Et si on créait un Collectif ?

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Un régime avec un bilan catastrophique

Lorsque je relis le bilan de ce régime, que j'avais écrit en Mai 2013 (un papier de plus de 25 pages, intitulé « le bilan catastrophique d'Alpha Condé », et qui se trouve toujours en ligne), je constate que rien n'a changé, si ce n'est l'augmentation du nombre de morts en forêt, la perpétuation des assassinats ciblés, la fraude aux élections législatives et de nouvelles violations de la constitution.

Certes quelques hôtels ont bien été érigés ici et là (pour qui ?), quelques routes également (comme les fonds existent à la Banque mondiale, il faut bien les utiliser, mais en surfacturant le coût au passage), mais cela ne constitue nullement un bilan satisfaisant. En dehors des fonctionnaires, y compris ceux en uniforme, et pour la plupart RPGistes (ceci expliquant sans doute cela), les Guinéens ont vu leur pouvoir d'achat diminuer et leurs conditions de vie reculer. Or dans tous les pays du monde, c'est le critère essentiel pour reconduire ou pas un gouvernement.

Au niveau des hommes, ce régime rassemble en effet un maximum de personnages tout aussi incompétents les uns que les autres, menteurs et corrompus, pour lesquels la politique ne constitue qu'une manière de s'offrir des avantages et biens en nature, qu'ils n'auraient jamais pu obtenir à la sueur de leur front. Mais pour les zélateurs du pays, tout va bien. Ils ont raison, tout va mieux..., mais ils oublient de préciser... que tout va bien pour eux, mais pour eux seulement.

Au niveau des réalisations passées et des échecs du gouvernement, ce n'est pas le lieu ici d'en faire l'inventaire. Nous aurons suffisamment l'occasion d'y revenir cette année dans un autre cadre.

Il convenait donc de profiter de l'occasion d'une conférence à Paris consacrée aux alternatives de l'opposition, pour tenter de susciter des vocations, à savoir présenter la mise en place d'un Collectif, pour agir concrètement (notamment au niveau juridique) et faire ce que l'opposition devrait faire, dans des domaines où elle reste désespérément passive. Cela fait partie d'une stratégie de la société civile (non institutionnelle, mais réelle) pour favoriser l'état de droit en Guinée, tout en permettant à la diaspora de s'impliquer. C’est chose faite, au-delà des espérances.

 

On veut des élections crédibles et transparentes...

On a connu des élections libres en Guinée en Juin 2010, ce qui signifie que chacun désormais peut s'exprimer librement, ce qui est loin d'avoir été le cas pour les élections passées. On se souvient même que cela a été une préoccupation du RPG : http://www.jean-jaures.org/Cooperation-internationale/Afrique/Elections-democratiques-controle-et-transparence. Certains ont la mémoire courte.

Libres ne signifie pas pour autant transparentes (on se rappelle que tout n'a pas été publié et qu'il reste de nombreuses zones d'ombre, qui mériteraient la lumière s'il n'y avait rien à cacher) et encore moins crédibles. Je ne reviens pas sur le vol par Alpha Condé de son mandat, c'est du passé, et tous les acteurs politiques de l'époque ont, non seulement entériné cette mascarade, mais également celle des élections législatives en Septembre 2013.

 

ce qui nécessite la présence de la Communauté internationale

Jusqu'à présent, la Communauté internationale s'est pleinement investie en Guinée, car il faut rappeler que c'était la première fois que l'UE participait à l'observation d'élections législatives, n'intervenant généralement que pour des présidentielles. Le verdict de la Mission d'Observation Électorale de l'Union Européenne (MOEUE) est pourtant net et sans bavure, c'est pourquoi je ne ferai qu'en rappeler certaines conclusions :

  • « des manquements et irrégularités... , empêchant la prise en compte d'un nombre significatif de suffrages exprimés, pouvant remettre en cause la sincérité de certains résultats ».
  • « la Cour s'est également dédouanée de ses responsabilités, ... équivalant à un déni de justice, tant à l'égard du Code électoral que de la Constitution ».
  • « une réforme profonde du contentieux électoral et des procédures ... s'avère impérative pour les prochaines échéances électorales ».

Comme son nom l'indique, cette Mission ne fait qu'observer, elle ne peut pas annuler les élections ou même empêcher les fraudes, mais seulement les constater. Elle ne peut donc qu'émettre des critiques et des recommandations aux acteurs politiques guinéens, recommandations qui n'ont d'ailleurs aucune valeur coercitive et qui ne s'imposent donc pas, ni à la CENI, ni au pouvoir. Il faut donc que les Guinéens se prennent en mains, en adultes, et le plus tôt sera le mieux.

 

S'agit-il d'un soutien à l'opposition ?

Certains se demanderont si ce mouvement est un soutien à l'opposition. Ce serait hypocrite de dire qu'il n'y a pas de soutien indirect (faire ce que l'opposition n'a pas voulu ou pu faire), mais ce n'est pas le but initial du mouvement, car ce dernier devra subsister quel que soit le parti au pouvoir, le meilleur moyen d'aider un gouvernement, étant de continuer à le critiquer. En outre d'autres mouvements existent dans ce but, il ne faut donc pas tout mélanger.

Militer activement au sein du Collectif signifie donc ne pas militer activement au sein de partis, c'est une question de bon sens, car on peut difficilement être à la fois juge et partie, c'est-à-dire émettre des critiques, tout en participant au système. Par ailleurs, rester à l'extérieur des partis politiques permet d'éviter la corruption parfois liée au pouvoir, et donc de garder une certaine éthique.

Depuis plus de quatre ans, Alpha Condé a roulé l'opposition dans la farine, et cette dernière a été incapable de montrer sa capacité à assurer l'alternance, aussi bien sur les plans juridiques, politiques et même constitutionnels.

Certains se demandent si on peut faire confiance aux hommes, qui ont trahi dans le passé, qui trahissent encore aujourd'hui et qui trahiront sans doute encore demain, trahison étant entendue dans son acception la plus large.

C'est une question évidemment difficile, mais la mauvaise gouvernance actuelle de ce régime est telle, que le choix de l'opposition constitue pourtant un moindre mal.

Certes l'opposition a manqué plusieurs fois l'occasion de se faire entendre – je ne reviens pas sur la mise en place de la CENI ou de l'Assemblée Nationale -, de sorte qu'elle est devenue inaudible, centrée qu'elle est sur ses intérêts propres, or dénoncer ne suffit pas. Par exemple, lors du meeting du 22 Janvier dernier à Bonfi, elle avait rappelé qu'elle allait se consacrer au départ des présidents des différentes délégations spéciales RPGistes nommés par Alpha Condé en violation des textes. Rien n'a été fait à ce jour.

De même elle se plaint – à juste titre – que le fichier électoral n'est pas sincère, or elle n'a pas dénoncé l'absence par la CENI de rectifications au dernier trimestre 2014. Aux élections législatives, ceux qui n'avaient pas de cartes électorales sont-ils allés faire le pied de grue à la CENI pour les récupérer ?

Enfin l'opposition n'a ni réglé le problème de la Cour Suprême (son incroyable déni de justice lors des élections législatives), ni celui de l'Institut National des Droits Humains (INDH). Il semble qu’elle ait fait un recours à la Cour Suprême. Accusera t-on parallèlement à l’Assemblée Nationale le PRG de haute trahison ?

L'opposition doit montrer que son alternance conduirait à une gestion paisible des événements (le droit remplace la violence), et la meilleure (seule) manière d'y parvenir est de le montrer. Les marches de protestation au compte-goutte ne serviront qu'à verser le sang des innocents, et sont donc prématurées, pour ma part. Elles permettent par ailleurs au pouvoir d'acquérir une expérience dans la gestion des manifestations, de sorte que ces dernières perdent en efficacité.

 

S'inspirer des mouvements « y'en a marre » et du « Balai citoyen »

Y'en a marre, et le Balai citoyen, c'est quoi ?

On se rappelle tous que le mouvement « y'en a marre » au Sénégal avait été créé le 18 Janvier 2011, au départ pour protester contre les coupures d'électricité, dues à la gabegie des représentants de l'État. Son but était d'inciter les Sénégalais à renouveler le personnel politique, à lutter contre la corruption et à promouvoir le civisme.

Les jeunes parlent régulièrement des nuits passées dans le noir et des journées de travail perdues, des enfants qui rendent l'âme dans les hôpitaux, dans les salles d'opération, des cadavres qui se décomposent dans les morgues à cause des coupures d'électricité. Ils constatent l'échec des politiques agricoles et le monde rural abandonné à lui-même. Les scandales financiers avec ces milliards détournés, la corruption érigée en système de gouvernance.

Que faire ? Continuer à se morfondre dans la fatalité et laisser les politiciens pérenniser ce même système ? Se contenter de dénoncer, comme certains le font si bien, via la presse ou la musique ?

Nous aussi, nous devons dire « Y en a marre » pour susciter un mouvement populaire, une convergence des forces de la jeunesse guinéenne, une synergie de réflexions et d'actions précises et ciblées, pour amener les autorités à faire des préoccupations du peuple leurs urgences et à arrêter d'ériger des futilités au rang de priorités.

Il faut se positionner comme une sentinelle de la démocratie et un acteur du développement.

Nous estimons qu'il y a des Guinéens qui constituent plus de 60% de la population, et qui rêvent d'un avenir, qui ne leur est proposé qu'à travers des rêves inaccessibles (les hôtels qu'on nous présente, les villas de la Plaza Diamant qui ont été construites, qui peut les acheter ?). Cette lutte passe t-elle nécessairement par le départ d'Alpha Condé, qui veut reprendre la Guinée là où Sékou Touré l'a laissé, c'est-à-dire il y a 30 ans en arrière, et qui a cassé le contrat social ? L'enjeu, ce n'est pas seulement de se débarrasser d'un vieux dirigeant aux propensions totalitaires, mais de susciter une prise de conscience des jeunes, susceptible de mettre notre pays sur la voie du développement.

Si le gouvernement apprécie cette initiative (j'en doute, sinon il aurait réglé les problèmes lui-même), nous pourrons peut-être le convaincre d'agir dans le sens des intérêts des Guinéens. S'il nous met des bâtons dans les roues, il fera notre publicité. Dans les deux cas, nous sommes gagnants.

De même le Balai citoyen au Burkina doit nous inspirer, même si nous ne pouvons pas (voulons pas) faire du copier-coller. Ici en Guinée, les réalités sont fondamentalement différentes (le PRG actuel peut juridiquement se représenter), et nous voulons nous inscrire dans la durée, en vue de mettre fin à cette routine, et surtout de contrôler ceux qui nous contrôlent.

 

Une Sentinelle démocratique en Guinée, pour quoi faire ?

Une bonne partie de la jeunesse guinéenne ne se reconnaît pas forcément dans les partis politiques, ni dans certaines organisations de la société civile. Les jeunes n'ont pas ou plus confiance en eux pour différentes raisons, qu'il n'est pas utile de rappeler. Toutes les organisations sont infiltrées, il suffit de regarder qui sont à la tête de celles-ci pour s'en convaincre. Lorsqu'Alpha Condé n'a pu « acheter » certaines organisations, il en a créé des concurrentes, à qui il octroie une reconnaissance officielle, alors que ce sont des coquilles vides.

Il faut donc susciter ou créer une alternative pour une partie de la jeunesse et/ou de la diaspora. Depuis le début de l'année 2015, une année fertile en événements, on sent un bruissement de volontés, mais aussi de frustrations. Il va donc falloir multiplier les actions à caractère politique, y compris sur le terrain. Il faut organiser des débats publics, voire des concerts pédagogiques, afin d'éveiller les consciences des citoyens au sujet des problèmes existants en Guinée. Le combat n'est pas gagné d'avance, mais ça finira par payer, car comme le disait le poète allemand (1898-1956) Bertolt Brecht : « celui qui se bat peut perdre, celui qui ne se bat pas a déjà perdu ».

En créant un Collectif, il s'agira de faire de la Politique avec un grand P, car modifier le Code électoral et intenter un procès contre la Cour Suprême par exemple, sont des actions qui bénéficieront à tous les partis. En effet, qui va se soumettre aux décisions de cette dernière, alors qu'elle a perdu toute crédibilité ?

L'opinion publique est totalement aphone en Guinée, raison de plus pour continuer à se taire… mais à agir désormais.

La jeunesse guinéenne a du tonus, de la vitalité. Elle ne demande qu'à faire, mais aimerait avoir son mot à dire sur les décisions qui concernent sa vie de tous les jours.

La création d'un Collectif a pour seule ambition de débloquer le système et donner la parole à ceux qu'on n'entend pas, en faisant des choses concrètes et pacifiques pour ouvrir quelques pistes, afin que chacun d'entre nous acquière un surcroît de dignité en se sentant utile.

 

Quelle est la part de mon implication personnelle ?

Personnellement je me suis engagé à agir, car je ne supporte plus l'inertie et la passivité. Il y en a marre de rester les bras croisés, au moment où notre pays est pris en otage par un clan peu soucieux de l'avenir du pays et des Guinéens. Il faut rompre avec les habitudes laxistes et fatalistes pour tendre vers un idéal de citoyenneté active et participative pour assumer nos responsabilités dans l'émergence d'une nouvelle Guinée.

À l'occasion de discussions avec des internautes, j'ai décidé de tenter de susciter des vocations, à savoir mettre en place un Collectif, pour agir concrètement (notamment au niveau juridique) et faire ce que l'opposition devrait faire, dans des domaines où elle reste désespérément passive. Cela fait partie d'une stratégie de la société civile (non institutionnelle) que nous sommes, pour favoriser l'état de droit en Guinée, tout en permettant à la diaspora de s'impliquer.

Comme Alpha Condé a décidé de rempiler (même pas honte), que l'opposition se regarde le nombril, et que les Guinéens ont les dirigeants qu'ils méritent (qui ne dit mot consent), il est temps d'agir et « on est jamais mieux servi que par soi-même ». Mais militer, ce n'est pas un métier, et cela prend du temps.

 

Conclusion : comment ?

Il existe des incontournables auxquels le Collectif devra s'atteler impérativement (Code électoral, Cour Suprême, CENI, Journal Officiel, délégations spéciales…) pour permettre des élections sereines. En effet, il faut être conscient que si nos démarches n'aboutissent pas, elles ne reconfigureront pas le logiciel mis en place par le pouvoir pour frauder, et même s'il faudra être attentif sur les causes, la justice bafouée ne pourra laisser sa place qu'à la seule violence, ce qu'il faut éviter.

Mais au vu du nombre et de la qualité des personnes intéressées, le Collectif élargira son rayon d'actions aux domaines économique (secteur minier, secteur énergétique) et humanitaire.

Dans tous les pays du monde démocratique, les gouvernements tombent parce que les électeurs défendent leur pouvoir d'achat. Depuis longtemps, mais également avec Alpha Condé, la Guinée reste riche potentiellement mais les Guinéens s'appauvrissent (et avec ébola cela risque de continuer). Et Alpha Condé prétend être élu au premier tour en appauvrissant et en divisant les Guinéens. Il ne faut pas laisser faire et cela dépend de nous. Si la justice réagit favorablement, peut-être pourrons nous modifier certaines choses à la marge. Dans le cas contraire, il faudra nuancer le principe que le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) enseignait dans « le savant et le politique1 », à savoir que dans un État de droit, l'État a le monopole de la violence légitime, en rappelant qu'il ne le détenait que par délégation du peuple, car le peuple reste toujours le décideur en dernier ressort.

Sous six semaines, le temps de mettre en place les structures (nous sommes sans doute trop nombreux actuellement), d'initier les premiers dossiers et de lancer la machine, nous vous tiendrons régulièrement informés non de ce qu'il faudrait faire, mais de ce qui a été fait. Ceux qui sont à distance pourront participer à cette aventure humaine, car nous aurons besoin de vous, et chacun peut un peu…

 

 

 

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

 

1 en 1919.

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