En Guinée, la promesse d’un gouvernement paritaire, premier pas vers une égalité des droits

08a384e 953681593 000 8ry2dtMalgré leur présence dans les entreprises et dans l’économie en général, les Guinéennes doivent encore conquérir l’espace politique. Un Parlement monocolore issu de législatives boycottées par l’opposition. Des soupçons de fraudes électorales couplés à l’arrestation de plusieurs opposants dans la foulée de la présidentielle du 18 octobre, soldée par la victoire contestée du président Alpha Condé pour un troisième mandat.

A première vue, la Guinée semble assez peu en marche vers une ouverture politique. Et pourtant, une promesse incluse dans le programme du président pourrait bien amener un peu de renouveau au sein du pouvoir puisque le chef de l’Etat s’est engagé à tendre vers la parité dans la prochaine équipe gouvernementale.

Malado Kaba en a fait son cheval de bataille parce qu’elle pense que c’est un bon levier pour développer son pays. « Se battre pour la parité, c’est tout sauf pour amuser la galerie. Les études montrent que plus les femmes travaillent, plus elles sont associées à la conduite des affaires politiques, et plus l’économie prospère », plaide cette ancienne ministre de l’économie et des finances.

Malado Kaba, dont le prénom signifie « celle qui a de la chance » en malinké, est bien placée pour évaluer le chemin à parcourir. En 2016, elle fut la première femme à occuper ce poste depuis l’indépendance de la Guinée en 1958. En novembre 2019, elle a donc lancé le Groupe de réflexion et d’influence des femmes (GRIF) qui se veut le porte-voix des associations œuvrant pour l’égalité.

« Société patriarcale »

Au sortir de la colonisation, la Guinée n’était pas si mal partie. Le pays compte alors deux pionnières : Fatoumata Binta Diallo, première Africaine pilote d’hélicoptère et Jeanne Martin Cissé qui, sous le règne de Sékou Touré (1958-1983), père de l’indépendance et dictateur longtemps marxiste, fut la première femme au monde à présider le Conseil de sécurité des Nations unies en 1972. « Que s’est-il donc passé en Guinée depuis cette période ? se demandait récemment la sociologue sénégalaise Fatou Sow lors d’un colloque virtuel du GRIF organisé deux jours avant la présidentielle. Pourquoi les droits de la femme n’ont-ils pas plus avancé ? » Voire ont reculé dans certains domaines.

Toutes les militantes guinéennes se rappellent avec stupeur ce mois de décembre 2018. A la faveur d’une refonte du Code civil, les députés avaient ni plus ni moins tenté de légaliser la polygamie, réalité traditionnelle officiellement hors la loi. Cette initiative parlementaire avait provoqué la colère du président Condé qui avait refusé de promulguer le texte tant que les députés ne revoyaient pas leur copie. Ce qu’ils firent. Enfin, en partie seulement. Le texte revu et adopté le 13 mai 2019 établit que « le mariage est soumis au régime de la monogamie pour tous les citoyens guinéens ». A une nuance près puisque « le mari peut, au moment de la célébration, en présence de sa future épouse, et avec l’accord explicite de celle-ci, déclarer qu’il opte pour la polygamie limitée à deux, trois ou quatre femmes qu’il ne peut dépasser ».

Certes le nouveau Code comporte des avancées sur certains points, notamment la possibilité donnée aux femmes de travailler sans demander l’autorisation à leur époux ou l’instauration du partage de l’autorité parentale en cas de divorce. « Mais nous vivons dans une société patriarcale, le problème ne se situe pas au niveau des lois, mais de leur application et des comportements », explique Nanette Touré, entrepreneure dans le domaine de la communication et militante contre les violences basées sur le genre.

La Guinéee est ainsi rangée dans la catégorie des pays où la parité est marquée par « des inégalités très élevées » entre hommes et femmes, selon le classement établi chaque année par le cabinet McKinsey. Leur rapport comporte quelques surprises, dont « la représentation féminine [qui] atteint des records mondiaux dans les conseils d’administration en Afrique au sein desquels un membre sur quatre est une femme, soit un taux supérieur à celui de l’Europée (23 %) ». Cela vaut aussi pour la Guinée.

« Fonctions “douces” »

Mais, au bout du compte, selon le Gender Parity Score (GPS), indicateur établi par McKinsey qui mesure l’évolution des pays vers la parité, la Guinée est cette fois en dessous de la moyenne continentale.

Quelques chiffres résument la question. Les 6,3 millions de Guinéennes ont ainsi moitié moins de chance d’accéder à l’éducation que leurs homologues du sexe opposé. Le poids des mariages précoces reste un handicap dès lors que plus d’un tiers des femmes ont entre 15 ans et 19 ans le jour où elles se marient – ou, le plus souvent, lorsqu’elles sont mariées. L’Assemblée ne compte que 19 députées sur 95. Et, pour l’heure, seulement un ministre sur cinq est une femme, ce qui place la Guinée à la 28e place sur 55 pays africains. D’autant que, « malgré l’adoption d’une loi sur la parité en 2019, les femmes sont souvent cantonnées à des fonctions douces comme les affaires sociales, la famille ou l’éducation », précise Malado Kaba.

La prévalence des mutilations génitales féminines (MGF) illustre plus que tout le fardeau de la féminité en Guinée. Selon les chiffres de l’Unicef, 96 % des Guinéennes en ont été victimes durant leur jeune enfance. C’est un record africain derrière la Somalie, même si les MGF sont interdites depuis l’an 2000, bannies par la nouvelle Constitution. En fait, Conakry a beau être signataire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et du Protocole dit de Maputo relatif aux droits des femmes en Afrique, « la peur de l’exclusion sociale est souvent si forte que les parents ne peuvent pas se résoudre à renoncer à faire exciser leurs filles », regrette l’Unicef.

Comment, dans ce cadre, améliorer la présence des femmes au sommet de l’Etat tant que n’auront pas été résolus les problèmes de base tels que l’accès à l’éducation et le travail forcé, l’arrêt des mutilations génitales et des mariages précoces ? Pour nombre d’observateurs, « la clé réside dans l’autonomisation financière des femmes ». C’est ce qu’argumente Nanette Touré : « La jeune génération l’a bien compris et il y a de plus en plus de femmes entrepreneures, même si ce n’est pas demain que nous détruirons le plafond de verre qui bloque notre évolution. » Voilà sans doute pourquoi la présence de femmes au gouvernement, par sa haute portée symbolique, est un levier pour faire évoluer les mentalités et changer par l’exemple la société guinéenne.

Par Christophe Châtelot

Source: Le Monde

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