Guinée : la foire d'empoigne
- Par Administrateur ANG
- Le 31/01/2014 à 07:01
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Que n'a-t-on pas invoqué des élections législatives depuis l'élection présidentielle de novembre 2010! C'était comme si ces élections allaient insuffler à la Guinée une ère nouvelle de bonne gouvernance qui engendrerait la paix sociale et déclencherait illico un processus de croissance économique et de développement du pays.
Mais l'Assemblée nationale est encore récente et il n'est pas question de ma part de porter un jugement là-dessus. Ce qui peut inquiéter c'est l'environnement dans lequel elle doit faire ses premiers pas.
Trois ans après l'accession au pouvoir d'Alpha Condé, nous Guinéens ne semblons pas percevoir à l'horizon, des changements tant chantés. Au fur et à mesure que nous avançons la ligne d'horizon du rendez-vous radieux recule. Dans notre pays, seule la rumeur populaire sur ce que le gouvernement va faire, gonfle, gonfle... Mais il n'y a rien derrière. Ce spectacle me fait venir à l'esprit ces mots de Jacques Moreau : « A mesure que la connaissance progresse, les énigmes se multiplient et si cela continue, les ignorants seront bientôt seuls à savoir quelque chose » (Boustrophédon: essai d'intelligence). Dans le présent texte, il s'agit de la connaissance de la chose publique qu'est la République de Guinée. Il y a un tel embrouillamini de déclarations gouvernementales, activé par le Président lui-même, que se demander où nous allons ne semble pas avoir de sens. La tactique politicienne l'emporte largement sur une stratégie élaborée de politique nationale de longue vue. C'est ce qui explique que j'ai cette perception de perpétuelle improvisation sur des substrats politiciens. Mais je ne suis sûrement pas le seul à voir les choses évoluer sous cet aspect.
Le genre de foire d'empoigne au cours de laquelle on a assisté à la mise en place du nouveau parlement, au partage des commissions parlementaires, presque exclusivement entre des membres du RPG, et à la formation du nouveau gouvernement de Mohamed Saïd Fofana, reconduit à moitié des membres du précédent, apparaissent tous comme des gesticulations d'impuissance ou de manque d'imagination. A part trois ou quatre ministres de qualité internationale, on demeure sur sa faim.
Dans cette atmosphère de déchaînement folklorique qui ne semble émouvoir personne, la foire d'empoigne déclenchée par des membres du RPG, parti au pouvoir, est une vieille pratique dans notre pays. Le parti au pouvoir reconduit comme par atavisme tous les aspects de l'idéologie d'un parti-Etat : mainmise sur toute la République et son contenu, sur fond de haut-parleurs annonçant de merveilleuses réalisations qui vont jaillir de terre. Et les ondes de rumeurs et contre-rumeurs relaient la RTG sur tout ce qui peut être l'intention de Sékhoutouréya. Ainsi comme un long fleuve tranquille, se sont écoulées les trois années de la période 2011-2013. Mais on veut nous faire croire qu'il se passe, entre les différentes pérégrinations inutiles du chef de l'Etat, des faits positifs aux dimensions gigantesques. En réalité, il ne se passe pas grand-chose. Les vadrouilles sans objet précis d'Alpha Condé à l'étranger et sa permanente soif de reconnaissance par l'étranger (hypothétique médiation à Bissau, rejetée en son temps par ce pays limitrophe, grandes messes de Davos qui n'ont rien apporté aux Africains, aujourd'hui, pâle présidence de la conférence de la paix et sécurité de l'Union africaine sur l'appui à apporter à la Centrafrique, etc. ; tous ces faits pour épater les Guinéens d'avoir un président très actif). Pourquoi avoir passé trois années à tant d'agitations inutiles quand on considère les montagnes de problèmes à résoudre et toujours posés que le Président, élu en novembre 2010, avait devant lui en arrivant. Et ne me dites pas que c'est en moins de deux ans, d'ici à 2015, que des miracles vont se produire. Mais comme cela est déjà devenu une antienne, on dira, on dit déjà, que n'eût été « l'action maléfique des chefs de l'opposition », le développement de la Guinée aurait déjà été à un niveau supérieur de ce qu'on voit. Telle est la face permanente et visible de l'imposture des pouvoirs qui ont régenté la Guinée depuis qu'elle est République.
La grogne qui agite, un peu partout, le RPG ou des militants de ce parti, est que le gâteau que constituent les postes de députés à l'Assemblée nationale et les strapontins ministériels, n'a pas été partagé équitablement.
Les « grognards » vont jusqu'à « demander la formation d'un nouveau gouvernement dans lequel il y aura des vrais cadres du parti ».
Dans ce pays tous les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir ont ainsi fait croire aux citoyens que la participation aux tohubohus politiciens étaient payés rubis sur l'ongle, dans les sommets de l'Etat.
Aujourd'hui ce sont des militants de Siguiri qui ont exprimé leur colère sur ce point. Mais ils ne sont pas les seuls et le pouvoir qui sait manipuler cette population guinéenne paupérisée à l'extrême, connaît la thérapeutique de ce genre de situation. Quelques billets de banque distribués aux meneurs de la sédition, ou quelques nominations à des postes administratifs peuvent constituer la meilleure médication à des protestations sociales. Mais ces comportements ne constituent pas des indices de changement de mentalité. Le pouvoir ne semble même pas se poser de question là-dessus. On va rafistoler la situation et on croira qu'il n’y a plus de problème.
La situation d'imbroglio que le Président renforce par maints comportements, n'est pas faite pour lui éclaircir l'horizon de 2015. Il n'a cependant pas l'air de s'en apercevoir. Tranquille comme Baptiste, du moins le laisse-t-il croire, il s'enfonce dans des tactiques pas trop finaudes qui risquent de se refermer sur lui. Sa menace de publier des audits qu'il a trouvés dans des dossiers à son arrivée, ne trompe pas grand monde : « j'ai commis, dit-il, une erreur de ne pas publier les audits, mais je vais les publier maintenant pour que les gens connaissent la vérité sur ces prétendus opposants qui sont responsables de la gestion catastrophiques du pays ». La vérité est plus simple que le fait d'affirmer que la non publication des audits était une erreur. C’était bien un calcul politicien car certains de ceux qui pouvaient être concernés par ces audits étaient devenus des proches conseillers du Président et il avait besoin d'eux pour consolider son pouvoir. En outre les concernés ne peuvent pas être les seuls Premiers ministres de Lansana Conté mais aussi tous les hauts fonctionnaires de cette époque. Et pourquoi cette publication d'audits à moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle ? Sinon qu'à défaut d'un bilan positif visible du quinquennat raté de 2011-2015, le candidat Alpha Condé s'en serve comme succédanés de la vacuité de ce quinquennat. Ce n'est pas digne de la part de celui qui n'a pas cessé de mettre en avant la valeur éthique d'un combat politique de quarante ans. Ce n'est pas digne de bafouer à ce point « la confiance » des Guinéens. Les Guinéens devraient savoir quelle réponse donner en 2015 à un Président aussi dénué de sentiments moraux. Ce Président n'est préoccupé que de lui-même. Ainsi il vient de rédiger ou a fait rédiger un mémorandum d'une quarantaine de pages sur l'affaire de Pinè du début des années 2000, dans laquelle il avait été impliqué sous le général Lansana Conté et pour laquelle il avait été condamné à la prison de façon inique (se débarrasser d'un opposant politique). De nombreux intervenants : particuliers, presses nationale et internationale, partis politiques, associations, sont intervenus en sa faveur. Pourquoi un mémorandum en cette année 2014 sur cette affaire alors que de nombreuses affaires de meurtres de militants de l'opposition, notamment par des agents des forces publiques, et de dénis de justice, n'ont toujours pas trouvé un début de réponse ?
Alors dans un tel contexte d'accaparement du pouvoir et de la démocratie à naître dans notre pays, je ne vois aucune lueur me permettant de dire qu'aujourd'hui est meilleur qu'hier et que demain sera meilleur qu'aujourd’hui. Ce qui me fait voir l'avenir aussi sombre est fondé sur l'inconscience que le président Alpha Condé semble manifester sur de nombreux points. Un exemple de cette inconscience est donné par le fait qu'il affirme à qui veut l'entendre que c'est parce qu'il a déjà installé la démocratie en Guinée que les élections législatives se sont déroulées dans la transparence et d'appuyer cette croyance sur le fait qu'on ne trouve pas en Afrique d'écarts aussi étroits entre députés de la mouvance présidentielle et députés d'opposition. Or nous savons qu'avant ces élections, l'objectif du RPG avait été d'élire sous son nom, au moins, les deux-tiers des 114 députés. C'est la présence massive d'observateurs étrangers lors des votes qui a contrarié ce plan. Ne pas percevoir cela relève d'un nombrilisme aigu ou, à tout le moins, d'une altération mentale, qui annonce que le quinquennat 2011-2015 sera un quinquennat pour rien.
Enfin la foire d'empoigne qui alimente les rumeurs des jours en cours peut constituer des prodromes de bouleversements de l'espace politique guinéen de demain sera.
Ansoumane Doré
Dijon, France
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