Fodé Sanikayi Kouyaté, la révolte dans la peau
- Par Administrateur ANG
- Le 05/08/2016 à 11:58
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Témoin du massacre du 28 septembre 2009 à Conakry, Fodé Sanikayi Kouyaté est devenu un blogueur influent, convaincu qu’internet peut être une arme de démocratisation massive. Fodé Sanikayi Kouyaté assure que c’est un hasard si l’association qu’il préside, l’Association des blogueurs de Guinée (Ablogui), s’est installée là, au deuxième étage d’un immeuble du quartier de Dixinn, à Conakry.
Juste en face du stade du 28-Septembre, ainsi baptisé en l’honneur du jour où la Guinée s’est affranchie du joug colonial français.
Depuis, la mémoire de ce jour fondateur a été confisquée par le souvenir douloureux du massacre de 157 personnes et du viol d’une centaine de femmes par l’armée du capitaine Moussa Dadis Camara, le 28 septembre 2009. Ce jour-là, Fodé Sanikayi Kouyaté avait été l’un des premiers à donner l’alerte. Il dit désormais vouloir tourner la page. « Je n’aime pas m’enfermer dans le passé, explique-t-il. En Guinée, on passe plus de temps à combattre le passé qu’à construire l’avenir. »
Blogeur engagé
Né il y a vingt-neuf ans à Kouroussa, en pays malinké, Fodé Sanikayi Kouyaté a toujours été un élève engagé. Il est arrêté une première fois en 2006, lors d’une manifestation de lycéens. Il participe déjà activement au journal de l’école, mais l’espace d’expression est trop restreint. Puis arrive internet : le jeune révolté passe tout son temps – et dépense tout son argent – dans les cybercafés.
Il étudie le droit (l’un de ses professeurs, séduit par son éloquence et sa passion de la politique, l’a poussé à abandonner le cursus scientifique qu’il avait entamé), mais c’est dans le blogging qu’il s’épanouit. Novice du web, il entre en contact avec une autre révoltée, Sarah Ben Hamadi, journaliste et blogueuse tunisienne qui s’illustrera lors du Printemps arabe. La Tunisienne correspond avec le Guinéen, lui prodiguant des conseils pour son blog.
Exilé au Mali pour ses images
La reconnaissance arrive quelques mois plus tard, lorsque France 24 cite son blog, Guinée50, à l’antenne, mais c’est le 28 septembre 2009 qu’il se fait vraiment remarquer. Il était au stade ce jour-là et a été témoin des tueries. « J’ai prévenu France 24 de la tenue du meeting contre Dadis, se souvient-il. Les militaires tiraient dans tous les sens. J’ai escaladé un mur et me suis réfugié dans une pièce tout l’après-midi. »
Plus tard, profitant d’une accalmie, il marche jusqu’à un cybercafé du centre-ville. Ses photos font le tour du monde. Mais Fodé Sanikayi Kouyaté a été naïf : il n’a pas cherché à dissimuler son identité. Son nom et son visage circulent bientôt aussi rapidement que ses clichés, et le voici contraint de s’exiler au Mali pendant un an. Mais il n’est pas du genre à se laisser abattre. À Bamako, il améliore sa pratique du blog et s’investit à distance dans la campagne présidentielle de 2010.
L’éveil politique des consciences par les tags
Rentré fin 2010, il fonde l’Ablogui l’année suivante. Les débuts sont difficiles, mais le travail finit par payer. À la faveur de la présidentielle de 2015, le réseau lance la campagne « #GuinéeVote », qui insiste sur la transparence du scrutin.
L’opération génère 8 000 tweets – un succès ! Une autre campagne, « #DroitAlidentite », pousse ensuite le gouvernement à reprendre la fabrication et la distribution des cartes d’identité, jusque-là suspendues pour des raisons de sécurité. « Ce que nous voulons, c’est privilégier l’action citoyenne, parce qu’en Guinée on ne peut pas sortir dans la rue sans constater quelque chose de révoltant. Nous voulons alerter sur les carences du pays et sur le manque d’implication de nos dirigeants. »
Ces derniers mois, Ablogui a porté le débat sur les aspects liberticides de la loi sur la cybersécurité. Aujourd’hui, forte de 63 membres, elle veut veiller au respect des engagements pris lors de la dernière élection présidentielle – cette campagne-là a été baptisée Lahidi, « promesse » en soussou. Avec, toujours, cet éveil des consciences cher à Fodé Sanikayi Kouyaté en ligne de mire.
Sidy Yansané
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