En Guinée, Alpha Condé déclaré vainqueur sur fond de violences
- Par Administrateur ANG
- Le 26/10/2020 à 07:34
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Le président sortant a été réélu pour un troisième mandat ce samedi, avec 59,49% des suffrages. Un résultat contesté par l'opposant Cellou Dalein Diallo qui appelle à «continuer la révolte». Il n’y a pas que le réseau internet de l’opérateur français Orange, le plus utilisé en Guinée, qui est défaillant. Même la radio-télévision guinéenne bugge au moment de l’annonce des résultats de la présidentielle du 18 octobre, prévue à 11 heures ce samedi. Vers 11 h 35, enfin, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Kabinet Cissé, visière et costume bleu ciel, apparaît derrière un pupitre au Palais du peuple.
Il salue l'« engouement exceptionnel des populations pour cette élection», qualifie «les scènes de chaos observées [cette semaine] dans les villes et les villages» de «déplorables et regrettables». Puis égrène les chiffres attendus. Alpha Condé, 82 ans, le président sortant et candidat à un troisième mandat, remporte 59,49% des suffrages et est «déclaré élu au premier tour». Son adversaire Cellou Dalein Diallo, candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), qui l’affrontait pour la troisième fois, obtient 33,5% des voix. « Vive la démocratie et vive la paix !» conclut Kabinet Cissé.
Des cris sporadiques fusent à Taouyah. Mais ce quartier d’ordinaire très animé du littoral nord retombe vite dans une sorte d’état léthargique. Depuis lundi, ses rues se sont vidées, les portes métalliques des boutiques sont verrouillées et les vendeurs ambulants absents. A 1 kilomètre de là, au rond-point d’Hamdallaye, les motos se fraient un passage entre les pick-up de militaires qui ceinturent la bordure extérieure et une mare d’eau stagnante.
En face s’étire sur plus de 20 kilomètres la route Le Prince, qui segmente Conakry. Cette double voie, également baptisée l’« axe », est l’épicentre des violences post-électorales qui endeuillent la capitale depuis le scrutin. Sur son terre-plein central, une partie des lampadaires solaires ont été déboulonnés. Les contestataires des banlieues nord, réputées proches de l’opposition, en ont fait un lieu d’affrontement pour empêcher les Forces de défense et de sécurité (FDS) de pénétrer dans leurs quartiers. Plus de 20 habitants de l’axe sont morts tués par balles depuis lundi. Le bilan s’alourdit également de jour en jour dans le pays, et reste incertain vu la profusion de violence entre contestataires et FDS, ou militants pro-pouvoir et pro-opposition. L’UFDG dénombre 27 morts et près de 200 blessés par balle. A l’annonce de la victoire d’Alpha Condé, « des jeunes ont commencé à sortir, mais les tirs ont éclaté. On a dit aux enfants de rentrer. On s’est repliés dans nos maisons et ils sont encore en train de tirer. Depuis vendredi, vers 21 heures, il y a des bérets rouges en renfort de la police et de la gendarmerie », témoigne Souleymane, 38 ans, résident du quartier Bambeto. Jeudi soir, l’armée a été réquisitionnée par le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation.
« Barricadés dans les maisons »
Chaque jour depuis lundi, des civils sont tués par balle sur l’axe. Certains, comme Fatima Guirinty Barry, 20 ans, étaient simplement sortis se ravitailler. Le courant a été coupé mardi dans ces quartiers nord, et les denrées stockées dans les réfrigérateurs ont péri. « Elle allait chercher du pain, elle a reçu une balle dans la gorge à 50 mètres de la maison », raconte un parent de la défunte du quartier à Hamdallaye. Mamoudou Diallo, un des trois jeunes morts par balle jeudi midi dans le quartier de Koloma-1, s’était lui aussi risqué à sortir de sa retraite. Pour rencontrer les proches de ce chauffeur de 21 ans, il faut contourner les FDS en longeant une décharge à ciel ouvert haute comme un immeuble de trois étages, puis zigzaguer dans des ruelles noircies par la fumée, entre des barrages de tôle, de tables renversées ou de pierres.
« Jeudi, on a été réveillés par les gaz lacrymogènes. Puis les tirs ont commencé à 6 heures. Quand ils se sont rapprochés, on a fermé le portail et on s’est barricadé dans les maisons. Mamoudou a voulu aller chercher le véhicule stationné dehors. Mais à 100 mètres à droite, il y avait des policiers des CMIS [Compagnie mobiles d’intervention et de sécurité, ndlr]. On lui a tiré dans le dos. Il est tombé à l’entrée de la cour », raconte un de ses parents, visage dur et grave, dans l’enceinte d’une concession de trois maisons. Ici résident des familles peules originaires du même village du Fouta-Djalon, région de hauts plateaux distante d’environ 300 kilomètres de la capitale.
« Il faut continuer la révolte »
C’est à cette communauté qu’appartient aussi Cellou Dalein Diallo, qui a revendiqué sa victoire dès lundi, faisant fi des résultats officiels. La Ceni vient de « valider les fraudes massives organisées après le scrutin », a réagi l’opposant dans un communiqué, précisant qu’il contesterait devant la justice le résultat. Et d’appeler « les populations à se mobiliser pour défendre par tous les moyens légaux la vérité des urnes » qui le donnent, selon lui, gagnant du scrutin avec 53,8% des suffrages. Depuis mardi, il est séquestré à son domicile. Les QG et le siège de son parti ont été bouclés dans la foulée. Et la coupure d’Internet l’a rendu encore plus inaudible. « Il y a, au sommet du pouvoir, un groupe d’hommes de plusieurs communautés qui, pour satisfaire leurs intérêts privés et par manque de vision, jouent sur la fibre ethnique pour terroriser et opposer les Guinéens. Alors qu’en réalité, nous sommes très mélangés. Mais c’est devenu une arme politique », se désole Mamadou Bailo Barry, un des cofondateurs du Front national de défense de la Constitution (FNDC).
Ce mouvement citoyen conteste dans la rue un troisième mandat d’Alpha Condé depuis avril 2019. Mercredi et jeudi, deux coordinateurs locaux du FNDC ont été tués lors d’échauffourées entre groupes de jeunes et FDS. Le mouvement, qui comptabilise plus de 90 morts à l’issue de ses marches pacifiques, a appelé à reprendre les marches à travers le pays ce 26 octobre, « jusqu’au départ du dictateur Alpha Condé ». « Il faut continuer la révolte, les autres vivront en paix », dit un vieil homme en djellaba dans la salle d’attente de la clinique Jean-Paul-II, où, ce samedi encore, des blessés continuaient d’affluer.
Agnès Faivre envoyée spéciale à Conakry
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