Conakry le 4 Décembre 2007 LETTRE OUVERTE A Mme ANDRE TOURE
- Par Administrateur ANG
- Le 05/12/2007 à 23:31
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Chère Madame, Je suis sûr que vous ne vous rappelez pas de moi. Nous ne nous sommes vus face à face qu’en 1970 à Rome. L’ambassadeur Seydou Keita avait organisé une conférence de presse lors de votre visite dans la cité sainte en compagnie de Myriam Makéba. Imbu du verbiage de votre mari, croyant fermement en sa sincérité au point d’être membre de la JRDA, j’avais aidé et participé activement à l’organisation de cette conférence de presse. Etant journaliste moi même, devant le mutisme des collègues italiens qui ne savaient rien de la Guinée, en toute bonne foi j’ai posé des questions qui tendaient à mieux faire connaître notre pays. D’ailleurs, je préparais alors ma thèse de doctorat sur la Guinée, qui traitait entre autre de la pensée politique de votre mari et de sa conception de la société guinéenne. A la fin de la conférence de presse, ayant compris que mes questions n’avaient pas été du goût de M. Keita, dont j’ignorais l’inhumanité, je vous ai exprimé mes craintes. Aussi bien vous que la grande chanteuse sud-africaine, vous avez cherché, maternellement à me tranquilliser et vous m’avez même félicité. Lors de l’agression portugaise du 22 Novembre 1970, mon père était à l’extérieur du pays. Il a tout fait pour rentrer car il aimait immensément la Guinée et malgré toutes les épreuves que votre mari avait fait subir à notre pays, il croyait que l’on ne pouvait être arrêté, torturé, privé de tous ses biens et massacré que si on avait commis de graves crimes contre son pays. En attendant que l’aéroport de Conakry soit rouvert il a du patienter chez un ami à Bamako, Diallo Sada, futur Président du Patronat malien. Cet ami connaissait bien votre mari, car il avait été chassé de Guinée, son pays d’adoption avec seulement une valise. Toutes ses villas, ses voitures, ses entreprises et ses terrains lui avaient été arrachés, sans qu’il ait absolument rien fait de contraire à la loi. Craignant pour la sécurité de mon père, il a tout fait pour le retenir à Bamako, mais celui-ci lui a dit qu’il ne pouvait pas laisser sa famille seule et que de toutes les façons, n’ayant rien fait, il n’avait aucune crainte. Dès son retour, il a été arrêté et enfermé au Camp Boiro. Il y est resté pendant un mois. Malgré l’atmosphère concentrationnaire qu’on respirait dans tout le pays et les témoignages sur le véritable visage du régime tortionnaire instauré par votre mari, mon père a cru que comme il n’avait rien fait, il ne courait aucun risque. A ses yeux, la preuve était qu’en le libérant la révolution avait reconnu qu’elle s’était trompée dans son cas. C’est pour cela qu’il avait été libéré. Bien qu’il en aurait eu la possibilité, il a refusé de quitter le pays. Après quelques mois, il a été arrêté et a disparu définitivement, en même temps que tant d’autres innocents. Sa famille fut dépossédée de tous ses biens : terrains, bâtiments, voitures, camions, magasins, participations dans des entreprises, comptes en banque, etc. Chaque membre de la famille fut obligé de sortir de ses propriétés avec seulement ce qu’il avait sur lui. Ma mère ayant voulu prendre sa natte de prière, un des miliciens la lui arracha des mains avec tellement de force qu’elle faillit tomber. Dans l’atmosphère de délation et de peur qui prévalait, un seul oncle eut le courage de prendre en charge nos mamans et les jeunes enfants. Les plus grands n’ont trouvé leur salut que dans la fuite. Pourtant, moi qui étais déjà à l’extérieur ce n’est que grâce à la fermeté de ma femme que je ne suis pas rentré pour combattre. J’aurais subi ainsi la fin de plusieurs jeunes Guinéens qui, sentant leur patrie en danger ont interrompu toutes leurs activités pour voler à son secours. Ils ont été arrêtés à leur entrée en Guinée et accusés de connivence avec les envahisseurs ! Quelques années plus tard, il parait qu’ayant vu l’état de délabrement de notre bâtiment à Boussoura causé par l’incurie et la malhonnêteté des habitants que la révolution y avait logés, vous auriez exprimé très vivement votre colère : baignoires rouillées, wc et bidets bouchés, fenêtres et portés arrachées, pans tombants, etc. Cette colère contre la destruction d’un bien de mon père et la gentillesse que vous avez montrée à mon égard en Italie, m’ont toujours porté à croire que vous aussi vous deviez avoir été une victime. Je crois que votre conscience n’a jamais accepté les méthodes sanguinaires de votre mari. Pendant toute la durée du règne de la terreur, au milieu des batoula, menteurs, délateurs et hypocrites aux mains souillées du sang de tant d’innocents compatriotes, vous avez dû vous sentir, souvent, comme ces intellectuels que des régimes dictatoriaux enfermaient dans des asiles pour aliénés mentaux. Dans votre intimité, vous devez avoir subi les caresses de votre mari comme les pattes d’une araignée sur votre corps, malgré l’amour pour les enfants que vous avez eus avec lui. Comment avez-vous géré vos amitiés qui dépendaient de l’humeur d’un mari sanguinaire, car je suis sûr que des sentiments sincères devaient vous lier aux veuves d’anciens ministres ? Vous ne pouvez pas les avoir considérées comme des ennemies du jour au lendemain, sans motif ! Comment faisiez-vous face à ces amies dont les maris ou les enfants innocents ont été martyrisés par le vôtre ? Depuis que la terreur a été remplacée par le libéralisme économique, ou avant, je n’ai jamais entendu votre nom lié à une quelconque malversation, abus de pouvoir ou corruption, à part quelques bruits lors de la recherche d’un héritier du régime révolutionnaire à la mort de votre mari. Je suis convaincu que vous ne revendiquez nullement l’idéologie du Parti des pendeurs de guinéens. Les propos que vous avez tenus lors du brouhaha qui a envahi nos tympans à l’occasion du 22 Novembre 2007, ont été les seuls mots qui dénotent une sincère recherche de réconciliation avec notre peuple. En tant que fils d’une victime de la folie meurtrière de votre mari, je vous prie de continuer sur ce sentier et de refuser de vous prêter à une quelconque instrumentalisation des nostalgiques de ce régime qui a tué tant de cadres, d’hommes d’affaires ainsi que d’autres simples citoyens innocents et obligé un tiers de la population guinéenne à fuir dans les pays voisins. Au cours de l’année 2008, qui marquera le Cinquantenaire de l’indépendance de notre pays, les nostalgiques du pouvoir sanguinaire ne manqueront pas de solliciter votre aval pour des actions politiques destinées à renforcer leurs ambitions personnelles. Ce n’est pas de l’intérêt de notre peuple. Refusez de répondre aux appels de ces sirènes, lys de l’histoire. Sachez distinguer l’amour qui vous a fait épouser cet homme, dont tant de Guinéennes ont subi le charme légendaire, de l’intérêt et de l’amour que vous portez à notre peuple, en continuant à prôner la réconciliation nationale. Personne ne vous en voudra de vous rappeler les moments agréables de la vie conjugale que vous avez vécus avec lui, mais pensez à ces nombreuses familles qui ne savent même pas où sont enterrés leurs maris, pères, frères ou sœurs. Pensez à eux et aux amitiés que vous avez du interrompre pour des raisons qui vous étaient imposées, en refusant de servir des intérêts partisans qui vont à l’encontre de la justice et du respect de la mémoire des disparus. Hier, vous ne pouviez rien faire pour empêcher les crimes de votre mari, mais aujourd’hui vous pouvez agir, pour au moins, que la mémoire des innocents ne soit pas bafouée. Pour le bien de notre chère patrie, aidez-nous à faire reconnaître que nos parents ont été tués en toute innocence et que ceux qui savent où leurs corps ont été cachés nous disent où aller les chercher pour leur offrir une sépulture digne des croyants qu’ils étaient. Tout en espérant que vous ne resterez pas sourde à cet appel, auquel se reconnaissent plusieurs Guinéens, je vous prie d’agréer, chère Madame, l’expression de mon très sincère amour filial.
Dr. Abdoulaye Bah abkodo2@yahoo.fr
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