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Guinée : une année sous tension

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Reprise bien amorcée et aura internationale retrouvée, le pays affichait ces deux dernières années un front plutôt serein. Mais depuis janvier, la grogne sociale monte. Quant au climat politique, après les locales et avant les législatives, en septembre, il est de nouveau agité.

Sur un écran d’ordinateur, avec ses courbes et diagrammes dynamiques, la Guinée semble avoir retrouvé la forme. Une croissance de plus de 6 % depuis deux ans, un déficit budgétaire maîtrisé, une inflation réduite à 8 %, contre 21 % en 2010… La plupart de ses indicateurs sont au vert.

Après deux années de crise sanitaire, puis deux autres marquées par une conjoncture internationale difficile, chamboulée par la chute des cours des matières premières, l’économie guinéenne va mieux et, sur le papier, ses perspectives semblent bonnes. Pour preuve, le nouveau programme triennal conclu en décembre avec le Fonds monétaire international.

Peu à peu, les investisseurs reviennent. Plusieurs hôtels de grand standing se sont construits en bord de mer. En se promenant à Kaloum, dans le centre-ville d’un Conakry en chantier, sous les immenses grues qui zèbrent le ciel et dans le bruit incessant des bétonneuses, on se prend à imaginer la capitale du futur.

Sur la côte, les tours jumelles Weily Kakimbo et leurs vingt-cinq étages qui abriteront bientôt un centre commercial, un hôtel et des bureaux ont certes un côté « bling-bling » mais montrent aussi que la capitale aspire à changer de siècle.

Un réel malaise

Il y a quelques semaines, alors qu’il était encore à la tête de l’Union africaine, le président Alpha Condé devait se réjouir de tous ces bons signaux. Mais à peine a-t‑il passé la main à son homologue rwandais au sommet d’Addis-Abeba qu’il retrouve un pays de nouveau déchiré et tiraillé par ses vieux démons. Les violences post­électorales consécutives aux communales du 4 février résonnent comme un ultimatum.

Après une campagne qui n’a ni passionné ni mobilisé les foules – alors qu’il s’agissait des premières élections locales depuis 2005 –, le déroulement du scrutin et ses résultats partiels se sont transformés en prétexte pour extérioriser un réel malaise et attiser quelques frustrations sociales.

Les ténors de l’opposition, Cellou Dalein Diallo en tête, ont dénoncé des fraudes. D’autres, comme Faya Millimouno, ont soulevé la question de la pertinence d’un tel scrutin cette année, au regard du coût de son organisation – environ 800 milliards de francs guinéens (plus de 70 millions d’euros).

Les coupures d’électricité, le mauvais état des routes, les problèmes de ramassage d’ordures ou encore les arrestations de journalistes ont fini d’enfoncer le clou. Sans parler des récurrentes rumeurs sur un hypothétique troisième mandat présidentiel du « vieux » – 80 ans le 4 mars.

 

Une bonne partie de la population, en particulier la jeunesse, ne profite pas des fruits de la croissance

 

C’est toute une génération qui s’impatiente. « Une bonne partie de la population, en particulier la jeunesse, ne profite pas des fruits de la croissance, considère Abdourahmane Sanoh, le président de la Plateforme des citoyens unis pour le développement. Tant que les inégalités seront fortes, on connaîtra des crises cycliques. » En résumé, pour les plus critiques, cette croissance positive en partie dopée par le secteur minier ­profiterait surtout, voire seulement, à quelques investisseurs étrangers.

S’il se réjouit d’une meilleure concertation entre l’État et le privé, notamment à travers le Guinée Business Forum, mis en place fin 2017, Madani Dia, le secrétaire exécutif de la Plateforme de concertation du secteur privé guinéen, tire lui aussi la sonnette d’alarme.

 

Il faut laisser respirer le secteur privé et lui donner la possibilité de créer de l’emploi

 

« Il faut laisser respirer le secteur privé et lui donner la possibilité de créer de l’emploi. Aujourd’hui, le taux de chômage réel des jeunes dépasse les 80 %. Si on continue comme ça, nous allons droit à la catastrophe, martèle-t‑il. Le gouvernement l’a compris et fait des efforts, mais on doit aller plus vite et plus loin, en mettant d’urgence la priorité sur les investissements à haute intensité de main-d’œuvre, par exemple pour paver les rues des villes, construire et bitumer les routes, etc. Il faut donner un but et un revenu à tous ces jeunes, en attendant de les former et de leur offrir d’autres perspectives. »

La ville à la campagne

Du côté de l’exécutif, on demande du temps. « Nous avons remis le pays sur les rails », explique le Premier ministre, Mamady Youla. Plus de 1 milliard d’euros ont déjà été investis pour améliorer la voirie à Conakry, remettre à niveau la route nationale 1 (Coyah-Mamou-Dabola), construire la ligne électrique Linsan-Fomi, procéder à l’extension du port de Conakry… Autant de chantiers tangibles.

 

Mais que fait-on pour les attirer dans les villages ? Pense-t‑on à la création de logements en milieu rural ?

 

Le gouvernement semble déterminé à relever les autres grands défis du Plan national de développement économique et social (PNDES) 2016-2020. Il fait des efforts pour sortir l’économie du « tout minier » en la diversifiant, notamment grâce au redéploiement de l’agriculture, très prometteur, et à la relance de filières générant plus de revenus et de devises (café, cacao, palmier à huile et anacarde).

« C’est bien beau de développer ces filières, mais il faut aussi y intéresser les jeunes, nuance Madani Dia. C’est sûr, vendre des mouchoirs le long des rues de la capitale, ça ne fait pas rêver. Alors, si on leur donne de vraies opportunités, ils retourneront à la campagne. Mais que fait-on pour les attirer dans les villages ? Pense-t‑on à la création de logements en milieu rural ? »

Autant de questions qui pourraient trouver un écho positif à l’oreille du président Alpha Condé, qui, depuis toujours, veut miser sur le désenclavement, la décentralisation et transformer le potentiel du milieu rural.

« C’est la priorité du gouvernement : investir massivement dans les campagnes, confirme le ministre de la Jeunesse, Moustapha Naité. Pour créer des opportunités économiques et redonner espoir aux jeunes, notre idée – et nous y œuvrons déjà à travers le PNDES – est de reproduire les avantages du milieu urbain dans les campagnes. C’est pour ça que nous misons sur le développement des technologies, notamment à travers les nombreux chantiers que nous avons engagés pour développer la fibre optique en milieu rural. Nous y améliorons aussi les transports. Quand ils sauront qu’on peut être aussi bien connecté à la campagne qu’en ville, plutôt que de tenter leur chance en Europe, nos jeunes partiront à l’aventure dans leur propre pays. »

En Guinée, la nouvelle génération ne demande que ça. Mais elle ne se laisse plus séduire par de belles promesses.

Objectifs et collectifs

Outre les manifestations postélectorales, la grogne sociale s’est intensifiée en février, surtout dans l’enseignement, où la grève paralyse les établissements scolaires publics et privés. La société civile n’est pas en reste.

Plusieurs collectifs se sont formés, comme Troisième Dynamique 2020, pour promouvoir l’unité nationale et inciter l’État à investir dans la formation des jeunes. Objectif similaire pour Wonkhai 2020, « en marche pour 2020 » en soussou, qui demande aux politiques de placer les jeunes au centre de leurs programmes et aux Guinéens de dépasser les clivages. Son slogan : « s’unir ou périr ».

 

Par François-Xavier Freland

 

Source: jeune afrique

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