Hommage à nos ainés: Togbo Gerard
- Par Administrateur ANG
- Le 17/04/2014 à 11:03
- 0 commentaire
Je reviens sur cette série d’hommage à nos ainés que j’avais interrompu à cause de mes documentaires qui me prennent énormément de temps. J’avais en projet de parler de deux monstres sacrés de la communication, j’eu le temps de faire le portrait du premier Tonton Odilon Théa qui est mon oncle et voici maintenant celui du second, son ainé, Togbo Gerard qui est mon père.
Evidemment Togbo Gerard est le moins connu du grand public parce qu’il opérait derrière le pupitre et s’occupait de la formation.
Né vers 1940 comme on dit chez nous à N’Zérékoré, il porte le prénom de Tokpo Damey qui fut le chef de canton de Karana, l’un des premiers agronomes formés à Tolo ; Togbo est donc francisé au moment de son entrée à l’école.
Turbulant, il fut envoyé chez un oncle à Diéké dans la préfecture de Yomou pendant un moment avant de retourner à N’Zérékoré et finir son certificat d’étude primaire.
La France avait l’habitude de décorer des chefs de canton et donc un 14 Juillet (la fête de l’indépendance de la France), Tokpo Damey devait être décoré, une des filles du chef de canton, arriva à Karana avec une de ses meilleures amies, Luopou ; ce fut la rencontre de mes parents.
Après l’école primaire, Togbo Gerard, décide d’aller à la grande aventure, il vend des fagots de bois cherchés dans la forêt pour se payer le voyage.
Il s’embarque pour la ville de Kankan sans une adresse précise, il dit « ma mère qui était commerçante, me disait que quand tu vas dans ville que tu ne connais pas, va au grande marché, tu as des chances d’y rencontrer une connaissance », il débarque alors au marché de Kankan et par bonheur, il y rencontre une connaissance de sa famille qui le guide chez un oncle. Il a laissé derrière lui une femme et un enfant.
Il trouve un travail de comptable dans le magasin de Mr Komara qui n’est autre que le père de celui qui fut premier ministre, il s’est vite adapté à la ville et : «un jour en me promenant, j’ai trouvé par terre une coupure de journal que j’ai ramassé, qui disait, l’électronique est l’avenir du monde, j’ai aimé et décidé de prendre des cours par correspondance ».
Il se passionne pour l’électronique, apprend vite et commence à réparer des postes radios, sa réputations commence à se rependre en ville. Il fait venir femme et enfant qui attendaient à N’Zérékoré.
Il dépanne parfois à crédit les appareils des personnalités de la ville, en tout cas, il montre sa disponibilité. Vers fin 1960, son second garçon arrive au monde et ce jour là, les caisses étaient vides, comment faire fasse aux frais à l’hôpital ?
En y pensant, le commissaire de police lui doit de l’argent, il va le réclamer, crime de lèse majesté, comment peut-il oser réclamer de l’argent au commissaire et en plus au commissariat ? Il reçoit une gifle magistrale et l’ordre de retrouver ses esprits au gnouf (prison) pendant toute la journée. Cet enfant porte bonheur n’est autre que votre serviteur.
Quelques mois plus tard, une équipe de la radio guinéenne arrive en mission pour un reportage, à sa tête Emile Tonpapa ; malheur pour eux, l’appareil d’enregistrement (la nagra), tombe en panne, c’est le désespoir complet, le travail se fera sans élément sonore.
Quelqu’un leur parle d’un jeune électronicien qui se débrouille bien, imaginez à l’époque la nagra était le top des enregistreuses donc pas question de laisser un profane y toucher.
Sans aucune autre solution, Emile Tonpapa se décide à aller à la rencontre de ce jeune technicien sans trop y croire. Togbo Gerard réparera la nagra et Tonpapa lui dit que le pays est en manque cruel de technicien, il faut qu’il soit à Conakry.
Voilà comment avec femme et enfants, il débarqua à Conakry.
Pour bien comprendre cette époque, il faut dire qu’après le non de la Guinée au referendum de 1958, la France avait donné l’ordre de tout emporter ou de détruire le matériel que les français ne pouvaient pas emporter ; ainsi, la radio banane (le nom de la radio à cette époque parce qu’elle diffusait le mouvement des navires qui transportaient les fruits), devenue la radio guinéenne et plus tard la voix de la révolution, n’avait pas beaucoup d’équipements, pas beaucoup de techniciens, ce fut un exploit des guinéens pour la faire tourner.
A Conakry, Togbo Gerard devient le chef de l’équipe technique qui accompagne le président Sékou Touré dans ses déplacements, il dit : « par exemple, quand le président devait aller à Labé, on allait un ou deux jours à l’avance, pour installer les appareils de sonorisation pour son discours, ensuite j’allais faire le montage avec le président, parfois il y a des passages qu’on enlevait puisqu’il pouvait dire quelque chose dans la colère, parfois il demandait mon avis sur certain passages et enfin de compte il était très content du montage. Il est mon ainé mais il me disait n’koro, grand frère en malinké ou parfois il m’invitait à diner, j’en étais très fier »
Quelques rare fois, il accompagna le président à l’étranger, en tout cas les deux eurent une bonne collaboration de travail ; ensuite Togbo Gerard bénéficiât d’une bourse de formation de la coopération allemande, puisque la radio guinéenne de Boubinet est une réalisation de cette coopération.
En Allemagne, en plus de l’électronique, il prend des cours de diction que son institut enseignait, les étudiants étaient de plusieurs pays africains que l’Allemagne aidait ; au bout des deux ans de formation, Togbo Gerard est major de sa promotion.
Le fait qui marquera le plus en Allemagne sera la construction d’un appareil de mesure
« Au bout d’un an j’avais bien compris le principe d’un schéma et j’ai alors demandé à mon prof si je pouvais construire un appareil de mesure selon mes calculs et le prof fut enchanté ; l’institut me fournissait les pièces dont j’avais besoin et je le assemblait.
Le jour du teste, l’appareil fonctionna du premier coup, ce qui est très rare, les journaux en parlèrent, certaines compagnies allemandes voulurent m’embaucher mais je ne pouvais pas rester, j’avais une famille et des parents, rester voulait dire ne plus les voir. »
Les coupures de journaux allemands le précédèrent en Guinée via l’ambassade, ainsi en arrivant, il fut nommer directeur du studio école. Grace au cours de dictions pris, il formait les techniciens et les journalistes qui venaient de l’Université guinéenne.
« Quand je vois aujourd’hui Mamadi Condé, Aissatou Bella Diallo et tant d’autres qui sont passés par le studio école, j’en suis fier ; j’ai aussi formé des béninois que leur gouvernement envoyait pour se former et qui sont aujourd’hui des cadres dans leur pays, j’en suis fier. »
Un jour en sortant d’une visite chez son frère Marcel à coté du concasseur (qui était en 1971 presque la brousse avec peu d’habitation), il rencontre un inconnu près de sa voiture, il croit d’abord à un voleur puisqu’il faisait sombre, le ton monte, son frère qui était un peu en arrière, approche et reconnaît un des responsables du quartier ; la présentation est faire, les deux se serrent la main et tout est fini.
Quelques jours plus tard, une jeep militaire débarque en plein jour, Togbo Gerard est arrêté et conduit à la sureté, la nouvelle fit le tour de la radio, le motif ?
Un rapport qui dit que sa voiture attendait à coté du concasseur, des mercenaires.
Au second jour de sa détention, la décision est prise de faire une confrontation avec le dénonciateur, celui-ci ayant appris par la suite qu’il avait à faire à un employé de la voix de la révolution, avait disparu de la circulation.
Togbo Gerard est relâché le troisième jour avec un ouf de soulagement car son transfert pour le camp Boiro était programmé pour le lendemain.
La seconde et dernière frayeur arrivera quelques temps plus tard, il reçoit une convocation pour se rendre au camp Boiro, il dit « j’arrive au camp, devant le bâtiment, un policier me demande d’enlever mes chaussures, je voix des chaussures là, je lui demande pourquoi ? Au même moment, un policier guerzé arrive et me dit que c‘est moi sur une photo affichée au mur, je regarde la photo ce n’était pas moi, je lui dis de bien me regarder, ensuite il dit bon va.
C’est après que j’ai appris qu’après des arrestations, les policiers arrêtaient des proches et parfois regardaient leurs albums pour chercher des amis supposés complices, c’est ce policiers guerzé que je connaissais d’ailleurs, qui a cru me reconnaitre sur la photo et avait ordonné ma convocation. J’ai compris ce jour qu’il y avait des gens au camp Boiro qui ne savaient pas la raison, cela allait être mon cas ; j’ai eu de la chance »
Au changement de régime en 1984, il décide de profiter de la préretraite proposée par les militaires pour rentrer à N’Zérékoré, comme toujours en Guinée, les projets sont bien sur papiers mais la réalisation pose problème.
Le retraité a du mal à recevoir ces sous, ne rien faire n’est pas de son genre et comme il faisait des animations (aujourd’hui on dit DJ), il décide de prendre ses appareil et de s’occuper. De village en village, sa réputation sera si faite que des gens composèrent une chanson manon en son nom ( Togbo Gerard nou kolo : vient on va partir), c’est marrant quand j’ai entendu une petite fille la chanter).
Son secret : « quand je vais dans un village, à 10 ou 15km du village, j’allume les appareils, je mets un cône sur le camion, déjà tous les villages environnants savent que j’arrive, les gens m’accueillent à l’entrée du village et je fais un temps d’animation sur une place du village, après personne ne veut rater cette soirée. Je m’arrange toujours à être le premier à avoir des nouveautés et enfin, quand je vois une musique n’attire pas beaucoup de monde sur la piste, je l’enlève de suite et je note le genre de musique qui marche. Je savais en fin de compte le genre de musique de chaque village. Succès assuré. »
Il avait commencé à faire des villages libériens mais la guerre dans ce pays arrêta cette aventure. Voilà l’origine de son surnom Togbo Gerard ampli (de l’amplificateur, au village quand on dit que quelqu’un a un ampli cela veut dire qu’il a le matos pour animer).
Responsable des retraités, chef de quartier, pisciculteur etc., il s’occupe toujours à faire quelque chose ; après des problèmes de santé, je lui avait conseillé de diminuer ses activités mais bon.
C’est donc après Togbo Gerard qu’Odilon Théa fut nommé directeur du studio école et forma à son tour beaucoup de journalistes.
En 2013, j’avais donné une médaille à Tonton Odilon Théa à Conakry et une à papa à N’Zérékoré pour leurs œuvres.
Je ne voulais faire ni la radio, ni l’électronique, ni la TV donc je n’ai pas voulu suivre des cours avec eux mais gamins, à mes heures libres, j’accompagnais mon père à la radio et j’assistais parfois à ses cours. Quand j’ai commencé la radio pour m’amuser, je m’inspirais de leurs façons de travailler et de celle de Justin Morel Junior.
Même chose pour la présentation TV, par contre la réalisation, le montage et tous les travaux de poste production m’ont été enseignés par la TV de St Paul à Minnesota USA
C’est pourquoi mon père et mon oncle furent très surpris par mes émissions radios et TV puisque ma formation de base est l’administration économique et sociale de l’Université de Montpellier, assistant de gestion informatique de l’institut de promotion commerciale (IPC) de Toulouse et de Computer Networking en Californie.
Petite note : j’ai su par la suite que le commissaire qui gifla mon père à ma naissance est de Lola et y était à la retraite, je ne sais pas s’il est toujours de ce monde, j’aimerais bien le rencontrer et l’interviewer.
Paul Théa
NB : Les liens vidéo : Togbo Gerard
https://www.youtube.com/watch?v=YPZyghPOwjE
Onecdotes de Togbo Gerard
https://www.youtube.com/watch?v=QfMppSCWkng
Interview Odilon Théa
http://youtu.be/XiAycIOtDJY
Ajouter un commentaire