Fait marquant: la démission de Tibou Camara
- Par Administrateur ANG
- Le 03/11/2009 à 07:34
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Tibou Kamara, ministre d’Etat chargé de la communication à "la présidence de la République" et auprès du ministre de la Défense nationale, a jeté l’éponge ce lundi. Il a fait savoir sa décision de quitter les sérails du CNDD depuis la capitale sénégalaise où il séjourne. Rappelons d’ailleurs que Tibou Kamara est le fondateur de l’hebdomadaire ‘’L’Observateur’’ et il est un ancien ministre de la communication du gouvernement Dr Ahmed Tidiane Souaré, ex-premier ministre de l'administration Lansana Conté.
Ci-dessous sa lettre de démission
Excellence Monsieur le Président du CNDD,
Chef de l’Etat
Monsieur le ministre à la Présidence chargé de la défense nationale,
Excellence Monsieur le Président,
Mon désir et mon dessein étaient d’aller jusqu’au bout et sans désemparer de mon engagement avec vous comme je l’ai toujours fait avec mes amis et mes compagnons, au prix parfois d’innombrables sacrifices personnels et de maintes incompréhensions. Pour moi, un homme agit selon ses convictions bien comprises ou non et défend son identité et sa personnalité propres en tout lieu et chaque fois qu’il en a l’occasion. Pour moi, le pire c’est à la moindre occasion, pour tout prétexte, de se renier, se défausser, de trahir l’amitié et la confiance des autres. Je ne sais pas le faire, je ne veux pas le faire. C’est un choix personnel que j’assumerai toujours avec sérénité et fermeté tant que je le peux, en tout cas, et dans le respect des valeurs et croyances communes.
Mon vœu auprès de vous et de votre frère d’armes, le général Sékouba Konaté, a été de vous aider avec dévouement et loyauté absolus à réussir la mission historique voire messianique que vous avez énoncée, annoncée le 23 Décembre 2008 pour laquelle vous avez bénéficié d’une bienveillance totale et d’un soutien unanime au-delà des frontières guinéennes : donner l’occasion et la chance enfin aux guinéens à la faveur de consultations électorales ouvertes, transparentes et paisibles de choisir librement leurs dirigeants et de se doter d’institutions fortes et crédibles. Ce faisant, ils pourraient changer le cours de leur histoire tumultueuse et se réconcilier avec eux-mêmes et surprendre pour une fois et agréablement un monde dont ils sont devenus la risée, dont ils semblent bannis.
Mon espoir, jusqu’au moment où je me suis décidé- après réflexion et analyse- de quitter les fonctions à moi confiées, a été de voir s’opérer un sursaut salvateur même tardif après la tragédie du 28 septembre 2009 afin de permettre à la Guinée de se relever de ses déchirures et blessures profondes et indélébiles. J’ai espéré d’où mon hésitation et ma réserve jusqu’à ce jour au fond de moi-même et de toutes mes forces que l’épisode traumatisant du 28 septembre ouvrirait les yeux à tous, ramènerait tous sur terre pour aider la Guinée à oublier et si possible à pardonner ses rancoeurs, surmonter toutes ses pesanteurs et lenteurs habituelles et chroniques.
Mon regret est de constater aujourd’hui malgré le cri de cœur et de détresse qui s’élève en Guinée et à travers le monde, beaucoup dans votre entourage dans un instinct de suicide ou baignant dans l’insouciance totale, se refusent d’entendre raison et de faire amende honorable comme d’autres heureusement : ils n’ont pas tiré les leçons ‘’ d’erreurs tragiques et fatales’’, se montrent indifférents et sourds à toutes les condamnations nombreuses et fermes en se refugiant derrière un chauvinisme douteux et ombrageux, ils voudraient ignorer les plaintes et complaintes de nos compatriotes , tous solidaires dans le grand malheur qui vient de frapper et endeuiller notre pays et déterminés aussi comme jamais à se rendre maîtres de leurs destins. Cette unité et solidarité retrouvées dans le malheur et sans doute après un effort d’exorcisme personnel et collectif est un espoir certain pour demain car beaucoup des guinéens et trop longtemps ont dépensé de l’énergie, de l’argent et du temps à se détester, à s’opposer , à se détruire sur la base de préjugés faux et clivages artificiels qui constituent la véritable menace pour l’avenir et une hypothèque sérieuse pour la communauté de destin ravivée et portée plus haut depuis les derniers tragiques événements . Eh oui, la Guinée a changé, les guinéens ne sont plus mêmes ces dernières années ‘’ fatigués’’ de leur histoire balbutiante et portés par la force de convictions inébranlables et de lendemains meilleurs possibles.
Mon autre regret, monsieur le président, est pour une fois dans ma vie et j’espère la dernière pour toutes , je sois obligé de me démarquer d’une cause que j’ai défendue car comme beaucoup j’y ai cru vraiment avant le réveil brutal et le désenchantement d’aujourd’hui.
Ma consolation cependant même maigre est de n’avoir pas attendu des heures sombres et des circonstances difficiles qui dégagent l’impression dune cause perdue pour faire entendre ma différence, prendre ma distance de thèses et positions inutilement extrémistes et passionnées. Votre confiance, à mes yeux, était un appel à une collaboration loyale et franche.
Ma hantise à ce stade de l’accélération brusque et dramatique de notre histoire, c’est une nouvelle épreuve de force tant vos relations avec les partenaires nationaux et étrangers sont empreintes de tension et de défiance dans une logique de guerre ouverte : en effet si hier le débat portait sur votre candidature à l’élection présidentielle, aujourd’hui, l’obsession de tous c’est votre départ pure et simple du pouvoir alors que ,pour votre part, vous continuez à croire en votre légitimité et revendiquez avec plus de force et de détermination des droits qui ne vous ont jamais été reconnus dans la fièvre politique et des enjeux électoraux. A quel saint se vouer ?
Monsieur le Président, vous le savez, auprès de vous , dans un climat d’adversité ouverte et de suspicion permanente, je me suis employé du mieux que j’ai pu avec d’autres citoyens de tous les bords à promouvoir le dialogue, la concertation, le partenariat responsable avec tous les protagonistes de la transition. Sans cesse, j’ai attiré humblement votre attention sur les risques d’une confrontation, d’une rupture de confiance et du dialogue avec les forces vives. C’est dans cet esprit qu’il m’a été donné de m’associer aux efforts de médiation ultimes des autorités religieuses avant la date fatidique du 28 septembre 2009 pour éviter le pire que nous avons malheureusement connu par la suite. Ces vénérables sages , comme une prémonition, avaient tiré sur la sonnette d’alarme.
Il n’est pas nécessaire d’insister, outre mesure, sur les positions et les prises de position qui furent les miennes pour vous épargner de douloureuses expériences comme celle du 28 septembre, pour garder l’estime et la confiance de l’opinion publique nationale et internationale, car l’heure n’est pas au procès et aux accusations entre partenaires d’hier et amis, je voudrais seulement vous demander de bien vouloir comprendre qu’il me fût difficile de continuer la fuite en avant qui, pour moi, n’a pas été un acte de lâcheté mais la volonté de rester digne et noble dans l’épreuve. A ce propos, si j’avais eu encore le sentiment, la profonde conviction qu’il était encore possible d’infléchir votre position actuelle et de vous amener à des concessions salutaires pour vous-même, vos proches et surtout le pays, je n’aurais pas hésité un seul instant à continuer à faire équipe avec vous. Je sais maintenant que de part et d’autre le point de non retour est atteint, moi-même , ébranlé dans mes convictions et mes espoirs de faire œuvre utile en m’impliquant dans la transition qui avait été placée sous les meilleures auspices, je suis en proie aux doutes et aux interrogations. Ayant cessé toute activité au titre de mes fonctions, pour une question d’honnêteté et de dignité et pour honorer aussi l’estime et l’amitié témoignées par vous à ma modeste personne parmi tant d’autres sans doute plus méritants, il me semble nécessaire de m’assumer entièrement en renonçant à compter de cet instant officiellement et formellement à mes fonctions de ministre chargé de la communication auprès de monsieur le président de la République et du ministre à la Présidence chargé de la défense nationale.
Monsieur le Président,
Je suis convaincu que vous qui exigez de chacun et tous dans toutes vos déclarations ‘’ honnêteté et probité morale’’, vous comprendrez la difficulté à occuper une fonction de façon théorique, les conditions actuelles, ne pouvant me permettre de remplir dûment mon mandat. Je n’ai pas de doute non plus que cet acte de démission pour vous et moi ne signifie guère la fin de relations amicales et fraternelles que des jours durant et pendant de longues nuits nous avons établies entre nous. Si je cesse d’être un collaborateur pour vous, vous trouverez toujours en moi un frère à votre écoute qui n’a pas de prétention particulière ni ambition démesurée : la Guinée m’a déjà tout donné, j’espère pouvoir un jour ou l’autre proche ou lointain avec d’autres lui donner le meilleur de moi-même pour combler ses espérances. Mon rêve, en réalité, est de vivre dans un pays où quel que soit le statut du citoyen, il a droit à la sécurité, à la liberté, à la dignité, au bien-être matériel et moral car comme l’a dit Victor Hugo : ‘’ Améliorer la vie matérielle, c’est améliorer la vie morale, faire des hommes heureux c’est faire des hommes meilleurs’’.
Mon Général,
Ensemble, dans une union et communion parfaite, nous avons milité et plaidé pour une transition réussie et apaisée. Tout seul, vous avez été pour moi et d’autres un bouclier et un rempart sûr , surtout vous avez essayé ,dans un esprit de constance et consistance et avec une conscience aigue du devoir, de faire bouger les lignes de force pour imposer le respect des engagements pris et réserver une place de choix dans l’histoire de notre pays à vos compagnons et vous. Cette attitude responsable explique en grande partie mon admiration et mon estime pour vous. Votre confiance aveugle et votre amitié envers moi me flattent à plus d’un titre. J’y ai puisé la force et la motivation à vous ouvrir mon cœur et à mettre à votre disposition ma modeste expérience. Pour toutes ces raisons d’ordre affectif, je suis profondément peiné de devoir vous mettre devant un fait accompli en quittant mes fonctions sans vous avoir consulté, à plus forte raison, attendre votre accord express. Je dois dire que je n’ai hésité et attendu jusqu’à maintenant en dépit de beaucoup d’infortunes et frustrations personnelles que par amitié pour vous. Seulement, il y a un moment où il faut se décider, un moment où un homme est appelé à faire un choix dans le secret de sa conscience et en usant de son libre arbitre. Ce fut le cas cette fois avec l’espoir intime que vous n’y verrez aucun motif de frustration et de déception encore moins de manquements à la confiance et à l’amitié que nous nous témoignons mutuellement.
Mon général, je vous prie de croire le moment de surprise et d’émoi passé après avoir appris ma décision que je garde pour vous pour le chemin que nous avons eu à faire ensemble dans la sincérité et la loyauté une profonde amitié. C’est pourquoi il m’est insupportable de vous embarrasser davantage en entretenant l’équivoque à propos de ma position vis-à-vis du CNDD au risque d’ailleurs de vous fragiliser pour le soutien constant que vous m’apportez : je ne peux continuer à me retrancher dans un silence confortable et une résignation facile encore moins à garder des fonctions que j’ai abandonnées, en réalité, depuis un moment.
A vous mon général et au capitaine Moussa Dadis Camara , je voudrais réitérer une nouvelle fois ma reconnaissance pour la confiance placée en ma modeste personne , réaffirmer ma disponibilité dans l’amitié et la fraternité , vous dire aussi combien de fois j’ai beaucoup appris de notre expérience commune et de notre brève collaboration.
Que Dieu éclaire et guide les pas de chacun d’entre nous et répande sa grâce et sa miséricorde sur notre pays par ces temps d’incertitudes et d’angoisse partagées.
Dieu est vérité et chacun d’entre nous est esclave de son destin.
Lundi 02 Novembre 2009
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