Crise en Guinée : le pays peut-il sortir de l'impasse politique ?
- Par Administrateur ANG
- Le 27/11/2009 à 07:46
- 0 commentaire
La Guinée se trouve aujourd’hui dans une situation politique et sécuritaire alarmante. La médiation du président burkinabé Blaise Compaoré dans la crise politique qui secoue la Guinée depuis bientôt onze mois, s’annonce difficile. Nommé médiateur de la crise guinéenne par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) le 2 octobre dernier, Blaise Compaoré est parvenu au début du mois à une reprise des pourparlers inter-guinéens avec, d’un côté, les « Forces vives » du pays comprenant les chefs de file de l’opposition, et de l’autre, la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir lors du coup d’Etat du 23 décembre 2008. Les discussions, toujours en cours, portent sur les modalités de sortie de la crise politique dans laquelle la Guinée s’est embourbée suite au massacre d’opposants par l’armée à Conakry le 28 septembre dernier.
Origines de la crise guinéenne
Rappelons-nous qu’à la suite du décès de l’ancien président Lansana Conté en décembre 2008, les dignitaires de l’armée avaient annoncé unilatéralement la dissolution du gouvernement ainsi que la suspension de la Constitution, dans un discours à teneur résolument sociale. Le Capitaine putschiste Moussa Dadis Camara s’était alors porté à la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) et autoproclamé président de la République de Guinée au lendemain d’un coup d’Etat « brillamment » mené. À noter que le putsch n’avait pas rencontré d’indignation générale, celui-ci étant « attendu » par la population, la société civile, et les partis politiques. En outre, la population guinéenne souhaitait depuis longtemps un changement de régime et de mode de gouvernement et, dès leur arrivée au pouvoir, les représentants de la junte s’étaient engagés à organiser des élections crédibles et démocratiques dans les dix-huit mois. Les faits n’en demeurent pas moins que depuis l’arrivée au pouvoir de Dadis Camara en 2008, les tensions politiques n’ont cessé de s’accroître dans le pays. L’armée a progressivement étendu son emprise sur le pouvoir, notamment en militarisant l’administration publique, en utilisant les ressources de l’Etat pour mettre en place des groupes de soutien au CNDD à travers tout le pays, et en formant des milices ethniques (1), ce qui soulève également de sérieuses questions quant à la possibilité de tensions au sein même de l’armée (2). Le soutien initial que la junte avait pu attirer s’est progressivement évaporé, particulièrement au vu des ambitions politiques de Camara, et les tensions politiques ont été de plus en plus vives.
Le 28 septembre dernier, ces tensions ont passé un cap « irréversible » lorsque les forces de sécurité ont tiré sur des milliers de manifestants qui s’étaient rassemblés dans le stade de Conakry pour protester contre l’intention du chef de la junte militaire de se présenter aux élections présidentielles prévues pour le 31 janvier 2010, tuant 160 personnes et en blessant près de 1700 (3). La junte avait alors été immédiatement condamnée par la communauté internationale et le 2 octobre, la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait dépêché le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, pour trouver une issue à la crise et assurer la médiation entre les parties guinéennes en conflit.
Des négociations qui s’avèrent complexes
Ce dernier a donc entamé des discussions début novembre avec les chefs de file de l’opposition guinéenne et d’autres personnalités, dites « Forces vives » (4), qui réclamaient avant toute chose le départ du chef de la junte au pouvoir, le capitaine Moussa Dadis Camara. Une semaine plus tard, les leaders de l’opposition guinéenne ayant finalement accepté de renouer le dialogue avec les membres de la junte et le président autoproclamé de la Guinée, c’était au tour des représentants de la junte militaire guinéenne d’être reçus par le facilitateur burkinabé et d’avancer leurs propositions. En bref, le forum des Forces vives réclame le départ du Moussa Dadis Camara, la dissolution du Conseil national pour la démocratie et le développement (le CNDD tenu par la junte) et la mise en place d’un Conseil national de transition, qui jouerait le rôle « d’assemblée nationale » pour organiser une élection présidentielle dans un délai de six mois. Mais les représentants de la junte ont d’ores et déjà refusé d’entendre parler d’un possible retrait du capitaine Camara.
Un deuxième round de négociations a donc débuté la semaine dernière à Ouagadougou, au cours duquel M. Compaoré a revu les deux camps pour leur soumettre un document de synthèse de leurs propositions. Le médiateur propose notamment la mise en place d’un « Conseil national de transition » pendant dix mois, dirigé par le chef de la junte, qui sera également « chef de l’Etat » et « chef suprême des armées » (5). M. Compaoré suggère également la mise en place d’un gouvernement d’union nationale formé de trente membres et dirigé par un Premier ministre issu des Forces vives. Dix membres de ce gouvernement seront issus des Forces vives, dix du CNDD, et dix « autres » pourraient revenir au « bloc des forces patriotiques », proche de la junte (6). Ce document, qui reprend plusieurs des propositions du CNDD, semble satisfaire le camp de la junte, à la différence des forces de l’opposition qui ont immédiatement rejeté le mémorandum du médiateur jugé trop partial et ne prenant pas en compte les revendications des Forces vives (7). Celles-ci refusent catégoriquement le maintien au pouvoir du capitaine putschiste, même pendant dix mois. De plus, rien dans ce document n’empêcherait le capitaine Camara de se présenter comme candidat aux présidentielles de janvier.
La communauté internationale, qui a déjà imposé de lourdes sanctions à l’encontre de la junte au pouvoir et espérait beaucoup de ce second round de négociations et de la médiation du président burkinabé, a jugé l’accord de sortie de crise décevant. La période de transition de dix mois proposée par le président burkinabé ne tient compte ni des recommandations de la Cedeao, ni de celles de l’Union africaine, encore mois de celles de l’ONU et de l’Union européenne, notamment concernant la non-candidature aux prochaines élections des membres de la junte, et la mise en place d’une nouvelle autorité de transition basée sur un retrait du CNDD. La tuerie du 28 septembre à Conakry a déjà mis en évidence les dangers que représente le maintien au pouvoir des militaires. Compaoré parviendra-t-il à un compromis qui satisfasse à la fois les deux camps tout en prenant compte des préoccupations de la communauté internationale ? Pour l’heure, rien n’est moins sûr…
Quelle issue à la crise guinéenne ?
Mais la résistance de la junte guinéenne face aux revendications des Forces vives n’explique pas à elle seule la difficulté à parvenir à un compromis inter-guinéen. Premièrement, l’opposition guinéenne étant elle-même divisée, certaines branches ayant plus de sympathie à l’égard de la junte que d’autres, les Forces vives ont du mal à s’accorder sur leurs revendications. Le paysage ethnique de la Guinée complique également la situation. La Guinée est principalement composée de Peul (une majorité d’environ 40%), de Malinké, de Soussou et de plusieurs groupes plus petits originaires de Guinée forestière. Depuis l’indépendance en 1958 jusqu’au coup d’État qui a porté Moussa Dadis Camara au pouvoir en 2008, le pays a eu deux présidents, l’un Malinké, l’autre Soussou. Aujourd’hui, de nombreux Peul estiment que « leur tour » est venu, une revendication qui ne semble pas être prise en compte dans les pourparlers actuels. En attendant, Moussa Dadis Camara semble tirer profit de la mise à l’écart des groupes ethniques forestiers, jouant sur le sentiment d’exclusion de son groupe afin de mobiliser le pays selon des critères ethniques. Enfin, les militaires au pouvoir ayant été internationalement condamnés, certains observateurs craignent que la pression de la communauté internationale sur la junte afin qu’elle cède la place au plus tôt, ne crée un durcissement de la position des militaires, qui savent parfaitement que quitter le pouvoir équivaudrait à faire face à la justice internationale.
Dans un tel contexte, les chances d’aboutissement des pourparlers inter-guinéens semblent bien minces. Pendant ce temps, la Guinée continue de s’enfoncer dans une crise économique et financière sans précédent. Il est clair que l’objectif principal des efforts de la communauté internationale en Guinée devrait être de sortir à tout prix le pays de l’engrenage du pouvoir militaire, qui met en danger la stabilité de la Guinée et d’une sous-région dont trois Etats fragiles commencent tout juste à se remettre de guerres civiles (8). Le statu quo ne peut mener qu’au désastre. Il est peut être encore temps de l’éviter.
Par Gaëlle Béguin, diplômée en sciences politiques et relations internationales à l’Université de Reading, Grande-Bretagne
Ajouter un commentaire