Essai de vulgarisation du rapport d'audit OIF des 16-18 Novembre 2012
- Par Administrateur ANG
- Le 23/02/2013 à 21:56
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Rappel du contexte
Comme beaucoup d'internautes, j'ai lu le rapport final de la mission de vérification de la mise en œuvre des recommandations de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), élaboré par leurs experts électoraux, qui ont séjourné du 16 au 18 Novembre à Conakry, soit 5 mois après leur première mission du 11 au 17 Juin (mission faisant suite à celle du Pnud du 22 Mars au 6 Avril 2012). Lorsque vous en aurez apprécié le contenu, vous verrez pourquoi – bien que vous le sachiez déjà -, pourquoi le président de la CENI a sciemment choisi de le cacher. J'ai donc décidé d'en faire un compte-rendu le plus pédagogique possible.
Le but de cette mission était de vérifier si les recommandations, que l'OIF avait faites alors, ont bien été suivies d'effets. Évidemment ces spécialistes se sont strictement limités aux aspects techniques, et ne se sont pas immiscés dans le fonctionnement politique de la nouvelle CENI, qui a été très largement renouvelée entre-temps.
Comme précédemment, les auditeurs de l'OIF ont abordé l'essentiel des aspects liés à l'organisation technique du processus, mais ils précisent, et cela est important de le souligner, qu’ils n’ont pas pu vérifier le système central, qui est pourtant l'essentiel, parce que c'est ici que sont centralisés les résultats. Seuls les techniciens de Waymark disposent du mot de passe permettant d'accéder aux données, mais bizarrement étaient absents – on se demande bien pourquoi ? - le jour de la mission de l'OIF ??? D'autre part, ils n'ont pas eu accès à un certain nombre de documents, tels le découpage administratif et le nombre de CARLE, le contrat entre la CENI et Waymark pour la fourniture du système, les décisions et circulaires de la CENI relatives à la révision 2012 de la liste électorale.
Ainsi la procédure de sauvegarde et de centralisation des données, l’architecture et la composante du système, le module de procédure de consolidation et de dé-doublonnage, l’affection des électeurs et l'équilibre des bureaux de vote, le module d’impression des cartes et des listes d’électeurs... - toutes notions qui seront explicitées ci-après -, et surtout les données de la liste ayant servi aux élections de 2010, montrent qu'il existe encore de sérieux problèmes, qui justifient le report des élections, pour cause de fraudes potentielles, donc réelles.
Que reproche t-on au système Waymark ? : rappel des fraudes potentielles
Lorsqu'il n'est pas possible d'écarter des candidats (comme Alhassane Ouattara le fut un temps en Côte d'Ivoire, ou Koffi Yamgnane au Togo), on s'emploie à exclure les électeurs. Plusieurs techniques sont possibles, et il faut bien reconnaître que le système Waymark les favorise à plein.
Dans un premier temps, lors de la phase d'identification, on refuse l'inscription ou la réinscription sur les listes électorales de citoyens, dont on pense qu'ils vont « mal » voter, en invoquant généralement un motif de nationalité (les fameux Somaliens), de patronyme ou de faciès. L'idée d'introduire de nouvelles cartes d'identité sécurisées où le MATD serait maître d’œuvre, permettrait ces dérives. On sait ce qu'il est advenu en Côte d'Ivoire avec ce système privilégiant la notion d'ivoirité. Le système de cartes d'identité a été abandonné, mais en partie seulement, devrions-nous dire.
Dans un deuxième temps, on peut retarder la distribution des nouvelles cartes d'électeurs aux opposants, de manière à ce qu'ils ne puissent pas voter, en faisant valoir un motif technique. Par exemple un nombre d'imprimantes limité (ou en panne pour utilisation excessive) ne permet pas d'imprimer les cartes d'électeurs dans les délais (voir ci-après). De même les cartes peuvent être imprimées, mais distribuées seulement la veille des élections, de sorte que tout le monde n'est pas servi à temps.
Il existe évidemment la possibilité de n'ouvrir qu'un nombre limité de bureaux de vote dans les zones urbaines acquises à l'opposition, provoquant ainsi des files d'attente considérables et l'impossibilité pour un grand nombre d'électeurs de voter avant la fermeture du scrutin.
Toutes ces dérives ont été pointées dans les rapports précédents. Pour essayer de comprendre pourquoi il est exclu de conserver Waymark en s'en tenant au statut quo (sauf à accepter que les résultats ne soient pas sincères), je vous propose de commenter les problèmes techniques toujours pendants à la CENI, et ainsi vérifier que les dysfonctionnements constatés sont toujours nombreux, et se situent à plusieurs niveaux, tout en rappelant que si, malgré tout, ces techniques ne suffisent pas, il reste la possibilité de tricher sur les résultats (c'est même la meilleure des techniques, car la plus efficace).
Les problèmes techniques confirmés par cette mission
En préalable, il faut noter que les tests de l'OIF n'avaient eu lieu précédemment en Juin, que sur deux seuls kits d'enrôlement à Conakry. Cette fois ils n'ont eu lieu que sur un seul kit de démonstration (c'est-à-dire seulement sur celui qui leur a été présenté), ce qui signifie qu'ils n'ont pas pu choisir un kit au hasard, tout le monde comprenant bien la nuance.
Cela pose un autre problème, puisque s'il faut faire des modifications sur les kits (et cela est nécessaire au vu de ce qui suit), comment fera t-on pour le faire ? Faudra t-il ramener tous les kits à Conakry, ou faudra t-il envoyer des techniciens, qui iront faire ce qu'ils veulent localement et sans contrôle ? Évidemment la CENI indique que ce sont les superviseurs qui feront les modifications sur le terrain, sic... en une semaine ???, l'OIF préférant le retour des kits à Conakry.
Au niveau des kits et des procédures d'enrôlement
Enregistrement et rattachement des électeurs
Les experts de l'OIF constatent que la personne chargée d'initialiser le kit (celui qui installe ou qui lance le programme pour la première fois), reste anonyme (ne possédant pas de nom d'utilisateur). Il est donc possible à ce moment, de saisir des électeurs, sans que l'on ne sache qui a fait cette manipulation. De même l'utilisateur d'un kit (celui qui enregistre les électeurs), peut disposer de plusieurs profils, à l'image des sessions sur un ordinateur (la même personne peut être identifiée sous les noms de Mamadou et d'Amadou par exemple), et enregistrer deux fois les mêmes électeurs de la mouvance par exemple).
L'opérateur Waymark a également la possibilité de rattacher des électeurs à des districts/quartiers qui ne sont pas du ressort de la Commission administrative de révision des listes électorales (CARLE). Des électeurs peuvent donc voter plusieurs fois.
De même par la même manipulation sur le kit, il est possible de modifier le quartier et le secteur, ce qui signifie concrètement qu'un électeur qui ferait la queue pendant 2 heures pour voter le jour J, peut se voir dire ensuite qu'il n'est pas inscrit ici (dans le quartier ou le secteur). Il se découragera sans doute à refaire la queue une nouvelle fois, sans être sûr d'être inscrit à l'endroit où il patiente de longues heures. On imagine bien que ce sont les électeurs de l'opposition qui risquent fort de subir ces désagréments, en vue de se décourager à voter.
Enfin, il n'existe pas de codification permettant de distinguer les circonscriptions et les bureaux de vote. Concrètement, lorsqu'un électeur vient s'enregistrer, le bureau de vote n'est pas inscrit automatiquement, mais... manuellement, ce qui permet toutes les dérives (voir ci-dessus).
L'expert conclut – à juste titre – qu'il faut tout verrouiller, c'est-à-dire empêcher ces manipulations (et évidemment sur tous les kits !!! – voir précédemment).
Liste électorale
Une base de données a bien été installée sur le kit de démonstration (et les autres kits ?), mais si des données alphanumériques ont bien été chargées manuellement sur celui-ci (donc sans prendre en compte les données biométriques), l'expert n'indique pas que ce sont celles de 2010. Autrement dit, on a pu recenser de nouveaux électeurs sur cette base de données, sans qu'il soit possible de les identifier.
On se rappelle que lors de l'audit précédent, il existait une différence de 142 198
électeurs, soit environ 4% du corps électoral, l'écart entre les deux candidats du deuxième tour avoisinant les 100 000 voix. Il faut donc rapprocher certaines déclarations de l'opposition, faisant état d'une inscription de 500 000 nouveaux électeurs, principalement en Haute Guinée, de ces manœuvres.
Au niveau de la sauvegarde
Les transferts de données s'effectuent par clé USB, mais la traçabilité n'est pas possible, et si des données absentes à Kankan par exemple, apparaissent au niveau central à Conakry, on ne pourra pas comprendre comment elles sont arrivées là. De même ceux qui sont recensés à Mamou par exemple, sont ensuite sauvegardés sur une simple clé USB, qui transitera du superviseur au coordinateur régional, puis de ce dernier vers le site central, avant d'être ensuite enregistrés sur le fichier central à Conakry. On image que des clés peuvent se perdre en route, entre le kit de Mamou et le site central, ce qui fera des voix en moins. De même des électeurs officiellement et légalement recensés, peuvent disparaître en cas de non transfert des données. Sur le suivi de fiches (papier) existant, on peut écrire ce que l'on veut sans que cela corresponde à la réalité, c'est-à-dire l'existence réelle des données sur le serveur central.
Au niveau du fichier central
Pas de possibilité de vérification par les experts
Comme indiqué précédemment, les auditeurs de l'OIF n'ont pas pu vérifier le système central, qui est pourtant l'essentiel, parce que c'est ici que sont centralisés les résultats, et qu'un programme informatique – donc non visible - peut s'incruster entre la récupération des données électorales (les votes par exemple) et l'affichage (et/ou l'impression des résultats). Il est donc possible de falsifier aisément les résultats.
Par téléphone – c'est ainsi que les experts ont « vérifié » le système central (on doit donc prendre pour argent comptant de simples déclarations) -, les données alphanumériques restent accessibles et modifiables sur le site central, ce qui est un scandale, car il est possible de les modifier (création de faux électeurs non recensés par exemple, et suppression de vrais électeurs supposés favorables à l'opposition). Certes il existe une possibilité de vérifier tout ce qui a été fait sur le serveur, mais d'une part, seul l'administrateur du site y a accès, et d'autre part, il a la possibilité d'effacer toutes ces traces. Autrement dit l'administrateur du serveur central a la possibilité d'y faire ce qu'il veut... en toute impunité.
Par exemple, le système de correction des doublons potentiels entre les fichiers de 2010 et celui de 2012 n'a pas pu être vérifié, du fait de la non existence du fichier 2010 (ou la non vérification) sur le fichier central. Le « matching » après le transfert déclaré (mais non vérifié) des données biométriques 2010 de la Sagem n'a pu être vérifiée. Toutes les fraudes potentielles en amont, et notamment les doublons, ne pourront donc pas être corrigées.
Concrètement au niveau des kits, on peut enregistrer par exemple 200 Mamadou Diallo dans toute la Guinée, et n'en garder qu'un seul au niveau du serveur de Conakry, pour cause de … doublon !!!
A l'inverse, un Sékou Traoré enregistré plusieurs fois (en considérant qu'il s'agit de la même personne) pourra passer au travers des mailles du filet. En effet les données des électeurs étant modifiables, on peut modifier manuellement le non de sa mère, pour obtenir deux électeurs différents, rattachés à deux bureaux différents, alors qu'il n'existe en réalité qu'un seul Sékou Traoré au départ.
Système de sauvegarde
L'OIF ayant constaté en Juin, qu'il n'existait même pas un serveur de sauvegarde en cas de sinistre ou d'incident grave sur le site central (incendie ou dégât des eaux par exemple). Or dans cette hypothèse, le fichier sera inutilisable et on devra le restaurer à partir des clés USB. Lesquelles, celles originales ou d'autres ? Rien n'est dit dans ce nouveau rapport.
La CENI a annoncé, que bien que les systèmes Sagem et Waymark n'étaient pas compatibles, Waymark a quand même réussi à extraire les données biométriques du fichier 2010 du système Sagem, pour les transférer vers son système. Comme cela s'est fait en catimini, sans contrôle, et qu'il n'a pas été possible ensuite d'effectuer de nombreuses vérifications, on ne peut décemment pas faire confiance à ce fichier.
L'impression au niveau des bureaux de vote
Concernant l'impression des listes et des cartes d'électeur, on constate des imperfections, et notamment le fait que si un électeur possède plusieurs cartes d'électeur, on ne peut ni vérifier, ni prouver qu'il est frauduleusement enregistré. La traçabilité des cartes d'électeur n'est en effet pas assurée, des cartes authentiques pouvant sortir des bâtiments du site central (à l'image des PV en 2010).
De même le nombre d’imprimantes n'est pas suffisant, car il n'en n'existe que deux par kit (?), qui ne sont d'ailleurs opérationnelles qu'en travaillant 20 heures par jour sur 18 jours, afin d'imprimer tous les documents prévus. Évidemment s'il existe une panne, avec l'absence de pièces de rechange ou d'imprimantes de secours, les documents (dont les cartes d'électeurs) ne seront pas imprimés. On peut donc prévoir davantage d'imprimantes dans les fiefs du RPG, mais pas dans ceux de l'UFDG, ce qui nous fait imaginer aisément, quels sont les électeurs susceptibles de ne pas disposer de documents le jour J.
Dans ce cas de nombreux électeurs n'auront pas leur carte d'électeur imprimée (et ne pourront donc pas voter), bien qu'ils soient enregistrés (voir ci-dessus). La présence d'un seul technicien pour tout le pays lors de l'impression n'est pas suffisante.
Les recommandations des experts
Les experts concluent en disant que la CENI doit être responsable et ne pas laisser l'opérateur faire ce qu'il veut, comme il veut et quand il veut. Par exemple, il devrait être possible de tester un kit en enregistrant un électeur du fichier Sagem (donc techniquement déjà enregistré) pour vérifier ce qui se passe, du kit d'enrôlement au serveur central (en passant par toutes les étapes intermédiaires). Ce qui n'a pas été possible et jette le doute (pour parler poliment) sur le système.
En l'état, le système a été spécialement conçu pour rendre la fraude et la victoire du RPG possible aux futures élections en Guinée (y compris les présidentielles de 2015), et directement à partir des urnes, si ce système était maintenu. Sans tirer les mêmes conclusions, l'OIF constate une nouvelle fois les nombreux dysfonctionnements (susceptibles de générer ces fraudes potentielles).
En effet, si l'on résume le système Waymark, on constate que les fraudes potentielles existent au moment de l'enrôlement, donc de l'inscription proprement dite ; de la confection des cartes d'électeurs, du stockage des données sur les kits, du transport des données via la clé USB, de la sauvegarde sur le fichier central, de l'élaboration des listes dans les bureaux de vote, de l'impression des listes électorales, bref à tous les niveaux....
Conclusion
Comme déjà indiqué antérieurement, il ressort de cet audit que l'opposition doit exiger la résiliation pure et simple des contrats, et avec Sabari Technology, la CENI ne pouvant pas sous-traiter son travail à un individu inexpérimenté et partisan, et avec Waymark (dont le contrat est d'ailleurs introuvable), celle-ci ne présentant pas les garanties suffisantes d'organisation d'élections crédibles et transparentes, à partir de normes et standards internationalement admis en matière de révision de fichier électoral.
Elle doit donc demander le lancement d’un appel d’offres international (ou l’ouverture d’une consultation restreinte) pour le choix rapide d’un nouvel opérateur, sur la base de critères de compétence, d’expérience et de neutralité.
Évidemment tout ceci nous emmènerait loin dans le temps, et serait susceptible - dit-on - de faire perdre près d'un quart de milliard d'€ du dixième FED. Ce sont de fausses excuses, la Guinée disposant de près d'un milliard de $ (déjà évoqué plusieurs fois), sans que les Guinéens n'en voient la couleur. Ce sont les membres du clan au pouvoir, qui risqueraient de perdre cette manne, mais pas la population.
En outre, Alpha Condé tient à remporter coûte que coûte les élections législatives, pour ne pas avoir à rembourser les 700 millions de $, dont la destination finale est toujours floue, d'où sa volonté de faire ratifier son décret présidentiel, par une Assemblée Nationale à sa botte, de même type que le CNT actuel.
On comprend mieux pourquoi le président de la CENI a voulu cacher ces informations, car elles indiquent clairement que des fraudes sont possibles à différents niveaux, et que les recommandations faites précédemment n'ont pas été prises en compte. De nombreuses manipulations ne sont vérifiables qu'après le transfert des données de Sagem sur Waymark.
Si vous ne deviez retenir qu'une seule chose des commentaires précédents, c'est que l'OIF a constaté que certaines de ses recommandations n'avaient pas été suivies d'effets, et surtout que les contrôles les plus importants, et notamment la fiabilité de la liste électorale, ne pouvaient se faire qu'après le transfert des données de Sagem sur le système Waymark (transfert en cours au moment de la mission, dixit la CENI, sans que l'on ne sache comment d'ailleurs, l'OIF ayant pourtant proposé son aide). Le contrôle n'ayant pas été fait – il n'est d'ailleurs pas programmé, alors que l'OIF précise que les correctifs doivent être réalisés sur tous les kits rapatriés à Conakry, avant leur redéploiement dans tout le pays -, dès lors l'opposition est fondée à se battre par tous les moyens pour empêcher d'installer le dernier stade d'une dictature en préparation, à savoir des élections tronquées via un système électoral frauduleux.
Gandhi, citoyen guinéen
« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace » (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).
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