Guinée : «Un dialogue très tendu est en cours entre le pouvoir et l’opposition»
- Par Administrateur ANG
- Le 13/07/2015 à 07:52
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Vincent Foucher, analyste senior pour l’International Crisis Group à Dakar, dresse le panorama politico-économique à trois mois et demi de la présidentielle guinéenne d’octobre. Le président sortant, Alpha Condé, 77 ans, se représente face à Cellou Dalein Diallo, chef de l’opposition et ancien Premier ministre. Diallo s’est associé au putschiste Dadis Camara qui vient d’être inculpé, le 8 juillet, pour complicité d’assassinats dans la mort de plus de 150 civils à Conakry, le 28 septembre 2009.
Cette «alliance» entre Cellou Dalein Diallo et l’ancien putschiste Dadis vous a-t-elle surpris ?
Elle a surtout surpris beaucoup d’observateurs. Il faut savoir que les partisans de Diallo, le leader du principal parti d’opposition, étaient nombreux parmi les victimes des événements du 28 septembre 2009. Ce jour-là, alors que le capitaine Moussa Dadis Camara dirigeait la junte au pouvoir, soldats, policiers et gendarmes étaient intervenus avec une grande brutalité lors d’un rassemblement dans un stade de Conakry contre la candidature de Camara à l’élection présidentielle. Il y avait eu au moins 157 tués, et de nombreux viols. Diallo lui-même était présent et avait été agressé.
Cette affaire a, par ailleurs, une connotation ethnique : Diallo est Peul, et très soutenu dans la communauté peule. Or beaucoup de Peuls considèrent que le massacre du 28 septembre est un épisode de plus dans une longue série de mauvais traitements à leur égard.
Mais jusqu’à présent, les critiques au sein de la communauté peule envers l’alliance Diallo-Camara sont restées limitées à la diaspora et aux proches des victimes. Diallo et son entourage ont, pour leur part, souligné que la justice guinéenne n’avait pas encore jugé Camara. Certains partisans de Diallo soutiennent que le massacre du 28 septembre était une manipulation visant à discréditer Camara, organisée par des réseaux de la communauté malinké appuyant Alpha Condé, celui qui a remporté l’élection de fin de transition en 2010 et qui est depuis le président du pays.
Qu’aurait à gagner Cellou Dalein Diallo dans cet attelage aussi inattendu que périlleux ?
Diallo était arrivé en tête au premier tour de la présidentielle de 2010, avant de perdre au deuxième tour contre Condé. Comme la communauté peule est nombreuse en Guinée, Diallo est le challenger presque évident face à Condé pour la présidentielle d’octobre 2015. Mais les Peuls n’ont pas une majorité absolue, et la puissance des réseaux d’affaires peuls suscite une certaine inquiétude chez les autres communautés, inquiétude dont Condé avait su jouer en 2010. Diallo cherche donc des alliés dans les autres communautés. C’est d’autant plus nécessaire que Sidya Touré, un homme politique très influent en Basse Guinée et qui l’avait soutenu au deuxième tour en 2010, s’est récemment démarqué de Diallo.
Au plan électoral, Camara peut être un bon allié : il appartient à l’ethnie guerzé, l’un des groupes de la Guinée forestière, et il a conservé, dans cette région au moins, une vraie popularité. Reste que les modalités de l’alliance n’ont pas été précisées. Est-ce que l’un se désistera au profit de l’autre au premier tour ? Au second tour ? Et maintenant que Camara est inculpé, que va-t-il se passer ? On peut supposer que les Forestiers, s’ils ne vont pas forcément voter pour Diallo, se laisseront moins tenter par le vote Condé. En ce sens, Diallo a déjà réalisé un bon coup tactique au plan interne, au prix, sans doute, d’un certain brouillage de son image internationale.
Que chercherait Dadis Camara qui vient d’être inculpé de complicté d’assassinats, séquestrations et viols ?
Dadis Camara est en «convalescence» au Burkina Faso depuis l’attaque dont il a été la cible en décembre 2009 de la part de son propre aide de camp, auquel il tentait de faire porter la responsabilité du massacre du 28 septembre. Si Camara, qui était resté discret, s’est enfin engagé dans le champ politique, c’est parce qu’il a perdu son protecteur, le président du Burkina Blaise Compaoré, renversé en octobre dernier par une mobilisation populaire. Et ce alors que la justice guinéenne a commencé à faire des avancées dans le dossier du 28 septembre. Camara avait d’ailleurs été entendu comme témoin au Burkina Faso, sur une commission rogatoire de la justice guinéenne.
Des proches de Camara affirment qu’Alpha Condé s’était engagé à ménager Camara, à préparer son retour en Guinée, mais qu’il n’a pas respecté sa promesse. Est-ce que Camara cherche à obtenir des concessions de Condé ? Est-ce qu’il croit remporter la prochaine présidentielle, ou bien au moins contribuer à la défaite de Condé ? Nul ne le sait. Quoi qu’il en soit, il a joué son va-tout, et il semble avoir perdu puisqu’il vient d’être inculpé par la justice guinéenne. Reste à voir s’il va être extradé.
Dans quel climat s’annoncent les élections présidentielles ?
Les présidentielles de 2010 et les législatives de 2013 ont suscité de très vives controverses. A chaque fois, il y a eu des retards, des négociations ad hoc et une implication internationale forte pour tenter de consolider le dispositif électoral. A chaque fois, l’opposition a dénoncé des fraudes massives et a commencé par refuser les résultats. A chaque fois, les missions d’observation internationales sérieuses ont produit des rapports très critiques, signalant des problèmes graves. Peu d’ajustements ont été réalisés. Un dialogue très tendu est en cours en ce moment entre le pouvoir et l’opposition, facilité par certains partenaires internationaux, autour d’une multitude de questions, du calendrier des différentes élections (car on attend également des élections locales) à la composition de la commission électorale en passant par le fichier électoral. Est-ce qu’un compromis va être atteint ? Est-ce qu’il va être mis en œuvre suffisamment bien pour apaiser les inquiétudes de l’opposition ? La situation est quand même inquiétante.
Quelle est la situation socio-économique de la Guinée après l’épidémie Ebola ?
Il y a une sorte de contradiction. D’un côté, à cause, entre autres, des tensions politiques, de l’épidémie d’Ebola et de l’atonie du marché mondial des minerais, la croissance a baissé. Elle aurait même été légèrement négative en 2014 et pourrait le rester en 2015. Mais des investissements publics ont été réalisés : un peu partout à travers le pays, des routes ont été construites, de l’éclairage public a été installé, les bâtiments publics ont été rénovés. Un barrage hydroélectrique est en train d’entrer en fonction, non sans difficultés. De nouveaux fonctionnaires ont été embauchés. En l’absence de sondages sérieux, il est difficile de savoir en quel sens tout cela a fait bouger l’opinion.
Comment qualifieriez-vous le rôle de la France ?
Paris a des intérêts à défendre en Guinée. Il y a la mise à disposition, depuis peu, de troupes guinéennes pour le maintien de la paix (au Mali, en l’occurrence), la lutte contre l’émigration clandestine, traditionnellement très forte depuis la Guinée, et aussi des intérêts économiques. Bolloré, qui a des projets gigantesques dans le secteur de la logistique et des transports en Afrique, fait ainsi de la Guinée un point d’appui majeur. Il y a aussi des liens personnels – Bernard Kouchner est un ami de jeunesse du président Condé.
Enfin, si la France, les Etats-Unis et l’UE encouragent une amélioration du dispositif électoral, le président Condé joue volontiers la carte de la souveraineté. Il est dans une position assez forte pour cela : il finit tout juste son premier mandat et a le droit d’être candidat ; il a fait des efforts appréciables, quoique inégalement aboutis, en matière de réforme du secteur de la sécurité, des finances publiques ou des mines ; il dispose d’un portefeuille diplomatique relativement varié et les ressources minières considérables du pays encouragent les partenaires internationaux à la modération ; enfin et surtout, dans une région très troublée, le pays est aujourd’hui, malgré les controverses électorales, à peu près stable.
Mais que vaut exactement cette stabilité ? Le pays aurait tout à gagner d’une véritable amélioration du dispositif électoral, produit d’un dialogue solide avec l’opposition, avec un véritable effort de mise en œuvre. Un report raisonnable et négocié de la présidentielle reste encore un prix acceptable à payer pour construire une élection crédible.
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