Créer une entité judiciaire chargée d’enquêter sur les décès survenus lors de manifestations
- Par Administrateur ANG
- Le 17/04/2019 à 09:25
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Le gouvernement guinéen devrait créer un panel spécial de juges chargé d’enquêter sur le comportement des forces de sécurité et d'autres éléments accusés de s'être livrés à des actes illégaux lors de manifestations en Guinée, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le manquement du gouvernement à son obligation d'enquêter de manière adéquate sur une douzaine de meurtres présumés de manifestants par les forces de sécurité, ainsi que sur d'autres meurtres commis par les manifestants, en 2018 risque de faciliter la commission à l'avenir de nouveaux abus.
La Guinée a connu de fréquentes manifestations de rue violentes en 2018, dans un contexte où des organisations non gouvernementales et les partis d'opposition organisaient des marches de protestation liées à des causes diverses comme des élections locales contestées, une longue grève des personnels de l'éducation nationale et un mécontentement à la suite de hausses des prix du carburant. Alors que les tensions montent autour de la question de savoir si le président Alpha Condé a l'intention de chercher à amender la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat à la tête du pays, de nouvelles manifestations de rue sont probables.
« Le manquement au devoir d’enquêter de manière adéquate sur les allégations de conduite répréhensible de la part des forces de sécurité et de violences de la part des manifestants risque d’alimenter à l’avenir de nouveaux cycles de violences politiques », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l'Afrique de l'Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement guinéen devrait prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la traditionnelle impunité qui caractérise ce genre de violations. Les victimes et leurs familles ne méritent pas moins. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 55 personnes en janvier et février 2019 sur le comportement des forces de sécurité lors des manifestations, sur les violences perpétrées par les manifestants et sur la réponse que le système judiciaire y a apportée. Parmi les personnes interrogées figuraient des participants aux manifestations et des témoins, des activistes politiques d'opposition, des responsables des forces de sécurité, des organisations non gouvernementales locales, des médecins et des journalistes. Human Rights Watch avait déjà effectué des recherches sur cette question en juillet 2018.
Les témoins interrogés et les journalistes qui ont couvert les manifestations ont indiqué que celles-ci avaient souvent été violentes, des groupes importants de manifestants s'affrontant avec les forces de sécurité dans les rues principales de Conakry, la capitale. Un gendarme, Mohamed Chérif Soumah, a été tué par un projectile lancé par un manifestant le 19 février 2018. Le 8 novembre, des manifestants à Wanindara ont poignardé à mort un agent de police, Bakary Camara, qui s'était trouvé isolé de son unité.
Les hiérarchies de la police et de la gendarmerie guinéennes affirment que les forces de sécurité ne sont autorisées à utiliser que des armes non létales lors de manifestations, comme les gaz lacrymogènes et les canons à eau. Mais des témoins de huit des douze incidents mortels survenus lors de manifestations en 2018 ont affirmé que les membres des forces de sécurité avaient tiré à l'arme automatique alors qu'ils essayaient de disperser des manifestants ou qu'ils les poursuivaient dans certains quartiers.
« Les gendarmes ont tenté de faire battre en retraite une foule de manifestants et les gens ont commencé à s'enfuir en courant », a déclaré un témoin de la mort le 30 octobre de Mamadou Cellou Diallo, un chauffeur de taxi tué dans le quartier de Bambeto lors d'une manifestation de l'opposition. « Mamadou ne connaissait pas bien ce quartier et ne savait pas où aller. Il a été atteint avant même de pouvoir se mettre à l'abri. »
Human Rights Watch a également documenté lors de précédentes recherches le fait que des balles perdues tirées en l'air de manière désinvolte par les forces de sécurité avaient tué au moins une personne en 2018 – une jeune mère de six enfants – et en avaient blessé beaucoup d’autres.
Plus de 20 témoins ont également affirmé que des membres des forces de sécurité avaient endommagé des biens et commis des vols alors qu'ils poursuivaient des manifestants. Dans plusieurs cas, des membres des familles de personnes arrêtées lors des manifestations ont affirmé que des policiers et des gendarmes avaient exigé des pots-de-vin pour remettre en liberté leurs proches. Des groupes de manifestants ont aussi fréquemment essayé d'extorquer de l'argent ou de voler des biens aux passants, selon des témoins.
Le manquement des autorités à leur responsabilité d'enquêter de manière adéquate sur les décès et les autres abus commis lors des manifestations de 2018 reflète une tendance habituelle qui remonte à des années. La condamnation, le 4 février 2019, d'un capitaine de la police pour le meurtre d'un manifestant en 2016 a été la première d'un membre des forces de sécurité pour avoir tué un manifestant par balles depuis 2010.
Les normes internationales en matière de droits humains donnent aux forces de sécurité le droit de recourir à la force de manière proportionnée dans un but de légitime défense, ainsi que pour arrêter des manifestants qui se livrent à des violences. Cependant, les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois stipulent que les armes à feu ne doivent être utilisées que dans des cas strictement limités comme la «légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave », et « seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs ».
Le recours intentionnel à l’usage meurtrier d'armes à feu n'est autorisé que « si c'est absolument inévitable afin de protéger des vies humaines ». La loi guinéenne de 2015 sur le maintien de l'ordre public impose aux forces de sécurité d'utiliser des moyens non violents avant de recourir à la force et stipule que tout usage d'armes à feu doit être nécessaire et proportionné.
Dans une lettre à Human Rights Watch datée du 8 avril, le ministre guinéen de la Défense, Mohamed Diane, dont le ministère a autorité sur la gendarmerie, a affirmé que « contrairement aux allégations non fondées receuilles par votre mission et illustrées par des témoignages non soutenus légalement », le gouvernement guinéen « a toujours privilégié les mesures préventives à celles répressives dans les opérations de maintien ou de rétablissement de l’ordre public. »
Le ministère de la Sécurité et de la protection civile, qui a autorité sur la police, n’a pas répondu à une lettre de Human Rights Watch datée du 25 mars. Les hiérarchies de la police et de la gendarmerie avaient précédemment affirmé que les forces de sécurité n'étaient pas autorisées à porter des armes lorsqu'elles surveillaient des manifestations et avaient rejeté sur les manifestants la responsabilité des morts, accusant les partisans de l'opposition d'être porteurs d'armes à feu.
Étant donné le rejet complet par les forces de sécurité de toute responsabilité dans les morts survenus lors des manifestations, la création d'une entité judiciaire spéciale chargée d'enquêter sur les violences commises lors de manifestations est d’une grande importance pour faire la lumière sur les circonstances des décès de manifestants et de membres des forces de sécurité, a déclaré Human Rights Watch. Pour être efficace, une telle unité judiciaire aurait besoin du soutien d'une équipe dévouée de policiers et de gendarmes, indépendante de la chaîne habituelle de commandement.
« Compte tenu de l'incertitude de l'avenir politique en Guinée, il est très probable que de nouveaux affrontements se produiront entre les forces de sécurité et des manifestants », a affirmé Corinne Dufka. « Dédier un panel spécialisé de juges et d'enquêteurs aux décès survenant lors de manifestations permettrait d'assurer que les manifestants et les membres des forces de sécurité soient amenés à répondre de leurs actes. »
Informations complémentaires
Historique des violences liées aux élections
La Guinée a une longue tradition de violences perpétrées lors de processus électoraux. De nombreuses personnes ont été blessées dans des violences intercommunautaires et ethniques à la suite de l'élection présidentielle de 2010. Des dizaines de manifestants et deux agents de l'application des lois ont été tués en 2012-2013 à l'approche d'élections législatives. Au moins 12 personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées avant et après l'élection présidentielle de 2015.
Les élections locales de 2018 ont probablement été les premières d'une série de consultations populaires qui seront très farouchement disputées au cours des années à venir. Les membres de l'Assemblée nationale de Guinée ont atteint la fin de leur mandat officiel le 12 janvier, quoique aucune date n'ait encore été fixée pour de nouvelles élections. Le président Alpha Condé atteindra la fin de son second mandat de cinq ans en 2020 et la constitution de 2010 impose aux présidents de la République une limite de deux quinquennats consécutifs. Mais de nombreux activistes et politiciens d'opposition prêtent à Condé l'intention de briguer un troisième mandat et ont exprimé leur inquiétude au sujet du potentiel de violence qu'une telle décision créerait. Condé n'a pas encore déclaré clairement ses intentions pour l'avenir.
Depuis juillet 2018, les responsables guinéens ont interdit de plus en plus souvent les manifestations publiques, invoquant des questions de sécurité, tandis que les partis d'opposition et les organisations indépendantes accusaient le gouvernement d'imposer une interdiction générale. Le gouvernement dément vouloir imposer une interdiction totale.
Quand les partis politiques d'opposition ou d'autres organisations ont défié des interdictions de manifester, les forces de sécurité ont cherché à empêcher les gens de se rassembler ou ont dispersé les manifestations. Elles ont eu recours aux gaz lacrymogènes, aux canons à eau, aux matraques et, parfois, aux armes à feu pour disperser les protestataires. De leur côté, les manifestants ont installé des postes de contrôle improvisés, incendié des pneus et lancé des pierres et d'autres projectiles à l'aide de frondes.
En novembre, invoquant des conditions de sécurité détériorées, le gouvernement guinéen a déployé des unités de l'armée en des points sensibles de Conakry. Les organisations guinéennes de défense des droits humains affirment qu'il s'agit là d'une violation de la loi de 2015 sur le maintien de l'ordre public, qui impose des limites au rôle de l'armée en matière d'application des lois.
Cependant, même après novembre, la police et la gendarmerie sont restées les unités les plus souvent déployées pour faire face aux manifestations de l'opposition. La Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS), une unité de police à réaction rapide, et la Brigade anti-criminalité (BAC), une force mixte composée de policiers et de gendarmes, sont les unités qui ont été le plus souvent impliquées par des témoins dans les abus commis en 2018.
Recours à la force létale par la police et les gendarmes
Human Rights Watch a documenté 12 décès par balles de manifestants ou de passants à Conakry en 2018, dont 8 au sujet desquels des témoins ont affirmé que des membres des forces de sécurité avaient tiré sur les manifestants. Les témoins ont affirmé qu'une autre personne avait été tuée par une balle perdue. Dans les trois autres cas, Human Rights Watch s'est entretenu avec des membres des familles de victimes, qui ont affirmé que leurs proches avaient été tués par des membres des forces de sécurité, mais n'a pas été en mesure d'interroger de témoins directs.
Les témoins ont indiqué que les tirs se produisaient habituellement lors d'affrontements désordonnés et très fluides entre forces de sécurité et protestataires, et ont décrit comment les forces de sécurité tiraient sur les manifestants pour tenter de les disperser ou en les poursuivant dans certains quartiers. La nature désordonnée des affrontements, ainsi que la violence utilisée par certains manifestants, laissent penser que certains tirs effectués par les forces de sécurité ont pu être motivés par la peur. Toutefois, aucun des témoins interrogés par Human Rights Watch n'a dit avoir vu la victime des tirs recourir à la violence ou menacer de violence le membre des forces de sécurité avant que ce dernier n'ouvre le feu.
« Ibrahima et moi étions assis d'un côté de la rue, lorsque j'ai vu arriver vers nous une unité de la BAC », a déclaré un ami d'Ibrahima Bah, qui a été tué par balles dans le quartier de Koloma lors d'une manifestation de l'opposition le 16 octobre. « Je me suis mis à courir mais Ibrahima tournait le dos à la rue et ne les a pas vus à temps. Alors que je courais, j'ai entendu des coups de feu et plus tard j'ai découvert qu'Ibrahima avait été touché. »
Dans certains cas, des témoins ont affirmé que les forces de sécurité avaient visé une personne en particulier. Un témoin des décès le 7 novembre de Mamadou Bella Baldé et Mamadou Alimou Bah à Wanindara, un faubourg de Conakry, a déclaré à Human Rights Watch que deux hommes armés vêtus « d'uniformes militaires » avaient tiré sur ces deux hommes et les avaient tués. « Il m'a semblé qu'ils ciblaient particulièrement l'homme [Bella] qu'ils ont abattu », a déclaré le témoin. « Il ne se passait rien de violent dans les rues quand ces hommes ont tiré. Ils sont arrivés à moto, se sont arrêtés devant nous et le passager sur la moto a immédiatement sorti son arme pour tirer. » Le témoin, soulignant que l'incident s'était produit de nuit, a précisé qu'il ne pouvait dire avec certitude si ces membres présumés des forces de sécurité portaient des uniformes de l'armée ou de la gendarmerie.
Selon des documents médicaux que Human Rights Watch a pu consulter, la balle a atteint Bella au milieu du front, le tuant instantanément. Le témoin a déclaré qu'en voyant Bella tomber, Bah a tenté de lui venir en aide mais il a lui aussi été atteint. Le témoin a ajouté qu'il avait immédiatement pris la fuite. Alors qu'il s'enfuyait, il a entendu de nouveaux coups de feu et il a reçu une balle dans la cuisse, qui lui a causé une blessure encore visible sur sa jambe.
Le 14 novembre, la Haute autorité de la communication (HAC), le régulateur des médias guinéen, a suspendu l'accréditation d'un journaliste de Radio France International, Mouctar Bah, après qu'il eut annoncé que la famille de Bella avait affirmé qu'il avait été tué par des membres des « Bérets rouges », une unité d'élite de l'armée guinéenne. La famille de Bella a répété cette allégation lors d'un entretien avec Human Rights Watch le 8 janvier.
Le 16 novembre, jour de l’enterrement de Mamadou Bella Baldé, un militaire, Vivien Gérard, a été violemment agressé dans le quartier de Bambeto, où les obsèques se déroulaient, prétendument par des jeunes hommes outrés par la mort de Baldé. Gérard a par la suite été évacué vers le Maroc pour y être soigné.
Human Rights Watch a également documenté la mort d'une personne et les blessures de plusieurs autres par des balles tirées imprudemment en l'air lors de manifestations et qui ont atteint les victimes en retombant vers le sol. Un homme a raconté que le 23 octobre, une balle perdue avait blessé au pied sa fille, âgée de 9 ans. « Nous étions tous à l'intérieur en train de regarder la télévision quand elle a été atteinte », a-t-il dit, montrant du doigt un impact de balle dans le plafond. Une femme a affirmé que le même jour, elle avait été atteinte d'une balle perdue à la cuisse alors qu'elle faisait la cuisine dans sa cour. « J'ai cru que c'était une piqûre d'insecte », a-t-elle dit. « Mais quand j'ai vu le sang couler de ma jambe, j'ai compris que c'était autre chose. Je ne vais jamais près des manifestations, je préfère rester chez moi pour être en sécurité.
Certains incidents non mortels ont eu des conséquences dévastatrices. Une balle perdue qui, selon des témoins, avait été tirée par des gendarmes lancés à la poursuite de manifestants dans le quartier de Hamdallaye le 13 novembre, a atteint dans le dos un garçon de 10 ans, Mamadou Hady Barry, alors qu'il rentrait d'une école coranique. Lors de son entretien le 12 janvier, Barry était étendu à même un matelas, incapable de remuer les jambes et sirotant de l'eau dans une louche tenue par son père. Lors d’un nouvel entretien le 13 avril, la famille de Barry a indiqué que désormais pour se déplacer il se traîne sur les genoux et qu’il n’a pas recouvré de ses jambes. « Il a été atteint juste devant la maison », a déclaré son père. « Nous avions fermé l'une des portes à cause du niveau d'insécurité pendant les manifestations. Sans cela, il aurait déjà été à l'intérieur. »
Comportement criminel de membres des forces de sécurité
Des témoins ont également affirmé que les policiers et les gendarmes se livraient fréquemment à des actes criminels, notamment à des vols et à du banditisme, lorsqu'ils surveillaient des manifestations en 2018. Plus de 20 témoins des quartiers de Hamdallaye, Bambeto, Wanindara et Matam ont déclaré que des policiers et des gendarmes avaient volé des téléphones cellulaires et de l'argent liquide, pillé des petits commerces et emporté des marchandises, pulvérisé des pare-brises de véhicules et vandalisé des maisons. Human Rights Watch a documenté de nombreux incidents de ce genre dans un rapport publié en juillet 2018.
Le 8 novembre, dans le cadre d'une opération de répression de plusieurs heures dans le quartier de Wanindara à la suite du meurtre par des manifestants d'un agent de police, des agents de la CMIS ont commis des actes de vandalisme et volé des biens, selon des témoins. « Je me suis cachée chez moi avec mes enfants », a déclaré une femme. « Mais deux agents de police ont enfoncé la porte et nous ont ordonné de sortir. J'avais un million de FG (108 dollars) et un téléphone dans un sac que je portais, mais ils me l'ont arraché en coupant la sangle avec un couteau. »
Une autre femme, Djalikatou Barry, a affirmé que le même jour, un agent de police l'avait frappée au visage, puis lui avait volé un sac à main contenant de l'argent qu'elle avait gagné en vendant des bananes sur un petit étal au bord de la route. « Trois agents de police, en uniforme noir, m'ont appréhendée dans la cour devant mon domicile », a-t-elle dit. « L'un d'eux m'a frappée, puis a mis mon sac à main dans son uniforme. Je saignais du nez. Je suis allée dans une clinique proche et ils m'ont fait une radio, mais heureusement mon nez n'était pas cassé. »
Plusieurs entrepreneurs de Wanindara ont affirmé que la police avait volé ou endommagé des biens lors de l'opération du 8 novembre. « Les policiers sont venus dans notre cour et, avec leurs matraques, ont pulvérisé les pare-brises et les vitres arrières des 13 voitures qui y étaient garées », a déclaré un employé de parking. D'autres petits commerçants ont affirmé que les agents de police avaient volé ou détruit des motos, des postes de télévision, des chaises, des téléphones et de l'argent liquide.
« Ils ont incendié une moto qui était dans la cour, pulvérisé un écran de TV et mis le feu à des chaises en plastique qui étaient dans mon magasin », a déclaré le propriétaire d'une boutique. « Ils ont garé une camionnette à l'extérieur de notre cour, puis ont escaladé la grille pour entrer », a dit un autre commerçant. « Je me suis caché dans notre boutique avec ma femme et notre bébé âgé de 8 mois. Mais dans ma hâte, j'ai laissé mon sac dehors. Ils m'ont volé 280 000 FG (30 dollars) en liquide et un téléphone. »
Arrestations arbitraires après le meurtre d'un agent de police
Des témoins ont indiqué que la police et la gendarmerie avaient plusieurs fois arrêté arbitrairement des gens dans les quartiers où se déroulaient des manifestations, les membres de leurs familles étant ensuite contraints de verser des pots-de-vin pour obtenir leur remise en liberté. Human Rights Watch a documenté plusieurs incidents de ce genre dans un rapport publié en juillet 2018.
Le 8 novembre, jour où un agent de police a été poignardé à mort, les forces de la CMIS ont arrêté plus d'une vingtaine d'habitants de Wanindara, dans plusieurs cas appréhendant des gens n'ayant apparemment guère de rapport avec le meurtre du policier. « Je venais juste de rentrer d'un baptême », a déclaré un habitant âgé de Wanindara, qui a été arrêté et gardé à vue par la CMIS pendant plusieurs jours :
J'ai vu des agents de police dans la rue principale et j'en ai vu un lancer une pierre en direction de ma maison. J'ai dit : « Arrêtez de lancer des pierres » et ils sont venus vers moi. Ils m'ont fait monter à bord d'un de leurs véhicules. L'un d'eux a dit : «Vous êtes les rebelles qui ont tué notre ami. » J'ai dit : « Non, s'il vous plait, laissez-moi partir, c'est l'heure de l'appel à la prière, et c'est moi qui appelle à la prière. » Mais ils n'ont pas voulu me relâcher.
Un instituteur d'une école coranique locale a affirmé qu'à son retour à Wanindara cet après-midi là, il n'avait pas pu trouver de taxi et avait donc décidé de rentrer chez lui à pied. La police l'a appréhendé et l'a fait monter dans une camionnette :
Ils ont dit : « Savez-vous pourquoi nous vous avons arrêtés ? Ils ont tué un agent de police aujourd'hui, ils l'ont poignardé. » Je leur ai dit que je n'étais pas au courant de cet incident. Mais ils m'ont emmené au siège de la CMIS à Anco 5. Je leur ai dit que je n'étais qu'un professeur d'école coranique, mais ils m'ont gardé à vue pendant près d'une semaine.
Plusieurs témoins ont affirmé qu'ils avaient dû payer pour obtenir la remise en liberté de membres de leurs familles arrêtés lors de l'opération de la CMIS. « J'ai reçu un coup de téléphone d'un agent de police qui disait que je devrais négocier une somme à payer pour faire libérer deux de mes neveux », a déclaré un commerçant. « Il a d'abord demandé 2 millions de FG (216 dollars) par personne mais en fin de compte, cela m'a coûté 750 000 FG (81 dollars) pour chacun. » Un activiste local de l'UFDG a affirmé que le même jour, il avait dû verser 500 000 FG (54 dollars) pour obtenir la remise en liberté de son jeune frère.
Vers la fin de la journée du 8 novembre, environ 25 personnes arrêtées à Wanindara étaient en garde à vue à la Direction centrale de la Police judiciaire à Conakry, où elles sont restées plusieurs jours sans que leur détention soit validée par un juge. Le 13 novembre, la police a tenu une conférence de presse, lors de laquelle les principales chaînes de télévision guinéennes ont filmé ces 25 personnes se tenant debout devant une table où étaient disposés des couteaux, des ciseaux et d'autres armes blanches.
La couverture de l'événement par la télévision d'État ce soir-là a laissé clairement entendre que les détenus étaient impliqués dans la mort de l'agent de police et dans le meurtre de deux civils le 7 novembre, incident que Human Rights Watch a documenté plus haut dans ce communiqué. La télévision d'État a montré des images de la table couverte de couteaux disposés devant les détenus, mais n'a pas précisé que les civils étaient morts de blessures par balles.
Plusieurs des détenus présentés lors de la conférence de presse ont déclaré que l'événement les liait injustement à des crimes qu'ils n'avaient pas commis. « Je n'avais jamais vu aucun de ces couteaux auparavant », a déclaré à Human Rights Watch l'un de ces détenus, qui figurait dans les images télévisées. « Plus tard ce jour-là, après la fin du filmage, quatre d'entre nous ont été convoqués dans le bureau du commandant, puis remis en liberté. »
Après la conférence de presse, d'autres détenus ont été maintenus en garde à vue dans l'attente d'un supplément d'enquête, plusieurs d'entre eux ayant été maintenus en détention durant plusieurs semaines. « Après l'enregistrement vidéo de la conférence de presse, mon frère et moi avons comparu devant un tribunal, avant d'être placés en détention », a dit l'un des 25 détenus. « Nous n'avons été libérés qu'en janvier. »
Absence de justice ; Recommandations
Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve que des membres des forces de sécurité aient été suspendus, aient fait l'objet de mesures disciplinaires ou aient été poursuivis en justice pour comportement répréhensible présumé lors des manifestations de 2018. Le ministère guinéen de la Justice n’a pas répondu à une lettre du 25 mars dans laquelle Human Rights Watch lui demandait des informations sur l’état d’avancement des enquêtes sur les décès, de manifestants et de membres des forces de sécurité, survenus lors des manifestations de 2018.
L'absence de progrès dans les enquêtes reflète un manquement plus général à l'obligation d'enquêter de manière adéquate sur les allégations de meurtres commis par les forces de sécurité depuis l'arrivée au pouvoir du président Condé. Même dans le cas de Kaly Diallo, dont la déclaration de culpabilité le 4 février est le seul exemple connu où un membre des forces de sécurité a été amené à rendre des comptes pour la mort d’un manifestant, il est possible qu'il n'y ait eu que bien peu d'éléments de preuves concrets permettant de le lier au meurtre du manifestant. Bien que le procureur ait demandé au tribunal d'acquitter Diallo, le gouvernement a présenté le verdict de culpabilité comme étant un exemple de « sa détermination à faire la lumière sur des affaires criminelles emblématiques. »
En mai 2013, à la suite d'une série d'actes de violence politique dans lesquels au moins 12 personnes ont été tuées – dans plusieurs cas dans des fusillades par les forces de sécurité – le président Condé a formé un panel spécial de juges chargé d'enquêter sur des crimes commis tant par les manifestants que par les forces de sécurité. Bien que Condé ait à l'époque déclaré que « nul n’est au-dessus de la loi », pas même les gendarmes et les policiers, en fin de compte, aucun membre des forces de sécurité n'a été jugé pour les violences de 2013.
Des responsables de l'application des lois et du système judiciaire ont souligné que la nature désordonnée et violente des manifestations, l'immédiate altération de la scène du crime, la défiance qui règne entre la communauté locale et les forces de l'ordre, ainsi que la réticence des témoins à se manifester, rend toujours difficile d'enquêter sur des morts survenant lors de manifestations.
Toutefois, en dépit de l'insuccès en 2013, la création d'une équipe de juges spécialement chargée d'enquêter sur les décès survenant lors de manifestations, soutenue par un détachement de police et de gendarmerie, pourrait aider à relever ce défi.
La création d'une unité spéciale d'enquête pourrait permettre de faire en sorte que des ressources adéquates soient disponibles pour les investigations et fournir l'occasion pour des juges, ainsi que pour la police et les gendarmes, d'acquérir une expertise spéciale dans le domaine des enquêtes sur les abus commis lors de manifestations, notamment par le biais de formations qui seraient fournies par les bailleurs de fonds internationaux. La création d'une telle unité comme une entité séparée de la chaîne habituelle de commandement de la police et de la gendarmerie pourrait également aider à garantir son indépendance de toute pression politique. Un panel de trois juges spécialisés a achevé en novembre 2017 son enquête sur le massacre survenu dans un stade en septembre 2009, en inculpant 14 responsables de haut rang. Cette affaire est actuellement en attente d'un procès.
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