Guinée : l’opposition investit le Web pour contourner la répression gouvernementale
- Par Administrateur ANG
- Le 08/04/2021 à 07:46
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Depuis la réélection en octobre dernier d’Alpha Condé, drainant son lot de violences politiques dans un contexte d’irrespect de la Constitution, l’opposition s’organise pour faire entendre sa voix. Tandis que ses locaux sont fermés par les forces du régime, le parti de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo organise son Assemblée générale de façon virtuelle, permettant à ses militants de poursuivre leur engagement sans craindre de répliques gouvernementales. Jusqu’à inventer une nouvelle forme de culture politique dans le pays .
Principes démocratiques foulés au pied : la Guinée post-élection exsangue
La situation en Guinée ne semble pour le moment pas près de s’améliorer pour les forces pro-démocratiques du pays. Depuis mars 2020 et le référendum sur la Constitution permettant à Alpha Condé de briguer et de remporter un troisième mandat en octobre dernier dans un cadre légal plus que douteux, les principales forces d’opposition mais aussi les simples citoyens attachés à la démocratie ont été pourchassés, enfermés, voire supprimés par les forces de sécurité du régime en place.
Quel que soit l’organisme extérieur, comme l’ONG Human Right Watch ou récemment le département d’Etat américain, le constat est sans appel : le déficit démocratique s’est aggravé, et les droits de l’Homme courent un grave danger dans le pays. L’opposition guinéenne estime à plus d’une centaine le nombre de morts en manifestation depuis un an, et les arrestations arbitraires, notamment dans la maison centrale d’arrêt de Conakry notoirement insalubre et confrontée à une flambée des cas de COVID, se comptent par milliers depuis le début de la crise politique. Le rapport du département d’Etat américain ajoute également qu’aucun rapport ne permet de comptabiliser le nombre de disparitions.
L’élection d’octobre n’a pas fait redescendre la tension, bien au contraire. Comme le signale Amnesty International : « Depuis l’élection présidentielle du 18 octobre en Guinée, les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force tuant par balle plus d’une dizaine de personnes et arrêtant des centaines d’autres lors de manifestations ou d’opérations de police dans des quartiers perçus comme favorables à l’opposition. » Il semble donc qu’au contraire d’une réconciliation nationale plus que nécessaire, le gouvernement se livre à des exactions voire des purges dans les milieux jugés contestataires.
Si l’on ajoute à cela les violences attisées par des discours ethno-nationaliste de la part du président et les tentatives de rejeter les problèmes sur les pays voisins accusés de « déstabilisation », le constat est bien sombre pour un pays dont les espoirs démocratiques étaient grands au moment de l’arrivée au pouvoir du même Alpha Condé, lui aussi ayant subi les foudres d’un pouvoir dictatorial dans sa jeunesse.
Organisation non conventionnelle pour situation extraordinaire ?
Pour autant, l’opposition ne baisse pas les bras. Attendant notamment de possibles sanctions de la part des pays occidentaux et d’instances régionales et internationales et refusant de céder à la résignation, elle continue d’essayer de faire vivre la démocratie guinéenne, par des moyens nouveaux et parfois peu conventionnels.
Tandis que le chef du PEDN (Parti de l’espoir pour le développement national) et ancien premier ministre Lansana Kouyaté exige la libération immédiate des prisonniers politiques, en demandant le respect de la présomption d’innocence, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) opère une mue démocratique en se réclamant strictement de la société civile au-delà des positions partisanes.
Pour l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le parti de Cellou Dalein Diallo arrivé second à l’élection d’octobre selon le comptage officiel (mais contestant toujours sa défaite), le temps est à l’innovation. Pour contourner la fermeture du siège du parti par le gouvernement, ce mouvement d’opposition a organisé des Assemblées générales virtuelles pour pouvoir s’adresser à ses militants sans restrictions.
Prenant la forme de conférences en ligne, ces AG virtuelles voient différents membres du parti prendre tour à tour la parole, avant que Cellou Dalein Diallo ne ponctue les débats, en général par un discours critique à l’encontre du pouvoir en place, comme le 27 mars dernier : « La crise économique est marquée notamment par une baisse drastique du revenu des ménages, une aggravation du chômage et une flambée du prix des denrées de première nécessité – conséquence directe de la dépréciation de la monnaie nationale -, la fermeture des frontières et l’augmentation fantaisiste des impôts et des taxes. Les misères que nous vivons ne sont pas une fatalité, mais la conséquence d’une mauvaise gouvernance. »
Véritable façon de remobiliser des militants parfois découragés par la réélection d’Alpha Condé et la répression dont ils sont victimes, ces AG virtuelles représentent aussi un moyen de contourner la répression. En novembre dernier, cinq hauts responsables de l’UFDG avaient été arrêtés : Ibrahima Chérif Bah (vice-président), Ousmane “Gaoual” Diallo (ancien député et ex-porte-parole du candidat du parti à la présidentielle), Abdoulaye Bah (ancien maire de Kindia) et Mamadou Cellou Baldé (coordinateur des fédérations de l’intérieur). On comprend mieux les avantages à ne plus se rassembler physiquement lorsque le risque d’arrestation est à ce point tangible.
Et la formule rencontre un franc succès, à en juger par le nombre de personnes ayant visionné chaque AG : plus de 330 000 pour la première le 20 mars, plus de 275 000 pour la seconde le 27 mars et plus de 263 000 pour la troisième le 3 avril à date. Preuve s’il en fallait que l’opposition guinéenne est toujours vive, en dépit des intimidations, et prête à se faire entendre sur le Web autant que dans la rue. Le dispositif, si jamais il venait à se généraliser parmi les forces démocratiques guinéennes, rendrait difficile la volonté de contrôle du gouvernement, en offrant une liberté nouvelle aux militants. Pour les nombreux expatriés et réfugiés politiques depuis le début des troubles, ce peut être également le moyen de rester en contact et de poursuivre la lutte démocratique à distance.
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