Evolution chaotique de la démocratie en Afrique : le cas du Sénégal !

Les évènements qui se déroulent au Sénégal depuis plusieurs mois maintenant et qui viennent de connaitre un temps fort, avec la décision de la Cour constitutionnelle d’avaliser la candidature de Maître Abdoulaye Wade à la prochaine élection présidentielle nous interpellent et posent avec acuité la question du cheminement démocratique des pays africains.

Pourquoi cette discorde sur l’interprétation d’un texte qui au demeurant ne devait pas laisser de place au doute ?

Le Président A. Wade s’est fait élire en 2000 à la tête d’une coalition de plusieurs partis d’opposition et avec le mot (fétiche)  «sopi», changement en wolof, comme slogan. Il réussissait ainsi à détrôner le parti socialiste sénégalais et son leader Abdou Diouf, son parti dirigeait le Sénégal depuis son accession à l’indépendance en 1960. Surtout il accédait à la magistrature suprême après vingt six ans de combat et deux épisodes de participation à des gouvernements de Abdou Diouf en 1978 et en 1983.

Son arrivée au pouvoir a été vue comme l’aboutissement d’une vie politique et d’une attitude exemplaires et qui par la même occasion démontrait la vivacité et l’enracinement de la démocratie sénégalaise avec, pour la première fois, une alternance politique au pouvoir. Une grande première en Afrique au sud du Sahara, et confirmait celle-ci comme le porte flambeau de cette lutte pour l’établissement d’Etats de droit dans cette zone de l’Afrique.

Du même coup, il redonnait espoir aux sénégalais en particulier et aux Africains en général et démontrait ainsi que la lutte ne doit pas être perçue comme inutile.

Dans la foulée, il forçait le respect et l’admiration de ses pairs sur le continent et au-delà et apparut comme un sage dans la lignée de Nelson Mandela. C’est ainsi qu’il fit de la médiation dans différents conflits sur le continent comme en Côte d’Ivoire et récemment en Guinée avec le Capitaine Moussa Dadis Camara.

Sur le plan économique, il fut l’un des promoteurs du NEPAD qui devait permettre à l’Afrique de mettre en œuvre les critères d’un nouveau partenariat entre l’Afrique et le reste du monde, en vue de son décollage économique.

Me Wade fit adopter en 2001 par référendum, et après modifications de la précédente qui datait de 1963, une nouvelle constitution qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels d’une durée de cinq ans chacun.

En 2008, A. Wade retouche la constitution sénégalaise pour rallonger la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans (avec toujours une limitation à deux), sans passer par un référendum, et avec pour début d’application la même année.

Lors d’une conférence de presse à Dakar et à la question posée par le journaliste de RFI Christophe  Boisbouvier en 2008 sur sa prochaine candidature et le profil de son successeur, Abdoulaye Wade répondit ce qui suit :

J’ai bloqué le nombre de mandats à deux, donc ce n’est pas possible, je ne pourrais pas me représenter. Je vous le dit sérieusement, je ne me représenterai pas !

Je ne vous dirai jamais assez l’importance de la parole donnée en Afrique en général et en politique en particulier. D’où le choc provoqué par la volonté du Président sortant de se représenter malgré la loi fondamentale qui le lui interdit et sa promesse (paroles prononcées en public…) lors de cette conférence.

Dans un article consacré au capitaine Dadis Camara, datant du 2 septembre 2009, intitulé, du respect des engagements en politique, nous dénoncions le non respect de la parole donnée, dans sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle, malgré sa promesse initiale de ne pas le faire. Ce fut l’élément déclencheur du massacre du 28 septembre 2009(1). Avec le recul, les populations guinéennes sont en droit de se demander si Mr Wade n’a pas encouragé à l’époque, M.D. Camara à le faire. En ayant à l’esprit l’influence qu’il avait sur celui qui le considérait comme un «Père».

Même en pensant que la parole d’un homme n’est pas insurmontable et même si la constitution sénégalaise ne mentionne pas la date de début d’application de la limitation du nombre de mandat, l’esprit ayant guidé dans la rédaction du texte doit toujours prévaloir, et de ce fait Mr Wade a déclaré non seulement que c’est lui qui l’a rédigé, mais aussi que la constitution ne le lui permet pas(2).

Un enseignement à tirer de cette situation c’est que quelque soit le verrou qu’on y met, rien n’empêche une personne décidée à le faire de violer un texte si on la laisse faire.

Aussi que l’âge avancé n’est pas forcément un gage de sagesse comme on le pense généralement.

Les populations ont, au vu de ce qui précède, raison de manifester leur courroux face au déni que constitue le changement d’avis de l’intéressé.

L’interrogation principale demeure sur les motivations juridiques de la décision du Conseil Constitutionnel sénégalais pour retenir la candidature de Mr Abdoulaye Wade. Espérons qu’elle n’est pas fondée sur des considérations autres que  celle de dire le droit, rien que le droit.

Enfin, Maitre Abdoulaye Wade aura déçu tous ceux qui ont cru à un moment en lui et l’on considéré comme un sage et un démocrate, et qui ont pensé qu’étant Avocat, il aurait eu plus d’égard pour la loi que le commun des mortels.

 

 

Aboubacar Fofana.

Economiste

Président d’honneur du Club DLG

Email : aboufof2@yahoo.fr

Blog : www.prospectives.over-blog.net

Aboubacar Fofana

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