Guinée : la timide reprise économique
- Par Administrateur ANG
- Le 04/11/2020 à 08:12
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REPORTAGE. Certains commerces commencent à rouvrir, 10 jours après le début des violences post-électorales, mais l'insécurité persiste.
Par Agnès Faivre, envoyée spéciale à Conakry (Guinée)
« On ne vend rien, rien ! » s'emporte une commerçante en disposant sur son étal des chaussures à talons vernies et colorées. Après neuf jours de fermeture, le marché de Madina, poumon économique de Conakry, a rouvert ce mardi. Mais très partiellement. Si les stands de médicaments, de mèches, les bassines de lessive, de jus de bissap ou de gingembre, les vendeurs de téléphones avec haut-parleurs ceinturés autour de la taille mangent une partie de l'avenue du Niger, la plupart des grossistes alignés derrière gardent porte close.
« Douze jours de fermeture, ça fait une grosse perte », soupire le gérant d'une entreprise de vente en gros de denrées alimentaires et de films plastiques, qui préfère garder l'anonymat. Cloîtré tout ce temps dans une des banlieues nord où ont éclaté les violences post-électorales, il avait cadenassé les portes métalliques de son magasin deux jours avant le scrutin présidentiel du 18 octobre. Il s'est résolu à ouvrir, et à rappeler sa dizaine d'employés, mais n'est « pas tranquille ». « On suppose qu'il y a une accalmie, mais beaucoup de gérants ont encore peur et évitent de se montrer. On est très exposés », dit-il. Ces derniers jours, nombre de boutiques et de stocks de marchandises ont été pillés. « Des centaines rien qu'à Conakry, affirme-t-il, surtout les petits détaillants. »
Les commerçants s'organisent
Vingt et une personnes sont mortes en Guinée depuis la présidentielle du 18 octobre, annonçait en début de semaine le ministère de la Sécurité et de la Protection civile. Mais le bilan est bien plus élevé, et reste difficile à établir. « Plusieurs dizaines de personnes pourraient avoir été tuées », alertait dimanche Amnesty International, dans un rapport documentant de nombreuses exactions commises par les Forces de défense et de sécurité (FDS). Les affrontements qui les ont opposées à des contestataires, ou entre militants du pouvoir et de l'opposition, s'ils ont baissé d'un cran cette semaine, n'ont pas réellement cessé. Et la crainte est tangible sur les marchés. « On a besoin d'argent, donc on revient petit à petit, mais c'est calme, les gens ne sortent pas. On attend les résultats définitifs de la Cour constitutionnelle », résume Adama Cissé, vendeur de chemises pour hommes installé devant la mairie de Dixinn, à deux pas du grand marché. « Un coin très reconnu par les fonctionnaires, et même les artistes. » Pour cette reprise, il fait avec son stock : « Nos marchandises viennent de Dubaï, ou d'Allemagne, mais il n'y a plus d'arrivage depuis deux semaines. » Autre contrainte, la baisse des prix peut attirer le chaland. « En général, on vend les articles entre 25 000 [2,2 euros] et 30 000 GNF [2,6 euros], mais là on est entre 15 000 [1,3 euro] et 20 000 GNF [1,8 euro] », grimace-t-il.
Des prix à la hausse pour l'alimentation
Dans les boutiques d'alimentation, au contraire, les prix s'envolent. « C'est surtout les denrées alimentaires de base qui manquent », explique Ousmane derrière le grillage d'une minuscule échoppe de la commune de Ratoma. « Depuis 3 jours, les prix ont augmenté. Le sac de riz de 50 kg qu'on vendait à 280 000 GNF [25 euros] est passé à 320 000 GNF [28 euros]. L'huile a augmenté de 225 000 [20 euros] à 250 000 GNF [22 euros] les 20 litres. On a aussi du mal à s'approvisionner en boîtes de conserve et en farine. Mais en banlieue, c'est pire, ils n'ont plus de farine depuis une semaine. Nous, on est aussi propriétaires d'un four, et on n'a fait qu'un jour sans pain depuis les élections », résume-t-il.
« On ne comprend pas la situation. On veut la paix, mais ça peut changer à tout moment. Il y a quelque chose qui ne va pas. On a entendu un appel du Front national de défense de la Constitution (FNDC), qui dit de ne pas ouvrir les boutiques, mais on est fermés depuis le 16 octobre. C'est dur pour moi de venir travailler avec l'insécurité, de sortir de la maison, d'avoir un taxi. Mais on n'a pas le choix. Et comme c'est la fin du mois, beaucoup de fonctionnaires viennent chercher leur salaire, ça nous fait un peu d'affluence », témoigne un employé d'une supérette du centre administratif de Kaloum. Il réside dans la commune de Matoto, proche de l'« axe » où se déroulent une partie des violences, concentrées dans les banlieues nord.
L'inquiétude est palpable…
Lundi et mardi, des émissaires de la Cedeao, de l'Union africaine et de l'ONU ont été dépêchés à Conakry pour une « mission diplomatique préventive ». Ils ont demandé aux autorités guinéennes de « rechercher les responsables [de violences et discours haineux aux relents ethniques] et d'engager des poursuites contre les auteurs de ces actes ». Et ont pointé aussi, mollement, la répression, en enjoignant l'État d'appeler les Forces de défense et de sécurité au « professionnalisme » et à agir « avec retenue ». L'Union européenne et la France sont également sorties du bois, en émettant aussi des réserves sur la crédibilité des résultats du scrutin.
« C'est depuis la mission des émissaires africains que le calme est un peu revenu », constate Chérif, 28 ans, sorti de chez lui pour chercher, en vain, une pièce de rechange pour sa moto. « Tout est fermé », soupire-t-il, en épongeant les gouttes de sueur qui perlent sur son visage. Il vient de passer une dizaine de jours barricadé chez lui avec sa famille, à Cobayah, une de ces banlieues nord peuplées de Peuls et supposées favorables à l'opposition. Un peu plus bas, à Wanindara, la route le Prince ressemble à un champ de bataille. Carcasses de bus et de voitures calcinées, mazout déversé sur la chaussée, tronc d'arbres et lampadaires arrachés, détritus et pierres jonchant le bitume… « Il y a eu beaucoup, beaucoup de violences. On a vu des morts, des femmes violées, des maisons saccagées », énumère-t-il.
… à cause du climat politique qui reste tendu
Plus bas dans le quartier, un groupe de jeunes est assis sur des murets. Derrière eux, les boutiques restent cadenassées. « Personne n'ouvre, les gendarmes nous en empêchent », affirme Oumar, 26 ans, « diplômé sans emploi ». Ces derniers jours, il a rejoint les contestataires, armés de pierre, pour empêcher les FDS de pénétrer dans leurs quartiers. Selon lui, la crise n'est pas réglée. « Ils n'ont qu'à dire les résultats sortis des urnes. C'est ça qu'on veut entendre. Depuis 2010, c'est toujours pareil. C'est des résultats fabriqués que donne la Céni [Commission électorale nationale indépendante] », énonce-t-il de façon hachée, colère contenue. Puis ajoute : « Vendredi dernier, j'ai vu mourir un jeune à côté de moi, tué par balle par les gendarmes. Derrière la mosquée, ils ont aussi brûlé trois maisons. »
Au premier étage d'un petit immeuble, Alpha Diallo, 26 ans, est assis sur une natte. Il a reçu une balle dans l'épaule samedi. « C'était par simple coïncidence, on ne savait pas que les policiers et les gendarmes allaient venir en bas de chez nous. Moi j'ai pas l'habitude de participer à des manifs, j'étais juste sorti, c'était calme. Mais d'un coup, j'ai vu des gens courir et j'ai entendu des tirs. Dans notre quartier, il y a eu un décès, un sage qui enseigne le coran. Il est décédé directement. Chaque soir, jusqu'à présent, les FDS continuent de venir. Ils tirent des gaz lacrymogènes, des coups de feu aussi. Ils veulent empêcher les gens de sortir ou de réclamer la victoire de Cellou », relate-t-il doucement.
Ce mercredi, le dispositif qui assignait arbitrairement à résidence l'opposant Cellou Dalein Diallo a été levé. Il avait été déployé mardi 20 octobre, au lendemain d'une conférence de presse au cours de laquelle il s'attribuait la victoire à la présidentielle. Les résultats provisoires de la Céni ont quant à eux consacré samedi 26 octobre Alpha Condé vainqueur de l'élection avec 59,49 % des suffrages. Des résultats censés être validés dans un délai de huit jours par la Cour constitutionnelle. C'est donc désormais la course contre la montre, pour l'opposant. Il tente de constituer un dossier de recours auprès de cette institution et lui remettre les preuves de sa victoire, malgré la défiance qu'elle lui inspire.
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