IBOU TOURÉ NOUS A QUITTÉ : Il fut l'homme de famille et le patriote prodige
- Par Administrateur ANG
- Le 11/10/2010 à 07:44
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Quand le baobab s'effondre, du village s'élève des clameurs d'inquiétude. On se demande que faire sans le géant qui protégeait de son ombre. Il en est de même de l'ainé ou de l'ainée qui s'en va. On s'interroge toujours et on regarde autour de soi, égaré, avec la même sourde mais muette clameur d'inquiétude.
Ibrahima Kalil Touré est tombé à l'âge de 60 ans, laissant derrière lui autant d'amertume que de joie. L'amertume d'un départ inattendue et d'attentes inaccomplies. La joie du simple bonheur de l'avoir connu, d'avoir entendu sa voie suave et douce te susurrer, « Petit, je suis le grand frère mais surtout pas le grand frère du genre de l'hyène, la naïve éternelle (fory khalounma)».
C'était peu dire pour tout dire. Car l'homme était intelligent et de bons conseils ; l'homme était gentil et débonnaire ; l'homme était protecteur … Que pouvait-on attendre de mieux d'un frère, d'un père, d'un mari, d'un ami … de la simple connaissance qu'il a pu être pour les uns et les autres et qui prenait à cœur de donner un moment de bonheur ? Cette description partielle révèle le parcours de celui que tout le monde appelle « Ibou ». Parce qu'il dédaignait les étiquettes distinctives.
Alors que l'on murmure « que la terre lui soit légère », marquons les points de souvenir pour mémoire.
Il fut et reste l'ainé du Dr. Abdoulaye Touré, celui-là même qui a contribué au développement de la diplomatie guinéenne des décennies durant. Sans nul doute, l'homme a su léguer à son premier-né le sens du devoir, de l'humilité, de la conciliation et du tact. Ces qualités qui construisent le respect de l'homme pour les autres, ses semblables. Celui-ci qui se met au service des autres et de sa patrie sans compter les efforts à déployer.
L'homme hérite naturellement, aussi, de la tendresse et de la sociabilité inhérentes à la personnalité d'une Sagefemme, Hadja Mabinty Touré, qui lui insuffle la hauteur humble mais fière du Moréah. Notre homme est, sans nul doute, un pur produit socio-historique et culturel guinéen. Le sachant, l'on comprend mieux …
Né à Mamou le 03 Septembre 1950, Ibou Touré a obtenu son diplôme à l'École nationale d'administration – Ena - de l'université Polytechnique Gamal Abdel Nasser de Conakry. La faculté qu'il fréquente y porte l'appellation d'Écofi - Économie-finance. Sa promotion privilégiée est baptisée « Samory », du nom de son arrière grand-père l'Almamy Samory Touré, le Fama de Sanankörö et plus tard l'Empereur du Wassoulou. Cette promotion donne à la Guinée de nombreux cadres supérieurs qui dirigent les banques et les entreprises nationales du pays. Modestement, il choisit d'être Commissaire de police, à l'aéroport de Kankan. On se souvient encore du commissaire Ibou Touré, à Kankan, où ses bienfaits n'ont pas été effacés par le temps.
Après Kankan, c'est le ministère de la Coopération. Ses talents s'y affutent. Il ne lui prendra pas longtemps pour se faire remarquer et entrer en diplomatie. De l'ambassade d'Ottawa au Canada, Ibou Touré est envoyé à New-York aux États-Unis d'Amérique.
Le destin change le cours de sa vie à la mort du président Ahmed Sékou Touré. Suite à la prise du pouvoir par l'armée, en 1984, son père Abdoulaye Touré, alors ministre des Affaires étrangères, est arrêté avec tous les membres du dernier gouvernement du premier président de la République de Guinée. Ils sont enfermés à la prison de Kindia, puis exécutés sans autres formes de procès en Juillet 1985. La tentative de prise de pouvoir au sein de l'armée par le Colonel Diarra a mis sur la sellette sa famille en partie originaire de l'ethnie malinké.
Quand la maison dans laquelle on vit brule on en sort. Au prix de devoir la reconstruire plus tard.
Ibou Touré choisit donc, à son corps défendant, l'exil. Sa famille se disperse entre Les États-Unis d'Amérique, l'Angleterre, et plus tard la Cote d'Ivoire, le Burundi, le Canada… Cependant son appartement de New-York devient le foyer familial. Frères et sœurs viennent s'y ressourcer.
Aux États-Unis d'Amérique, Ibou Touré renoue avec ses premiers idéaux d'humanisme en travaillant dans les services sociaux à la mairie de New-York. Ses 20 années de loyaux services ont permis à un nombre incalculable de Guinéens et d'africains d'y trouver un refuge confortable. Il prodiguait son soutien, souvent financier et matériels, ses conseils et ses directives. La communauté africaine de New-York en témoigne largement. La reconnaissance des États-Unis d'Amérique, en la mairie de New-York, est une retraite confortable. Il planifie alors son retour au pays natal.
En 2007, Ibou Touré décide qu'il a vécu un peu trop longtemps en exil. « Petit, je vais rentrer au pays. Je vais y apporter ma petite expérience … Je pourrais briguer la mairie de Kankan et y amener les investisseurs américains … Et puis la maison du père est à finir pour y rassembler sa famille … Celle de la maman aussi, …Je vais prendre mes responsabilités à tous les niveaux … Bousculer quoi ! Le Fori, le grand frère - et non l'hyène, l'ainée naïve - prend les choses en main. » Dit-il, au téléphone, avec son humour coutumier. Le décès de leur mère, en 2003, l'y avait suffisamment préparé.
Entretemps, 30 années étaient passées. Sans combler les espoirs, le régime du Général Lansana Conté était à son déclin. Quand il rentre en Guinée, c'est pour retrouver son pays encore en devenir, empêtré dans les toiles d'araignées démones. « Après tant d'années, je peux encore me promener seul à Conakry sans guide. Rien a changé … » commente t-il tristement, quelques semaines après son retour.
Il n'aura pas le temps de réaliser ses ambitions pour Kankan. Ibou Touré est sollicité pour la mise en place et la Coordination du Projet d'enregistrement et de révision des listes électorales (Perle) en 2007 dont l'objectif est la préparation des élections nationales en Guinée. Grâce à un travail opiniâtre et nationaliste, il y réussit pleinement. Les jeunes militaires qui prennent le pouvoir à la mort du Général Lansana Conté en décembre 2007, reconnaissent sa valeur. Il poursuit sa tâche jusqu'au moment où, une crise cardiaque a raison de son énergie abondante, le 28 septembre 2010. Il en succombe le 08 octobre 2010, laissant derrière quatre enfants.
Les dates de son décès sont proches des grandes dates de l'histoire guinéenne. Des signes ? Des signes subjectivement interprétés. Peut-être ! Mais elles coïncident avec la réalité des faits : Cet homme a bien accompli sa tâche au service de l'humanité et de son pays.
Ibou Touré s'en est allé, certes, mais son aura et ses accomplissements demeureront vivaces. Plus que tout, sa chaleur humaine - que nous conservons - servira à galvaniser nos énergies.
Une larme tombe sur mon clavier le souvenir de cet homme m'envahit et je dois m'arrêter. Dans ma tête et autour de moi, il me semble entendre sa voie gouailleuse me dire dans un souffle : « Petit, je te l'avais dit, tu écriras mon oraison funèbre …» Non ! Je n'ai pas écrit ton oraison funèbre Fori, … J'ai témoigné... Parce que tout ce que j'ai dit, tu me l'as fait découvrir.
L'interrogation infuse et diffuse que tu nous laisses se résume en celle-ci : Comment retenir tout ce qu'on veut de toi ? Pour cet homme qui a toujours évité les spotlights pour mieux servir, et tous les autres, qui ont donné d'eux-mêmes, la Guinée doit réussir sa transition démocratique. D'où qu'il soit, il a le mérite de voir la génération future et ses quatre enfants en profiter. Alors … Alors … Son sacrifice n'aurait pas été vain. Inch'Allah ! Que cela soit écrit et accompli, grand-frère Ibou.
O. Tity Faye
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