En Guinée, en finir avec l'alternance des coups d'Etat
- Par Administrateur ANG
- Le 23/02/2022 à 08:17
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Depuis son premier dirigeant en 1962, Ahmed Sékou Touré, et sa célèbre phrase au Général de Gaulle (« Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans la dépendance »), la Guinée a connu plusieurs régimes dictatoriaux. L'actuel épisode guinéen doit nous interroger sur la posture à tenir face aux régimes militaires : pour nécessaire qu'il puisse être de composer avec eux, voire de leur accorder une légitimité temporaire, cela ne doit être envisageable que dans le seul cas où ils viennent mettre un terme à un ordre anticonstitutionnel et s'engagent à une transition civile dans des délais raisonnables. Sur ce second point, le putsch datant de septembre dernier, il est encore un peu tôt pour juger. Si le délai se prolonge, les putschistes guinéens ne rassureront pas.
Malgré ses immenses richesses, notamment en bauxite, ses ressources naturelles en eau et donc en énergie hydroélectrique potentielle — on appelle le massif du Fouta-Djalon le « château d'eau de l'Afrique de l'Ouest » —, aucun chef d'Etat guinéen n'a réussi jusqu'ici à conjurer le « signe indien », et à orienter le pays dans la direction conjointe de la démocratique parlementaire et du développement socio-économique. Une réalité malheureuse qui n'est pas cependant à imputer uniquement à la succession des régimes autoritaires et aux coups d'Etat, mais aussi à l'impéritie des régimes civils...
Un putsch n'est pas fondamentalement illégitime
Une prise de pouvoir par l'armée peut avoir du sens. Lorsque les troubles à l'ordre public sont si graves que le recours à la force devient indispensable, lorsque le pays est profondément corrompu, de telle sorte que les institutions ne fonctionnent plus qu'au bénéfice d'une petite clique de prédateurs. Ou encore quand le régime en place bafoue lui-même la Constitution sur laquelle repose le fonctionnement du pays. Ce qui, dans les deux derniers cas, a miné la Guinée, non seulement sous l'ère d'Alpha Condé, mais encore lors des régimes précédents.
Rappelons que, à l'élection présidentielle de 2010, Alpha Condé n'avait obtenu que 18 % des voix au premier tour avant de remporter le second grâce à des manœuvres politiques douteuses. Il avait, en face de lui, son principal rival Cellou Dalein Diallo, l'une des principales figures politiques du pays, fin technicien, peu suspect a priori de tendance autocratique et qui, contrairement à Alpha Condé, s'est toujours gardé de tribalisme ou d'appels au vote ethnique. En mars 2021, Alpha Condé engageait une réforme constitutionnelle le menant à un troisième mandat que lui interdisait pourtant une Constitution qu'il avait, sous serment, juré de défendre. En octobre 2020, il « remporte », dans des circonstances critiquées et avec une campagne politique teintée d'ethnicisme, l'élection présidentielle contre, encore une fois, Cellou Dalein Diallo.
Dans ce contexte, le putsch mené par le colonel Doumbouya, alors chef de corps du groupement des forces spéciales, en septembre 2021, et l'installation d'un Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) n'était sans doute pas fondamentalement illégitime. Son refus d'acter immédiatement une date de transition civile, en revanche, l'emmène peut-être dans une pente dangereuse. D'autant que, rien dans son parcours ne le prépare à l'exercice du pouvoir politique, malgré son impressionnante expérience militaire opérationnelle.
Le colonel Doumbouya doit renoncer à suivre le modèle malien
Le contexte ouest-africain actuel nous oblige à dresser un parallèle entre la Guinée et le Mali d'Assima Goïta, dont l'isolement actuel pourrait constituer un repoussoir pour le colonel Doumbouya tout comme, depuis peu, celui du Burkinabè Sandaogo Damiba, à l'origine d'un coup d'Etat réussi le 24 janvier dernier. Assimi Goïta a déjà pris le pouvoir une première fois, le 28 août 2020. Une fois celui-ci revenu aux civils, ceux-ci ont tenté d'écarter deux colonels membres de l'ex-Comité national pour le salut du peuple (CNSP), provoquant, de la part de Goïta, un deuxième putsch. Même s'il ne faut jamais insulter l'avenir, et minimiser l'aide que Goïta pourrait recevoir de pays comme la Russie ou la Chine, il est certain qu'il se trouve maintenant en butte aux sanctions et blocages provenant de la CEDEAO, de l'UMOA, des Etats-Unis et de la France, qui tentent de lui imposer un retour rapide à un régime civil.
Sous sanctions, le Mali est d'ores et déjà à court de liquidités et devrait, dans les semaines à venir, sauf une aide étrangère puissante ou un coup de théâtre diplomatique qui lèverait les sanctions, être en difficulté pour verser les soldes de ses fonctionnaires et, notamment, des militaires, qui font face aux groupes terroristes armés dans le nord du pays. La légitimité du régime tient aujourd'hui essentiellement à l'expression gouvernementale publique d'un discours anti-France qui, pour le moment, lui garantit encore le soutien de la rue malienne.
Le cas guinéen n'est pas du même ordre, puisque les éléments pour une transition démocratique semblent bien exister, ce qui, visiblement, n'était pas le cas au Mali, dont le pouvoir civil, après le premier coup d'Etat, n'a pas « joué le jeu » avec Goïta comme cela était pourtant prévu dans le protocole de la Transition. Un entêtement de la junte guinéenne à rester au pouvoir pourrait malgré tout conduire le pays dans une situation similaire. Comme en témoigne la suspension de la Guinée de l'African Growth and Opportunity Act (AGOA), un accord commercial préférentiel avec les Etats-Unis, aux conséquences économiques certes modestes, mais qui peut préfigurer d'autres sanctions plus douloureuses.
Faire émerger une alternance démocratique légitime et légale
En Guinée, en vertu de ce qui précède, une transition de longue-durée par l'armée serait difficile à justifier, tant auprès des partenaires internationaux de la Guinée, que des organisations sous-régionales. D'autant plus que le pays, contrairement au Mali, ne bénéficie pas du soutien appuyé d'un acteur extérieur, comme la Russie. La junte guinéenne peut, en revanche, sortir de cette crise par le haut. Pour cela, elle doit, à partir d'un chronogramme clairement établi, installer un cadre de dialogue inclusif, s'attacher à la refonte des fichiers électoraux et à la préparation d'élections beaucoup plus surveillées, et validées par les partenaires internationaux de la Guinée, afin de lui offrir des garanties de légalité suffisantes, et de tuer dans l'œuf les velléités de contestation internes.
Ce faisant, l'armée peut conserver son statut de « dernier recours » face aux éventuelles dérives à venir. En Guinée, le colonel Doumbouya bénéficie encore de l'amitié de la classe politique, notamment des opposants historiques à Alpha Condé, qui se sont rassemblés quasi-unanimement autour de Cellou Dalein Diallo, l'homme qui apparaît aujourd'hui comme la principale alternative démocratique sur le « marché politique » guinéen. Une popularité qui irait nécessairement en décroissant au fur et à mesure des atermoiements de la junte à entamer une transition civile.
Si le scénario est bien celui d'un retour rapide au civil, le départ de la junte servira d'avertissement à toute la classe politique, pour qu'elle s'attaque véritablement aux problèmes structurels du pays et traite l'ensemble des symptômes de son instabilité chronique. À elle de créer les conditions d'une alternance permettant de faire émerger une figure légitime — élue par le peuple dans un cadre électoral incontestable — et légale — capable de poser les fondements d'un Etat de droit inattaquable. Le peuple guinéen appréciera certainement la prudence et la sagesse d'une telle démarche, qui « n'insultera pas l'avenir ».
(*) Président du club HEC Géostratégies
François Martin*
Source: La Tribune
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