En Guinée, la crainte de l’escalade

28e8c26 tndllkftyp56equg2gxriolmAlors qu’au moins huit manifestants ont été tués, les défenseurs des droits humains dénoncent un usage excessif de la force, des arrestations arbitraires et une répression visant à faire taire la contestation. La Guinée, pays pauvre de 13 millions d’habitants malgré les plus importantes réserves de bauxite au monde et des exportations d’or et de diamants, a été en proie la semaine passée à des manifestations violentes.

Au moins huit manifestants (dix selon l’opposition) et un gendarme ont été tués. Les défenseurs des droits humains dénoncent un usage excessif de la force, des arrestations arbitraires et une répression visant à faire taire la contestation. Le pouvoir dit que le mouvement est illégal et invoque un trouble grave à la sécurité publique. Il assure interdire aux policiers et gendarmes l’emploi des armes à feu.

Au cœur de la crise, un homme : Alpha Condé, 81 ans, premier président démocratiquement élu en 2010 après des décennies de régimes autoritaires, puis réélu en 2015. Depuis des mois lui est prêtée l’intention de briguer sa succession en 2020 et de faire modifier la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats. M. Condé ne confirme ni n’infirme. Mais en septembre, il a lancé des consultations sur la Constitution. Peu après a fuité la vidéo d’une rencontre à huis clos avec ses partisans guinéens à New York : il les appelle à se préparer à un référendum et à des élections.

Le 7 octobre, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), groupement de partis d’opposition, de syndicats et de la société civile, a appelé à manifester et à paralyser l’économie. Depuis, des dizaines de responsables du FNDC et de manifestants ont été arrêtés et jugés. Au cours du procès du coordinateur du FNDC, Abdourahamane Sanoh, et de sept autres dirigeants, le procureur a requis le maximum de cinq ans de prison. Le jugement est attendu mardi 22 octobre. Quelle que sera la peine, le FNDC a appelé à une marche dans tout le pays jeudi. Rien ne signale une sortie de crise.

La communauté internationale et les défenseurs des droits humains craignent l’escalade. L’histoire de la Guinée indépendante est jalonnée de protestations et de répressions sanglantes, comme le massacre d’au moins 157 opposants à une candidature à la présidentielle du chef de la junte Moussa Dadis Camara il y a tout juste dix ans. En 2018 encore, des affrontements autour d’élections locales et d’une grève d’enseignants ont fait plusieurs morts.

Durcissement

En 2010, l’accession au pouvoir de M. Condé, opposant historique qui connut l’exil et la prison et fut condamné à mort par contumace, a marqué l’instauration d’un gouvernement civil. Des réformes, comme la mise au pas de l’armée, ont fait revenir les bailleurs de fonds internationaux. 2020 devait ouvrir « la deuxième phase de cette nouvelle démocratie », explique Jim Wormington, de l’ONG Human Rights Watch. En fait, les défenseurs des droits humains observent depuis des mois un durcissement. « On est vraiment au moment où le président Condé et son gouvernement sont face à un choix : soit laisser les libertés s’épanouir, soit aller vers un Etat plus autoritaire. »

L’ONU, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), les Etats-Unis, l’Union européenne et la France ont appelé au dialogue et à la retenue et, de la part des autorités, au respect des libertés. « La critique est encore prudente, mais elle va sans doute gagner en consistance si la situation continue de se dégrader », dit Vincent Foucher, chercheur au CNRS.

A la tête d’un pays dont près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, M. Condé s’emploie à attirer les investisseurs intéressés par des réserves minières inexploitées au potentiel considérable. Mais l’instabilité fait peser un risque majeur sur le développement, souligne la Banque mondiale. Elle devrait faire réfléchir les investisseurs, ajoute Vincent Foucher. Cependant, « comme d’autres avant lui, Condé a soigné ses relations avec d’autres partenaires [que les Américains et les Européens], moins préoccupés de démocratie, de la Chine à la Russie en passant par les pays du Golfe », note-t-il.

Source: Le Monde

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