Guinée : « L’Etat ne doit pas sous-traiter le développement local aux sociétés minières »
- Par Administrateur ANG
- Le 29/11/2019 à 09:55
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Alors que le secteur minier se développe de manière vertigineuse, les populations déplorent le manque de retombées locales, observent les auteurs de cette tribune.
Tribune. Samedi 16 novembre, le président guinéen, Alpha Condé, en visite à Nzérékoré, annonçait aux populations l’attribution au consortium SMB-Winning, quelques jours plus tôt, des blocs 1 et 2 du gisement de Simandou, tout en reconnaissant globalement l’ampleur des frustrations en matière de développement local : « Bien sûr que je voudrais que cela aille vite. Je comprends vos impatiences. »
Ce gisement de fer de classe mondiale, qui promet une exploitation sur plusieurs décennies, porte le nom de la chaîne montagneuse qui, à plus de 800 km au sud-est de Conakry, domine les régions de Nzérékoré et Kankan, non loin des frontières avec le Liberia et la Côte d’Ivoire. Pour les populations locales, désabusées depuis une dizaine d’années, cette dernière annonce ravive l’espoir de voir se démultiplier les opportunités de développement local.
Implanté dans la région bauxitique de Boké (nord-ouest), le consortium SMB-Winning a vu son empreinte en Guinée s’étendre rapidement depuis son entrée en exploitation, en 2015, jusqu’à son statut actuel de premier producteur national de bauxite et, dans quelques années, celui de premier pourvoyeur d’infrastructures ferroviaires et portuaires. Seulement, les collectivités locales n’ont toujours pas bénéficié de sa contribution dans le cadre du Fonds de développement économique local (Fodel). Il se trouve en effet que le gouvernement guinéen n’a pas encore rendu opérationnels les mécanismes prévus dans le code minier de 2011 (amendé en 2013) pour financer le développement local.
Sur un autre théâtre d’opérations, en novembre à Siguiri, dans la région aurifère du nord-est, la Société Anglogold Ashanti de Guinée (SAG) a dû suspendre pendant quelques jours ses activités, après l’occupation de ses installations par des populations riveraines en quête de développement. Toujours ces derniers mois, plusieurs autres entreprises minières ont dû affronter les demandes des populations locales.
Risque de chantage
De fait, au regard des revenus miniers, le gouvernement semble avoir fait le choix d’une sous-traitance aux entreprises minières de son rôle régalien en matière de développement local. Le risque pour l’Etat est de se retrouver dans une relation de chantage sécuritaire avec les communautés d’une part, et de chantage social avec les entreprises minières d’autre part. L’autre risque est d’exposer les communautés à la paupérisation en cas d’arrêt prolongé des activités minières, comme la ville de Fria (centre-ouest) l’a durement expérimenté, entre 2012 et 2018, avec la fermeture par Rusal de son usine d’alumine.
Suivant l’évolution exponentielle de la production de bauxite (de 16 millions de tonnes en 2013 à près de 70 millions en 2019), les revenus miniers de l’Etat n’ont pourtant cessé d’augmenter et ont même connu un bond de 46 % entre 2016 et 2017, s’établissant à 505 millions de dollars (environ 420 millions d’euros à l’époque), soit 32 % du budget de l’Etat, d’après les données de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). On ne dispose pas encore des données pour 2018 et 2019, mais ces deux dernières années se sont caractérisées par un accroissement significatif de l’activité minière, notamment bauxitique, et, partant, des revenus de l’Etat.
Il est à noter que la législation minière guinéenne a prévu trois mécanismes fiscaux pour financer le développement local via les collectivités : la redevance superficiaire, le Fodel et le Fonds national de développement local (FNDL).
Des transferts marginaux
Les travaux du Natural Resource Governance Institute (NRGI) montrent que la redevance superficiaire, que les entreprises minières versent directement aux communes minières au prorata de la superficie de leur permis, est payée de manière assidue et transparente à travers des versements solennels en présence des populations locales. Cependant, son montant, marginal, ne représentait en 2017 que 4 % des revenus miniers locaux (ceux perçus par les collectivités locales).
En ce qui concerne le Fodel, qui est abondé par une contribution au développement local (CDL) prélevée sur le chiffre d’affaires des entreprises selon les substances (0,5 % pour le fer et la bauxite, 1 % pour les autres), le gouvernement ne l’a toujours pas rendu opérationnel. L’ancienne CDL, qui varie selon les conventions minières, a généré à peine 758 000 dollars en 2017, soit 7 % des revenus miniers locaux.
En ce qui concerne le FNDL, qui est un transfert à l’ensemble des communes du pays de 15 % d’un ensemble de six taxes dont les royalties, il n’a été activé qu’en 2019, alors qu’il aurait pu représenter en 2017 plus de 60 % des revenus miniers locaux. Lesquels sont essentiellement composés des paiements ou engagements sociaux des entreprises (jusqu’à 72 % en 2016 et 2017), consacrant ainsi un rôle développemental disproportionné des entreprises minières par rapport à l’Etat et aux collectivités locales.
Pression sociale
C’est ainsi qu’en Guinée, les entreprises minières pallient les défaillances de l’Etat en répondant à la demande sociale locale légitime de développement qui s’intensifie dès l’annonce de nouveaux projets miniers. Les différentes entreprises minières devront répondre à cette pression sociale, d’autant que dans un contexte électoraliste, les paiements du FNDL effectués par l’Etat depuis 2019 à l’ensemble des communes du pays ne suivent pas toujours les normes de transparence et de redevabilité vis-à-vis des populations, notamment en ce qui concerne la justification des versements et de leur utilisation.
Si l’engagement socio-économique local des entreprises reste utile et légitime, voire indispensable, l’absence de l’Etat et des collectivités locales en première ligne de la conduite du développement local contribue à passer un message dangereux aux communautés et à exposer les collectivités à la décrépitude. De surcroît, cela peut à terme entraîner une désappropriation de ces questions fondamentales pour l’avenir du pays – c’est donc également un enjeu de souveraineté.
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