GUINEE-NIGER : Vers la fin des démocraties militarisées

Voici deux pays ouest- africains aux parcours politico-historiques absolument presqu’aux antipodes l’un de l’autre et qui se retrouvent pratiquement au même moment en train d’envisager le même processus qui, pour tous les deux, est en passe de définir, et de façon déterminante, de nouveaux contours de la vie politique future. La Guinée tout d’abord. Depuis l’ère Sékou Touré à l’avènement du putschiste Dadis en passant par le règne du général Conté, ce pays aura connu en tout et pour tout des dictatures. Les unes plus rocambolesques et ubuesques que les autres.

Démocratie, bonne gouvernance, alternance, on n’en avait cure. Et le capitaine Dadis, dernier arrivé, était bien parti pour cristalliser à lui tout seul tout ce qu’un régime autocratique pouvait avoir de malsain, d’irrationnel et de pervers.

Puis, il y eut l’attentat à moitié manqué du lieutenant Toumba. Presque providentiel, pour que le pays se remette dans la bonne direction. Et les choses de s’accélérer. Sékouba Konaté, désormais chef de l’Etat intérimaire nomme Jean-Marie Doré Premier ministre et, dans la foulée, un Conseil national de transition présidé par la syndicaliste Rabiatou Serah Diallo est créé, et a pour mission d’accoucher d’un projet de nouvelle constitution pour la Guinée. C’est ce projet qui vient d’être remis au général Konaté par la présidente de ladite institution. Le Niger ensuite. Après être passé par des zones de turbulences, à l’instar de bien d’autres pays du continent noir, ce pays avait anmorcé sa vitesse de croisière et, il faut le reconnaître, sous les deux premiers mandats de Mamadou Tandja, s’était résolument mis en marche sur la voie de la démocratie.

On ne dira pas qu’il le fit sans heurts ni cahots, mais la tendance était avérée et c’est cela aussi qui compte. Jusqu’à ce que la tentation du « rester au pouvoir jusqu’à ce que mort s’ensuive » s’empare du Colonel Tandja. Et là, on assista à toutes les dérives anticonstitutionnelles dans leurs formes les plus achevées. Le colonel président se battit contre tout et tous, dissolut l’Assemblée nationale, dépiéça la Cour constitutionnelle, organisa son fameux référendum qui lui permit de sauter le fameux verrou qui l’empêchait de se présenter à la magistrature suprême. Il se forgeait l’âme d’un dictateur à vie s’apprêtant à régner sur un pays, de gré ou de force, lorsque le soulèvement du 18 février le surprit dans sa torpeur.

C’est dans ce Niger nouveau dirigé par Salou Djibo qu’a été installé un comité chargé de rédiger un avant-projet de Constitution, dans les 45 jours. Ces deux pays africains, dans leur nouvelle lancée, présentent des signes d’une détermination avérée à écrire la suite de leur histoire. Et ils la veulent différente de celle qu’ils auront vécue jusqu’à présent. Les mililtaires au pouvoir à Conakry et à Niamey ne sont pas ceux qu’on a connus par le passé. Le dernier en date de cette espèce qui semble en voie de disparition est le président mauritanien. En Guinée et au Niger, les militaires ont juré de ne pas troquer leurs treuillis contre le costume cravate de président. Ils ont mis des garde-fous qui interdisent à tout membre de la transition (militaire comme civil) de se présenter à la prochaine présidentielle. En principe, si tout se passe bien, il n’y aura pas de démocratie militarisée en Guinée et au Niger.

Des signes encourageants. Pourvu seulement qu’ils se donnent les moyens de persévérer sur cette voie. Lorsque le CNT guinéen, dans ses propositions, demande que le mandat présidentiel, traditionnellement de 7 ans, soit ramené à 5 et s’accompagne d’une clause qui stipule que ledit mandat n’est renouvelable qu’une fois, lorsque le président nigérien du comité chargé de rédiger l’avant-projet, affiche sans ambages que "notre mission consiste à doter notre pays de textes qui vont assurer sa stabilité politique et institutionnelle", ce sont autant de messages clairs lancés et qui signifient sans fioritures que ces deux pays africains ont résolument décidé de rompre d’avec de brumeuses pratiques antidémocratiques qu’ils ont connues et dont ils veulent enfin se débarrasser. Et il y a vraiment de quoi. Ils le savent, pour en avoir souffert, et comment.

Reste toutefois que pour réussir pareille gageure, ils auront tout intérêt à veiller au grain. Le chemin pour y parvenir pourrait se révéler parsemé d’embûches, de ronces et d’épines. Ce n’est pas tout le monde qui regardera d’un bon œil ce nouvel ordre social que les nouvelles autorités guinéennes et nigériennes tiennent à mettre en place. Des partisans des anciens régimes, dans les deux pays, sont bien là, bien nostalgiques de leur gloire et prébendes disparues. La tentation leur sera grande, à défaut de s’opposer ouvertement aux nouveaux processus, à tout le moins d’utiliser des voies détournées et parfois souterraines. Même à l’international, il s’en trouvera des "amis et frères" des hommes forts désormais déchus pour "résister" à leur manière.

Et Dieu sait comment. La Guinée a toujours été un pays aux immenses ressources et le Niger, avec son uranium et depuis peu, son pétrole, a de quoi faire valoir. Ces deux pays avaient vu se presser au portillon, sous les anciens régimes, des amis et partenaires de tout acabit, dont certains étaient repartis ou s’étaient installés munis de bien juteux contrats. La seule perspective de leur révision peut susciter méfiance ou inimitié. Pour tout dire, les écueils ne manqueront pas, à l’interne comme sur le plan extérieur. Et puis, pour la Guinée, il n’est pas saugrenu de penser que Dadis pourrait revenir. Rabiatou Diallo a bien raison d’urger Sékouba Konaté à adopter le nouveau projet de constitution illico presto. Face à certains doutes, il convient d’aller vite. Il faut espérer que les personnalités fortes présentes au sein des nouveaux gouvernements guinéen et nigérien sachent jouer pleinement leur rôle. Ils redonneraient alors à leurs peuples respectifs de sérieuses raisons de croire en un futur prometteur.

Et si en plus, la communauté internationale, à son tour, accepte de les accompagner dans ce tour de force admirable d’audace et de patriotisme, c’est le continent africain tout entier qui, dans un proche avenir pourra se vanter d’avoir engrangé dans le cercle plutôt restreint de ses pays réellement démocratiques, deux néophytes qui ne demanderont que juste un peu de temps pour s’épanouir et pleinement se réaliser. Guinée et Niger : voici deux pays, qui récemment encore se trouvaient au creux de la vague, empêtrés dans des difficultés sociopolitiques d’une gravité avérée. Mais la volonté de se sortir du paralysant bourbier aura été déterminante dans l’esprit des acteurs politiques dans chacun des deux pays. S’ils s’en tirent réellement, ce ne sera que justice. La nature récompense aussi les vertueux. A se demander si les protagonistes de la crise ivoirienne qui s’enlise ne devraient pas se laisser inspirer par les bons exemples qui s’affichent à seulement quelques encablures de leurs frontières. Ils seraient sans doute bien inspirés d’y songer.

"Le pays"

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