Ebola met à mal tout le système de santé guinéen

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A Guéckédou, au cœur de la Guinée forestière ainsi que de l’épidémie d’Ebola, le docteur Nfansoumane Kalissa montre les lits vides dans l’hôpital préfectoral qu’il dirige. Trente-trois patients seulement y sont hospitalisés.

 « Il pourrait y avoir une centaine de malades, mais la fréquentation de l’hôpital a beaucoup baissé, raconte ce chirurgien gynécologue. Ebola a gangrené la situation, les gens préfèrent se faire examiner ailleurs, ils ont peur de venir. Les malades craignent de présenter des symptômes proches d’Ebola, comme de la fièvre ou des saignements, et qu’on lesexpédie au centre de traitement où, ils en sont sûrs, ils mourront. »

L’épidémie d’Ebola, qui a franchi la barre des 20 000 cas, avec 7 879 morts au 30 décembre 2014, essentiellement en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, ne tue pas que les personnes infectées par le virus. Les systèmes de santé dans leur ensemble sont affectés, et même à terre dans de nombreuses régions. « Les malades atteints d’autres pathologies ne peuvent plus accéder aux premiers soins de santé, comme les patients atteints du paludisme, de diarrhées ou d’infections respiratoires », constate Médecins sans frontières dans une note interne sur l’impact d’Ebola.

« Tradipraticiens »

Dans son plan national accéléré de lutte contre Ebola, du 30 octobre 2014, le ministère de la santé guinéen avait pourtant désigné comme prioritaire « le renforcement du système de santé, afin de pouvoir traiter les cas de maladies non liées à Ebola en toute sécurité ». Sur le terrain, on en est loin. La promiscuité dans les centres, l’absence de contrôle, le manque de formation des personnels sur Ebola expliquent la méfiance de la population et le retour de maladies qui tuent.

« Les préfectures ne nous ont pas fourni de statistiques précises, mais un grand nombre d’entre elles ont déclaré davantage d’épidémies de rougeole. La situation est préoccupante aussi pour la méningite, et nous manquons de moyens pour assurer les césariennes dans de bonnes conditions », relate le docteur Aboubakar Sall, directeur du département de stratégie et de développement au ministère de la santé.

A Guéckédou, le taux d’occupation de l’hôpital, de 85 % à 90 % avant Ebola, a chuté à 25 %. La plupart des malades, surtout dans les villages en forêt, préfèrent confier leur sort aux guérisseurs et aux marabouts.

Dans le quartier Farako 1, assis sur un banc devant sa maison, Daniel Tomba Camano, président préfectoral des « tradipraticiens », explique les règles de cette médecine traditionnelle dispensée par quelque 4 000 guérisseurs, 3 250 accoucheurs et 1 000 exciseurs inscrits dans des registres officiels. « Si quelqu’un pense qu’on lui a jeté un sort et qu’il ne peut affronter directement cette personne, alors il se tourne vers le féticheur », assure-t-il. Ebola ? Daniel Camano sait que de nombreux praticiens ont fait croire qu’ils pouvaient guérir la maladie : « Quand un malade vient avec la fièvre, on essaie d’abord de le soigner au village, dans sa maison. »

La situation aurait changé avec la propagation de l’épidémie. « Beaucoup de ces praticiens sont morts d’Ebola en même temps que les patients qu’ils devaient guérir. Alors, certains ont accepté de travailler avec nous, de se former, de participer à la sensibilisation », témoigne Maurice Lelano, du département préfectoral de santé de Guéckédou. Mais les guérisseurs voient d’un mauvais œil les patients et leur argent partir pour l’hôpital. « Certains ont monté les jeunes contre les équipes de sensibilisation, car ils pouvaient perdre jusqu’à 200 000 francs guinéens [23 euros environ] par malade », raconte encore M. Lelano.

« Tout le pays est à plat »

Dans son bureau, à quelques mètres du centre de traitement, le docteur Abdourahmane Batchily, responsable préfectoral de la lutte contre Ebola, constate tristement : « Tout le pays est à plat. L’épidémie de rougeole a repris, les gens ne voulant plus être vaccinés de peur qu’on leur inocule le virus. » Pour lui, l’effort financier reste dérisoire. « La part du budget national consacré à la santé est de 2 % quand l’Organisation mondiale de la santé demande qu’elle soit de 15 %. Avec 2 %, on ne soigne rien, surtout pas Ebola », conclut-il.

Le cas de la Guinée forestière n’est pas unique. A Conakry, l’hôpital Ignace Deen est l’un des deux établissements de référence nationale, avec Donka, qui héberge, lui, un centre de traitement Ebola. Le docteur Mohamed Awada le dirige depuis 2011. « Les gens préfèrent venir ici plutôt qu’à Donka, explique-t-il. Mais la fréquentation est quand même en baisse, dans tous les domaines : pédiatrie, accouchements… Les gens ont peur de l’hôpital, même les personnels de santé, qui ont payé un très lourd tribut à la maladie. »

En périphérie de la ville, dans le quartier du Petit Symbaya, le Centre communal de santé des Flamboyants porte mal son nom. L’établissement vieillot manque de tout, les murs sont décrépis, la literie est d’un autre âge. Le jeune professeur Hassan Diallo constate les dégâts d’Ebola. Le centre est presque vide. Deux patients seulement sont alités, l’un pour paludisme grave, l’autre pour une hépatite. « Beaucoup pensent que si Ebola est là, c’est que la prestation des médecins n’est pas de bonne qualité », déplore le pédiatre.

Automédication fatale

Conséquence de la défiance, l’automédication s’est développée. De nombreux médicaments sont en vente libre, proposés par des charlatans itinérants sans aucun contrôle. « Pour ne pas venir à l’hôpital, les gens vont dans les pharmacies. Résultat, beaucoup arrivent trop tard et meurent. Pour les accouchements, on craint qu’un grand nombre de femmes décèdent chez elles », regrette Sekou Condé, directeur national des établissements de soins.

« Les femmes enceintes n’ont souvent plus accès aux soins prénataux, aux services obstétriques ou encore aux services de soins aux nouveau-nés », écrivaient, de leur côté, en novembre 2014, Randi Davis et Susana T. Fried, du Programme des Nations unies pour le développement. Quand l’épidémie sera jugulée, les effets d’Ebola se feront encore sentir.

Source: Le Monde

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