Comment s’est effondré le rêve de Simandou
- Par Administrateur ANG
- Le 27/07/2016 à 10:38
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La société Rio Tinto vient d’annoncer au journal anglais The Times le 4 juillet 2016 que la baisse du cours des matières premières l’empêcherait d’exploiter à l’immédiat le gisement de fer de Simandou au sud de la République de Guinée en dépit de << l'étude de faisabilité bancable >> qu’elle a présentée à l’État guinéen en mai 2016.
En effet, le projet Simandou est géré entre l’État guinéen sous forme de société anonyme de droit local SIMFER.SA (7,5 %), Rio Tinto (46,6 %), un consortium de sociétés d’État chinoises pilotées par Chinalco (41,3 %) et la Société financière internationale (4,6 %), branche du Groupe de la Banque mondiale destinée au financement du secteur privé. SIMFER.SA détient donc une concession minière (blocs 3 et 4) au sud de la République de Guinée.
Aujourd’hui, la quasi-totalité des médias parlent du retrait pur et simple de Rio Tinto du projet.
De son côté, l’État guinéen, semble-t-il pris au dépourvu, ne compte pas s’aligner. Du moins, c’est que l’on peut comprendre des communiqués hésitants, pour ne pas dire prudents de ce dernier.
Va-t-on vers une bataille juridique ? Est-ce un coup médiatique raté ? Ou une petite stratégie de chantage du géant du fer anglo-australien pour faire reculer l’État pour l’exploitation de ce minerai de fer, sans doute le plus riche au monde ? Ou finalement la confiance du géant en l’état a volé en éclat ?
Dans notre analyse nous tenterons d’éclaircir l’environnement contractuel du projet Simandou avant d’envisager une appréciation juridique des évolutions contractuelles.
L’environnement contractuel du projet Simandou
L’environnement contractuel du projet Simandou est à la fois historique et décisif du point de vue tant de l’espoir que de bouleversement des rapports contractuels avec l’État guinéen.
Depuis 1997, la société Rio Tinto, l’un des leaders de l’industrie minière mondiale, est présente en République de Guinée suite à l’invitation de la Guinée afin de procéder à des recherches scientifiques pour déterminer les potentialités du gisement de fer de Simandou et les possibilités d’une exploitation et commercialisation de ce fer rare de par sa qualité et de par sa quantité.
C’est ainsi que quatre titres miniers permettant à la société minière de mener ses activités de recherches respectivement dans quatre blocs dits bloc I, bloc II, bloc III et bloc IV ont été délivrés le 25 février 1997 à la filiale de Rio Tinto créée à cet effet, la société anonyme SIMFER SA. Cette dernière était détenue à 100 % par Rio Tinto.
Les recherches se sont très rapidement révélées concluantes. Des négociations s’ouvrent entre l’État guinéen et SIMFER.SA en vue de mettre en place une convention définissant entre autres les conditions de l’exploration, de l’exploitation et du transport du minerai à Conakry, la capitale, en vue d’une exportation comme le prévoit le code minier de l’État guinéen.
Un accord a été facilement trouvé. La convention dite de « base » a été signée le 26 novembre 2002 qui sera finalement ratifiée trois mois plus tard (le 3 février 2003) par le parlement guinéen. Les permis de la phase de recherche préliminaire cèdent la place à une concession que l’État accorde à SIMFER.SA par un décret du 30 mars 2006 sur un périmètre de 738 km2 au lieu 359 km2.
Contrairement à ce que le code minier prévoyait, la totalité du périmètre des quatre permis est comprise dans le périmètre de la nouvelle concession.
En effet le code minier guinéen de 1995 exigeait que la moitié du périmètre de recherche soit rétrocédée gratuitement à l’État et qu’au plus l’autre moitié soit attribuée à l’inventeur, en l’espèce SIMFER.SA sans obligation de l’appel d’offres international. C’est de là que le feuilleton litigieux prendra naissance.
Le tournant du projet Simandou
Le bras de fer s’engage entre les cocontractants. En juillet 2008 un décret présidentiel annonce que la concession minière accordée à SIMFER.SA était révoquée et que SIMFER.SA conservait les droits d’un titulaire de permis de recherche (non d’une concession).
L’État guinéen conteste la légalité du décret de la concession qui a été accordée à SIMFER.SA le 30 mars 2006 en au motif qu’il violait le code minier en ce qui concerne l’obligation de rétrocéder à l’État la moitié du périmètre des titres de recherche lors de la demande d’attribution d’une concession minière.
Quant à SIMFER.SA, elle conteste la légalité du décret de révocation de la concession, mais avec peu d’arguments juridiques suffisants à notre avis.
Ainsi le 19 mars 2010, Rio Tinto, la société mère, annonce avoir signé un accord avec certaines de ses filiales et un consortium de sociétés chinoises (CHALCO) pour un développement conjoint du projet Simandou en leur cédant une partie du capital de SIMFER.SA.
L’État conteste encore la légalité de cette opération au motif qu’il devait être préalablement consulté pour donner l’accord (ou refus) à une telle opération selon les dispositions du code minier. Rio Tinto fait remarquer qu’il s’agit d’une cession de titres sociaux et non de titres miniers (permis). Ce raisonnement de Rio Tinto était parfaitement solide du point de vue du droit guinéen régissant le secteur minier.
Parallèlement, l’État guinéen fait savoir qu’il exerçait son option de prise de participation dans le capital de SIMFER.SA à hauteur de 20 % comme prévu dans la convention de base en son article 19. Ce que Rio Tinto accepte en décembre 2010.
Le ton monte et le 4 août 2010 l’État guinéen, à travers le ministère des Mines, informe SIMERF.SA qu’il ne l’autorisait l’accès aux sites de construction des infrastructures ferroviaires et portuaires du projet et que ces derniers ont été ouverts à d’autres opérateurs miniers.
Le désaccord est total, substantiel et profond. C’est ainsi que les nouvelles autorités de Conakry entrent en négociation avec Rio Tinto et ses partenaires financiers. Ces dernières aboutissent à un accord dont les points essentiels furent :
- SIMFER.SA accepte la réduction de son périmètre de concession à 50 % ;
- Elle s’engage à ce que la production initiale du minerai de fer ait lieu avant décembre 2014 et celle commerciale avant fin juin 2015 sous peine de résiliation du contrat.
- Elle s’engage aussi à verser 700 millions de dollars américains déductibles d’impôts à l’État pour, nous dit-on, purger tout le contentieux connu au jour de l’engagement ou tout contentieux éventuel dont la source est antérieure à cet engagement. À notre avis ce montant n’a aucune qualification comptable ou fiscale solide du point de juridique. Une administration fiscale « libre » peut rejeter la déduction d’une telle charge.
L’État quant à lui reconnaît le périmètre modifié sans aucune formalité de SIMFER.SA et que la réduction du dit périmètre n’entrera en vigueur que le jour de la promulgation de la concession.
Enfin, il accepte que les 700 millions soient remboursables s’il ne respectait pas certaines de ses obligations contractuelles.
L’appréciation juridique des évolutions des relations contractuelles
Depuis la signature de l’accord transactionnel mettant fin aux litiges, les rapports contractuels entre l’État et SIMFER ont évolué en ce qui concerne le respect des obligations légales et contractuelles des parties. Évolution étroitement liée au prix des matières premières, en l’occurrence le minerai de fer sur le marché international.
Du côté de l’État en ce qui concerne ses obligations légales et contractuelles que nous avons ci-haut citées, nous pouvons affirmer qu’il les a quasiment bien respectées.
Quant à SIMFER.SA, au regard de la baisse du prix du minerai de fer sur le marché et les difficultés de mobilisation des fonds nécessaires avec ses partenaires, la date limite de début de la production initiale du 30 décembre 2014 n’a pas été respectée. Celle du 30 juin 2015 pour la production commerciale non plus.
Il convient de rappeler que durant les cinq dernières années le cours du prix des matières premières chute continuellement et la plupart des études du marché confirment que cette baisse se maintiendra encore pour les années qui suivent.
Portant, en dépit de cette situation, SIMFER.SA présentait à l’État guinéen des études de faisabilité bancables en mai 2016 confirmant la faisabilité technique et financière du projet Simandou dont les investissements s’élèvent à environ 20 milliards de dollars répartis entre la construction des infrastructures ferroviaires, aéroportuaires et minières.
Les évolutions récentes du projet Simandou
Le PDG de Rio Tinto déclare alors au Times le 4 juillet 2016 que « les conditions du marché de fer sont très claires – il y a une surproduction sur le marché du fer ». Et il ajoute : « nous avons été très clairs que c’est un projet très coûteux […]. Ce n’est pas le moment pour Rio Tinto de développer un tel projet ».
Cette nouvelle pose principalement deux questions : Quelles seront les stratégies de l’État guinéen ? Quel avenir pour le projet Simandou ?
D’un point de vue juridique, SIMFER.SA est tenue contractuellement et légalement au respect du délai imparti pour démarrer l’exploitation du gisement. Ce délai est totalement dépassé tel que nous l’avons rappelé.
Dans cette hypothèse, l’État guinéen est fondé de retirer les titres miniers de SIMFER.SA et de demander une réparation de préjudice s’il estime en avoir subi un. Ce qui semble difficile à démontrer du fait que le projet n’est jamais entré en phase d’exploitation. Dans ce cas le périmètre attribué à SIMFER.SA reviendrait dans le patrimoine minier de l’État guinéen.
Au contraire, si le retrait des titres engendrait un préjudice contre SIMFER.SA, cette dernière pourrait bien se retourner contre l’État si elle arrivait à démontrer que le non-respect de l’obligation d’exploitation est dû à un cas de force majeure ou à la faute l’État. Cela n’est pas totalement exclu au regard des investissements déjà réalisés par SIMFER.SA et des bouleversements contractuels que nous avons décrits.
Quant à l’avenir du projet, il nous semble qu’il serait plus prudent de renégocier un délai limite et impératif pour relancer le projet. Ce qui nous paraît plus facile à réaliser que de trouver un preneur de qualités techniques et financières comparables à celles Rio Tinto.
Par ailleurs, même dans l’hypothèse de trouver un preneur, les négociations prendront sans doute un délai relativement long. En outre, ce dernier preneur ne pourrait raisonnablement pas mettre le projet en exécution dans les mêmes termes que ceux de la convention actuelle liant SIMFER.SA et l’État guinéen.
Nous estimons par conséquent qu’une renégociation d’un ultime délai semblerait s’imposer pour l’intérêt des deux parties et surtout pour l’intérêt des populations guinéennes.
Mamoudou BARRY est enseignant-chercheur à l’université de Rouen. Cet article a d’abord été publié par The Conversation
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