La diaspora et l’investissement privé
- Par Administrateur ANG
- Le 28/01/2012 à 14:00
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C'est pour faire plaisir à quelques internautes qui m'ont demandé de publier ma communication à la Conférence-débat sur le rôle et la place de la diaspora pour le développement socio-économique de la Guinée du 14 Janvier dernier , que je le fais ici, en ayant fait quelques retouches, eu égard aux déclarations de Patrice Kourouma, Conseiller du PRG pour les Guinéens de l'Extérieur, présent également à cette réunion comme conférencier.
Introduction
On connaît désormais la distinction entre l'origine des migrations guinéennes à l'étranger (politique, puis économique), ce qui nous permet de distinguer les différentes diasporas, des migrants temporaires. On connaît les bienfaits que la diaspora en général , celle de Guinée en particulier a apporté pour son pays. Des exemples vous ont été montrés sur ce que la diaspora peut apporter. Même si on n'a pas évoqué la diaspora chinoise ou indienne, de nombreuses études ont montré que ce sont elles, qui ont dynamisé le décollage de la Chine, devenue aujourd'hui la deuxième puissance économique mondiale en attendant mieux, et le développement continu de la plus grande démocratie du monde.
Après avoir rappelé rapidement les problèmes entre la diaspora et l'État guinéen de manière générale depuis 1958, j'essaierai de voir ce que ce nouveau régime fait concrètement pour sa diaspora, puis je m'intéresserai particulièrement à des mesures concrètes attendues de ce gouvernement pour développer la création de PME, tout en évoquant ce que la diaspora peut faire elle-même de son côté pour favoriser ces créations. Enfin je conclurai en expliquant la frilosité des investisseurs privés à s'engager, tout en constatant des motifs d'optimisme pour un avenir plus lointain.
LES FACTEURS BLOQUANTS
L'administration guinéenne n'est pas un auxiliaire de développement au service de l'État, au regard des pays modernes. Héritière de pratiques coloniales basées sur les notions de répression, d'intimidation et d'infantilisation des administrés, l'État guinéen reste encore fondamentalement bureaucratique et improductif.
Les facteurs bloquants auxquels les Guinéens de l'extérieur sont confrontés en Guinée sont
invariablement :
? la corruption généralisée compromettant la moindre démarche administrative,
? l'indifférence voire le mépris opposés, même pour les cas urgents,
? les tracasseries des forces de défense et de sécurité et de la douane,
? l'absentéisme chronique et les lenteurs administratives,
? le manque d'interlocuteurs crédibles pour les projets d'investissement.
Faire de la diaspora un vrai levier pour le développement du pays d'origine suppose une vraie politique. Au lieu de critiquer (même s'il faut le faire pour d'autres raisons) et de diaboliser les mesures prises par certains pays européens vis-à-vis de l'immigration, il faut d'abord balayer devant sa porte.
La diaspora peut aider l'État guinéen à se réorganiser (à condition qu'il l'entende). Cela fait partie des ambitions affichées par la diaspora, étant entendu que personne n'ignore les nombreux dysfonctionnements de l'administration, dénoncés de manière récurrente par les opérateurs économiques et les investisseurs étrangers, dysfonctionnements qui affectent dangereusement le climat des affaires et influent négativement sur le « risque pays ». La diaspora dans sa diversité devrait pouvoir apporter, en lieu et place des institutions financières internationales, son expertise pour accompagner l'État guinéen dans sa quête de modernité et de crédibilité.
CE QUE L'ÉTAT GUINÉEN FAIT AUJOURD'HUI
Des Portes ouvertes ont eu lieu du 5 au 7 Septembre 2011 à Conakry pour présenter le nouveau Ministère délégué chargé des Guinéens de l'étranger.
Du 20 au 22 Octobre 2011, s'est tenue toujours à Conakry, une Table ronde des investisseurs, organisée par ce Ministère, en vue de poser la problématique de l'incitation à l'investissement des Guinéens vivant hors de la Guinée.
Des Guinéens jusque là exclus (en témoigne leur non participation aux élections législatives par exemple, même si rien n'est décidé encore, peut-on dire), qui pourtant, peuvent jouer beaucoup dans le développement de la Guinée. Un pays de forte tradition migratoire avec une population d'émigrés estimée à près de trois millions de personnes , réparties sur tous les continents.
Il s'agit de mettre en œuvre des échanges, axés sur la création de structures socio-économiques fonctionnelles (banques, habitations, entreprises), pour faciliter, promouvoir et protéger les investissements générés par les Guinéens de l'étranger.
La nécessité de faire l'état des lieux, de prendre en compte les préoccupations des Guinéens de l'étranger, d'œuvrer à leur implication effective à la politique nationale de développement économique, sociale et culturelle, devrait constituer l'une des priorités du gouvernement. C'est ce qu'il fait, nous dit-on.
Au cours de cette table ronde de 3 jours, différentes communications ont été faites sur la structure du Ministère délégué en charge des Guinéens de l'étranger :
? les opportunités d'investissement en Guinée (on ignore où elles sont et pour qui ? Est-ce-à-dire qu'un entrepreneur ne peut pas choisir son secteur d'activités ?),
? la problématique de la mobilisation des fonds de la diaspora pour le financement du développement, un accord signé avec la banque centrale du Maroc devant permettre aux Guinéens de faire venir leur argent à moindre frais. Le conseiller du PRG a illustré que pour un transfert de 3500€, les frais ne seraient que de 8€, dont 2€ pour l'État guinéen. Le problème est que si demain un Guinéen veut transférer 100€ seulement, non seulement on ignore le coût fixe (toujours 8€ ?), mais surtout on ignore à quelle banque il faut s'adresser pour le faire à ce coût (le conseiller n'a pas répondu).
? l'adoption d'une politique d'acquisition de la propriété foncière et du logement en leur faveur, un projet de construction de 30 000 logements avec une société de droit portugais du nom de « Madaleno » existe (là encore, pas d'information précise, qu'achète t-on, où, comment et à partir de quand ?),
? le logiciel de recensement des Guinéens de l'étranger dans 111 pays, dont 33 pays européens et 44 africains (pourra t-on recenser les 3 millions de Guinéens ?),
? la promotion et la protection des cadres guinéens travaillant dans les organisations internationales,
? la mobilisation de l'intelligentsia guinéenne (quand on veut séduire, on ne reste pas assis sur une chaise, mais on va au devant d'elle),
? et surtout leur politique de rapatriement , d'insertion et/ou de réinsertion.
A la suite de cette table ronde, s'est tenu à Conakry du 28 au 29 Décembre, le grand Forum des Guinéens de l'étranger, qui n'a pas laissé de souvenir impérissable, car la presse en a peu parlé sauf pour critiquer. Je ne sais donc pas ce qui s'y est passé concrètement. Là encore, le service de presse devrait être plus performant.
Ainsi un communiqué indique : « ce forum consiste à mobiliser l'ensemble des commissions techniques autour des préparatifs en matière de textes portant sur les procédures et les règlements régissant les investissements des compatriotes de la diaspora en Guinée. Les membres seront choisis parmi les délégués venant des 111 pays sur la base du consensus des participants ».
Cela signifie donc qu'on brasse beaucoup de vent, mais au final qu'est ce qui est concret ?
A titre personnel, je ne vais pas aborder les problèmes spécifiques des Guinéens de l'extérieur, qui n'ont pas été abordés jusqu'ici :
? une meilleure desserte par les compagnies aériennes à un prix abordable,
? la problématique de l'état-civil (double nationalité par exemple),
? la création d'une structure bancaire spécifique (comptes en devises),
? les facilités d'accueil (visa, laissez-passer), d'information et d'orientation,
? la protection sociale (une relecture des conventions bilatérales s'impose).
Il faut néanmoins mettre en place certaines mesures comme des mécanismes d'information, de conseil ou d'orientation pour les candidats investisseurs, la création de fondations, alimentées en partie par l'épargne des émigrés, pour financer des activités sociales ou éducatives dans les pays d'origine.
CE QUI EST ATTENDU DE l'ÉTAT EN MATIÈRE DE CRÉATION DE PME
La diaspora africaine a été désignée par l'UA comme la 6ème région de l'Afrique. Je vais évoquer la diaspora et la création de PME. Personne ne comprend que malgré les nombreuses compétences dont il regorge, y compris à l'extérieur, notre pays par la faute de quelques uns, ne sache pas créer les synergies nécessaires, aller au rythme des meilleurs, et continuer à tirer la Guinée vers le bas.
Ce qui veut surtout dire que la pauvreté augmente en Guinée, en dépit d'un taux de croissance prévisionnel de 4%. La croissance ne profite donc pas à la population mais à quelques uns. Elle n'a aucune incidence sur le PIB par habitant.
Pourtant la croissance économique est le seul critère permettant à la Guinée de réussir un décollage économique, et cela passe non pas par la gestion de la rente minière, ou la simple gestion financière consistant à surveiller les taux d'inflation, de change et le déficit, mais par une vision économique passant par la création de richesses, et la meilleure façon d'y parvenir c'est l'entreprise privée.
Ce qu'attendent les entreprises, c'est de pouvoir mobiliser des collaborateurs compétents, bien formés, de se développer dans un climat de confiance, sur la base de règles administratives claires, stables, prévisibles. Ce qui compte, c'est que les investisseurs, quelle que soit leur nationalité (y compris les Guinéens), trouvent de bons motifs pour choisir de placer leurs capitaux dans des entreprises implantées en Guinée.
Pourquoi la création d'entreprises ?
La création d'entreprise est sans nul doute le chemin de retour le plus difficile. En Guinée, la plupart des entreprises privées du secteur formel sont des représentations de multinationales étrangères. Cela présente des avantages pour les Guinéens en termes de sécurité, mais de nombreux inconvénients, car la valeur ajoutée repart à l'étranger. En effet, contrairement aux investissements directs étrangers (IDE), les profits réalisés par les entrepreneurs de la diaspora ne sortent pas du pays, mais restent en Guinée, où ils peuvent être réinvestis dans des banques ou dépensés au profit de l'économie locale. Le secteur privé local formel est peu développé, il n'y a pas de transfert de technologie (y compris dans le secteur minier), pas de production technologique (on n'invente rien, pourtant les Guinéens ont de l'imagination) et pas d'énergie.
Il faut développer le capitalisme familial qui s'implante localement et inscrit son action dans la durée, voire le statut coopératif ou mutualiste.
Le problème essentiel est que les gens n'ont pas d'emplois, qui sont devenus une denrée rare, à tel point que certains ont même du mal à vouloir partager avec la diaspora, parce qu'ils raisonnent en termes d'emplois publics, et pensent que ceux-ci vont phagocyter tous ces emplois. Le népotisme (voire même le communautarisme) constitue le mode d'accès privilégié à la fonction publique, indépendamment des compétences. Personnellement, je pense même que les problèmes vis-à-vis de la diaspora sont davantage liés à cet état de fait, qu'à l'origine ethnique supposée des diaspos.
En aidant à la création d'entreprises, et en exploitant judicieusement les moyens financiers et humains de sa diaspora, la Guinée résoudrait de manière considérable ses problèmes de développement. Ces moyens peuvent à n'en point douter contribuer à réduire l'assistance et les aides diverses qui proviennent des pays riches et qui sont sources d'endettement. Fort de cela, la Guinée gagnerait à attirer au maximum l'épargne de la diaspora. Cette épargne peut être orientée vers des investissements productifs créateurs de valeurs ajoutées. En cela, le gouvernement doit prendre des mesures incitatives qui favorisent l'apport des contributions diverses de la diaspora (voir ci-après).
Il faut copier ce qui marche (benchmarking), et non le combattre. Un exemple célèbre de ce type d'entrepreneur : le milliardaire soudanais, membre de la diaspora anglaise, Mo Ibrahim qui a fondé la compagnie de téléphonie mobile Celtel , devenue depuis l'une des plus grandes entreprises africaines.
Comment l'État peut-il susciter la création d'emplois par la diaspora ?
D'abord une vitrine
Une politique en faveur de la diaspora doit être mise sur pied. La face visible de cette politique peut être l'insertion dans l'organigramme du Ministère des Affaires étrangères, d'une direction - si possible composée de diaspos - qui se consacrera entièrement aux problèmes de la diaspora (30% de la population). Il existe un Ministère de l'artisanat alors qu'il n'y a pas 30% d'artisans en Guinée, on pourrait même envisager la création d'un Ministère plein en charge de la diaspora, en fonction de l'évolution des contributions et de l'importance de celle-ci. L'avantage d'une telle mesure est qu'elle permettra de faciliter la réintégration des membres de la diaspora. Le gouvernement envisage la création d'un Haut Conseil des Guinéens de l'Extérieur. Ça c'est pour la partie visible.
Pour les entrepreneurs proprement dit, la création d'un interlocuteur unique pour ces entreprises au sein dudit ministère, serait une initiative intéressante à louer. Cela permettrait de simplifier l'enregistrement et la réglementation relative aux entreprises en Guinée. Mais l'entrepreneuriat ne devrait pas être institutionnalisé, les entrepreneurs étant individualistes, et ne sont pas intéressés par les discours et les plateformes où les gens ne font que parler.
Un statut fiscal particulier
Accorder la double nationalité aux membres de la diaspora, faciliterait la mobilité en diminuant les tracasseries administratives (laisser passer et visa), tout en permettant des exonérations liées à l'origine nationale ou étrangère de l'entreprise.
De même, contrairement au statut fiscal particulier de l'artisan qui paie généralement un forfait, on pourrait accorder aux PME des allègements fiscaux liés à la création d'emplois de longue durée, l'investissement dans des technologies propres etc... Cela pourrait même aller jusqu'à l'exonération complète jusqu'à ce que son activité génère de la richesse, surtout dans la mesure où il crée de l'emploi de longue durée, car il faut avoir en ligne de mire ce qui est important : créer des emplois ou engraisser une fonction publique improductive ?
Le financement
On a vu précédemment que les transferts financiers sont souvent des dépenses de consommation (environ la moitié va vers l'immobilier), et peu vers l'investissement. Quand cela arrive, c'est surtout vers les secteurs de l'économie sociale, la santé et l'éducation.
Pour démarrer une entreprise, il faut souvent trouver le financement de départ. En Guinée, les possibilités d'accès aux capitaux à risque sont rares , sinon inexistantes. Les microcrédits servent au démarrage de micros entreprises familiales et ne sont pas supposés financer des PME qui exigent des investissements plus importants. Quant aux banques, avant de prêter de l'argent, elles exigent des garanties que la plupart des immigrés n'ont pas.
Bien sur, il est toujours possible pour l'État de créer un Fonds spécial (avec défiscalisation des placements d'argent de la diaspora par exemple) ou des caisses de crédit auxquels les entrepreneurs de la diaspora auraient accès dans leur pays d'accueil pour monter des PME en Guinée. Mais laissons les entrepreneurs être des entrepreneurs, de préférence sans interférence de l'État. Mais si l'État participe et intervient avec des fonds d'investissement, voulant montrer l'exemple en sachant prendre des risques, il devrait rester en dehors des aspects opérationnels de l'entreprise.
Dans l'UE, des intervenants privés comme les banques et des institutions publiques fournissent des aides aux entreprises, gratuitement ou à travers des subsides. C'est pourquoi, il est toujours possible de développer un programme d'appui au développement des entreprises, sous forme de « couveuses » ou « pépinières d'entreprises ». Des projets britanniques et néerlandais par exemple, aident à démarrer une activité ou à financer une entreprise déjà existante dans leur pays d'origine.
CE QUE PEUT FAIRE LA DIASPORA EN MATIÈRE DE CRÉATION DE PME
Comment les entrepreneurs de la diaspora peuvent-ils contribuer à créer des emplois et à favoriser la croissance économique dans leurs pays d'origine ?
Même lorsque la conjoncture en matière d’affaires et d’investissements est défavorable, les migrants affichent souvent une propension comparativement plus marquée à investir dans leur pays d’origine. Une analyse presque systématique de programmes et d'expériences acquises montre l'encouragement à l’investissement privé de la diaspora, soit sous forme de création d’entreprise, d’investissement privé direct ou de portefeuille.
Des créations ou assistance à la création d'entreprise
On peut subventionner le capital initial pour la création d'entreprise, voire instaurer un fonds garantie des crédits (capital-risque, capital-développement, business-angels, cabinets conseils).
Des formations, voire d'autres services de développement d’entreprise (aide à l’élaboration du business plan, aide au développement de partenariats technologiques ou commerciaux) peuvent voir le jour. L'aide technique apportée aux entrepreneurs migrants doit donc prendre ces éléments en considération et tenir compte des risques posés par les investissements non économiques et les entreprises qui font faillite. L’implication économique des migrants est motivée par leur engagement social et émotionnel envers leur communauté d’origine, ce qui les incite souvent à prendre des décisions économiquement déraisonnables.
Le mentorat (« mentoring ») permet à la diaspora de se porter volontaires pour promouvoir le développement économique de leur pays d’origine tout en restant à l’étranger. Les acteurs intéressés peuvent agir en tant que mentors et partager leur savoir-faire en matière de gestion avec des entrepreneurs en Guinée, facilitant ainsi le développement d’entreprise (l’utilisation d’une plate-forme virtuelle sur Internet facilite le mentorat en permettant aux mentors, ainsi qu’aux mentorés de travailler depuis leur bureau et d’organiser ce même parrainage en fonction de leurs engagements préalables).
Investissements directs et de portefeuille
Des investissements directs (levée des fonds des migrants) peuvent être réalisés, par exemple dans le tourisme, car la diaspora constitue une double cible, étant potentiellement consommatrice de l’offre touristique et investisseuse. De même les micro-entreprises féminines reçoivent des informations nécessaires et la formation technique pertinente, pour se consacrer à leur projet et diriger leur propre entreprise, l’objectif étant de devenir économiquement indépendant.
De même, en agissant seul ou en petit groupe, selon des affinités professionnelles ou personnelles, certains membres de la diaspora peuvent créer avec les investisseurs des joint-ventures. Le gouvernement guinéen a décidé la possibilité de monter au capital des sociétés minières à hauteur de 35%. Non seulement la diaspora pourrait être sollicitée pour ses moyens financiers, mais également pour son expertise, car en participant au Conseil d'administration, elle pourrait non seulement défendre ses intérêts propres, mais prendre également en compte les intérêts du pays, ce que ne feront jamais des investisseurs étrangers.
Des investissements de portefeuille ne seront utilisés qu’avec parcimonie afin d’utiliser l'épargne de la diaspora en vue de favoriser le développement économique de la Guinée. Ils se situent dans la lignée des obligations de la diaspora (« Diaspora bonds ») israéliennes, dont les premières ont été émises en 1951. La contribution de la diaspora se limite à un investissement en capital, et les « obligations » génèrent un retour sur investissement élevé, tout en permettant à l'État émetteur d'investir dans des projets d'envergure dans le secteur public, dopant ainsi l'économie. Chaque partie retire ainsi un bénéfice, ce qui fait de ces obligations une véritable réussite. Les « obligations de la diaspora » permettent ainsi de réunir des fonds lorsque l’accès aux marchés financiers est difficile. Les facteurs identifiés comme étant essentiels au succès des investissements de portefeuille tiennent à une diaspora de taille suffisante, à un système juridique solide et transparent ainsi qu’à l’absence de toute dissension civile dans le pays émetteur et à la présence de banques et autres institutions nationales dans les pays de destination. Pour en arriver à ce stade, il faudra non seulement respecter les conditions précitées, mais également une véritable « révolution » des méthodes de la BCRG.
La privatisation d’entreprises détenues par l’État constitue une situation spéciale dans
laquelle la diaspora est ciblée en tant qu’investisseur afin d'éviter la vente d’entreprises nationales à des sociétés étrangères (c'est ce qui s'est passé en Sierra Leone avec l'initiative du Direct Expatriate Nationals Investment – DENI - par exemple).
Autres contributions de la diaspora au développement du secteur privé
Le volontariat : la diaspora pourrait mettre en place des « volontaires du progrès » en Guinée pour permettre à des jeunes Guinéens qui ne connaissent pas le pays, d'aller apporter leurs compétences pendant un maximum de 24 mois.
L'association Educetera (http://www.educetera.org) par exemple, facilite la participation des intellectuels guinéens à l'éducation dans les établissements d'enseignement en Guinée. A l'occasion de séjours en Guinée, des milliers de Guinéens vivant à l'étranger participent bénévolement à la formation de leurs compatriotes restés en Guinée (de deux heures à 50 heures, voire plus, ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières).
Le mercato permanent : de même qu'on débauche des joueurs de foot professionnels, on pourrait débaucher de hauts potentiels guinéens en Occident, pour les inciter à revenir apporter leur pierre à l'édifice guinéen. Et ce n'est pas qu'une question d'argent. De nombreux Indiens, y compris dans des activités de pointe, quittent la Californie par exemple, pour rentrer en Inde avec des salaires moindres, tout en gardant un pouvoir d'achat équivalent. Mais ils participent grandement à l'essor du pays.
CONCLUSION
Pourquoi l'investissement privé se fait frileux
Généralement les obstacles à l'investissement privé, sont liés à l'environnement des affaires et la justice, mais également au manque d'infrastructures et d'une main d’œuvre qualifiée.
La France que la Guinée a imitée, pratique l'interventionnisme économique. Le pouvoir entend peser sur la vie des entreprises et orienter leurs choix stratégiques. Les postures ont évolué selon les républiques, allant de la nationalisation des secteurs déterminants à des formes allégées se contentant de prises de participation directes, de subventions, d'avantages fiscaux (exonérations) et de commandes publiques. Dans tous les cas, les résultats ont été décevants. Coûteux, ils ont très rarement atteint leurs objectifs, même si les contextes de crise autorisent toutefois l'intervention de la puissance publique.
Si l'on excepte les investissements d'État chinois annoncés depuis 2010, il faut constater que les investisseurs privés, malgré les déclarations exagérément optimistes gouvernementales, ne se bousculent pas au portillon, en témoigne les investissements réels réalisés. Le problème essentiel est constitué par le fait que les entrepreneurs n'ont aucune garantie d'exercice (bail de la ferme avicole supprimé par décret, annulation d'un contrat international). Personne ne veut voir le fruit de son travail partir en fumée, sur la simple lubie d'un individu, quand bien même il serait chef d'un État (ce qu'on appelle le « fait du prince »). Ces décisions qu'on pourrait qualifier de « péchés originels » vont peser lourds, si on les couple avec l'image d'un passé communisant du chef de l'État, et la réalité présente, peu favorable à l'investissement privé, en dehors des grands projets.
Pour ce qui concerne la justice, l'incompétence d'attribution (à ne pas confondre avec l'incompétence intellectuelle) n'empêche pas certains magistrats de rendre des jugements dans des domaines où ils ne devraient pas intervenir, ou de rendre des décisions complètement incohérentes.
Le manque d'infrastructures (y compris énergétiques) constitue un handicap difficilement surmontable, et l'absence de main d'œuvre qualifiée peut se compenser – au moins partiellement – à condition d'inclure celle de la diaspora.
Des motifs d'espoir
Deux idées pour conclure : ma conviction est qu'il faut construire une société du bas vers le haut et non du haut vers le bas. Depuis 50 ans, les dirigeants se sont davantage préoccupés de leur situation personnelle, que de celle des Guinéens. Ils n'ont pas hésité à éliminer y compris physiquement des adversaires, considérant que beaucoup de choses étaient permises, sauf « lorgner » le fauteuil présidentiel. Pour permettre d'élargir les champs du possible, la création et le développement d'une élite économique ferait d'une pierre deux coups. Tout en permettant le décollage économique de la Guinée, elle canaliserait les ambitions de nombreux Guinéens, qui ne voient pas forcément la politique comme un moyen de s'enrichir (contrairement à certains), mais comme un moyen de pouvoir imposer la liberté réelle d'entreprendre au sens large (éviter le racket notamment). Si beaucoup s'intéressent aux affaires parce qu'ils y ont une liberté réelle, ils se désintéresseront volontairement de la politique.
Deuxième idée : combien y a t-il d'écoles de commerce en Guinée ? Il faut investir dans le capital humain de manière générale, car c'est la première richesse (la seule à vrai dire) du pays, et notamment pour former des personnes capables d'entrepreneuriat. J'ai enseigné six mois à Poly, et j'en ai tiré des motifs de satisfaction et d'optimisme inoubliables. Sans vouloir paraître prétentieux, j'ai constaté que c'est le manque de méthodes rationnelles et cohérentes qui posent problème en Guinée. Les Guinéens ne sont évidemment pas plus bêtes que les autres, mais on ne leur montre pas forcément les manières les plus efficaces pour s'en sortir. En interne, c'est le règne de la médiocratie, et l'assistance extérieure ne cherche pas non plus à se créer des concurrents, tout comme on ne favorise pas forcément le retour des plus méritants, d'une part pour exploiter leurs compétences à l'étranger, et d'autre part pour empêcher l'avènement de concurrents, susceptibles de leur « tailler des croupières » à terme dans le commerce international.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
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