à géométrie variable », l’enfant de Boké ne craint pas d’en enrichir le manuel. Ainsi, pour justifier son hostilité à la tenue à Kinshasa du 14e sommet de l’OIF, il invoque le dévoiement -patent et grossier d’ailleurs- du processus électoral en République démocratique du Congo.

Interrogé sur l’impunité dont jouissent encore maints acteurs-clés du massacre perpétré à l’automne 2009 par les séides du putschiste Moussa Dadis Camara au stade de Conakry, théâtre d’un rassemblement d’opposants, Alpha Condé avance deux arguments sidérants. Un, il faut laisser œuvrer une justice guinéenne qualifiée quelques minutes auparavant de « complètement pourrie ». Deux, celui qui a connu la prison, l’exil et une sentence de mort par contumace refuse de « s’enfermer dans le 28 septembre. » « Il y a eu beaucoup d’autres crimes avant, assène-t-il. Les victimes du camp Boiro [cloaque et mouroir où périrent des milliers de dissidents réels ou supposés sous Ahmed Sékou Touré] sont devenues bourreaux ensuite. Un mort vaut un mort. ». Et un assassin impuni en annonce dix autres…

Au fond, le drame d’Alpha Condé, c’est de n’être jamais vraiment descendu des estrades électorales. De céder trop souvent encore aux délices et aux poisons d’une logomachie nationaliste et populiste. Plutôt que de consacrer toute son énergie -et Dieu sait qu’il n’en manque pas- à panser, avec tous les compatriotes de bonne volonté, les plaies d’une nation meurtrie. Et Dieu sait qu’elles ne manquent pas.

 

Vincent Hugeux

Source: L'Express

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