Comment et pourquoi la Guinée pourrait devenir un pays émergent

Vendeuses de rue a conakry

À l'heure où l'Afrique confirme sa place dans le concert des continents émergents en attirant de plus en plus d'IDE et d'entreprises de toute taille, il est permis de se poser des questions sur la situation exceptionnelle dont bénéficient certains pays africains en termes de richesse naturelles qui peuvent leur permettre d'accéder au pallier de l'émergence et qui continuent d'être aux prises avec des problématiques de développement et de gouvernance. Dans ce sens, la Guinée est un cas d'école. Par Amal Chevreau, directrice des études et projets à l'IPEMED.

La Guinée comptait en 2013, 11,7 millions d'habitants (banque mondiale) avec un PIB par habitant de 588 $ (FMI). La balance commerciale de la Guinée est déficitaire (-900 M$ OMC) alors que le taux de croissance était de 2,5 %. La Guinée occupe la 178e place sur 187 avec une espérance de vie par habitant de 54 ans et un taux d'alphabétisation de 41 % (PNUD). Les principaux fournisseurs de la Guinée sont la Chine, les Pays Bas, les États-Unis et la France alors que ses principaux clients sont l'Espagne, l'Irlande et l'Inde.

Les indicateurs économiques et sociaux de la Guinée sont en total contraste avec les richesses naturelles dont dispose le pays. En effet, la Guinée possède des richesses hydrographiques immenses (château d'eau de l'Afrique), un énorme potentiel minier (le tiers des réserves mondiales de bauxite, minerai destiné à fabriquer l'aluminium, or, diamant, manganèse, zinc, cobalt, nickel, uranium).

Des richesses largement sous-exploitées

Néanmoins, l'ensemble de ces richesses sont largement sous-exploitées. Ainsi, la Guinée n'est que le cinquième producteur mondial de bauxite alors que son sous-sol renferme, selon plusieurs sources, 25 milliards de tonnes des réserves mondiales. L'exploitation des mines de bauxite représente 80 % des échanges commerciaux de la Guinée avec des recettes assez faibles pour l'État, sachant que ce secteur est entièrement concédé au secteur privé international. Les groupes d'aluminium mondiaux mais aussi sud-africains, chinois et iraniens tirent profit d'une ressource en abondance avec une présence de plus en plus renforcée de groupes chinois.

L'impression d'un énorme gâchis

Cette situation donne une impression d'un énorme gâchis, auquel s'ajoute le désastre sanitaire provoqué par Ebola. Pour illustrer cet énorme gâchis, le cas de Simandou, est souvent cité en exemple. Simandou est une montagne isolée, dont le sous-sol renferme du fer. Certains spécialistes affirment que cette montagne est la plus importante réserve inexploitée au monde avec une valeur estimée à des centaines de milliards de dollars. A cela des exemples de contrats miniers d'une valeur de 140 millions de dollars du temps de Lansana Conté.

En général, le secteur minier fournit 20 à 25 % des recettes publiques de la Guinée avec un montant estimé à 210 millions de dollars US en 2012, et plus de 10 000 emplois directs (Banque mondiale, 2 012). Le Gouvernement guinéen tire également des recettes des taxes à l'exportation de diamants et à la location des infrastructures (un montant estimé à 8 millions de dollars US en 2012). Plus de 200 000 personnes participeraient activement à l'exploitation minière artisanale et à petite échelle de l'or et du diamant essentiellement. Et pourtant, la population est pauvre et le taux de chômage des jeunes demeure l'un des plus élevés au monde.

Les autorités veulent changer de paradigme

Selon un document officiel de la république de Guinée, il y a plus de 10 projets en cours de négociation et parmi eux il y a des méga projets notamment l'exploitation minière et la construction de chemins de fer et/ou ports. Les projections, en prenant en compte le début du projet Simandou Rio Tinto (Simfer) en 2017 et le potentiel de deux (2) projets de bauxite/alumine montrent que le PIB réel et nominal pourrait doubler entre 2012 et 2015 et une croissance significative pourrait se poursuivre jusqu'en 2020. Les nouveaux projets représenteront 20 % du PIB nominal en 2016 et 27 % du PIB en 2017-2018.

L'ensemble de ces projets annonce une volonté du gouvernement de privilégier la transformation locale, pour permettre à la Guinée, de devenir à la fois un exportateur d'alumine et d'aluminium, en prenant exemple sur l'Australie, le premier producteur mondial de bauxite qui transforme 80 % du minerai sur place. Plusieurs autres projets sont annoncés avec une volonté que leur retombées soient bénéfiques à la population et qu'ils participent à ancrer définitivement une action publique inclusive et soucieuse de l'avenir des générations présentes et futures.

La question clé de la bonne gouvernance

La Guinée possède les capacités de passer le cap du développement pour accéder à l'émergence à condition de prendre des mesures concrètes pour instaurer une gouvernance saine et renforcer les capacités de son administration.

La Guinée peut tirer profit pleinement de ses ressources, en prenant des mesures concrètes dans trois directions : instaurer un processus d'éradication de la corruption, lutter contre l'exploitation illégale des ressources naturelles et stopper la fuite des taxes qui trouve son origine notamment en l'octroi de licences dans des conditions non transparentes.

Des solutions peuvent être esquissées notamment penser l'exploitation des mines en Guinée et en Afrique en général dans un cadre régional avec un leadership africain et une gouvernance saine. Certains experts plaident pour l'instauration d'une vision minière africaine, dans le cadre d'une démarche dont la finalité est d'interconnecter l'investissement et l'industrie du secteur minier au reste de l'économie nationale, africaine et mondiale. Les États africains ne possèdent pas les capacités de négocier individuellement face à des multinationales.

Une autre solution consiste à impliquer la société civile notamment en matière de lutte contre la corruption. La Fondation Ford travaille avec des ONG qui essayent de faire en sorte que les pays africains puissent sensibiliser les populations sur l'importance des industries extractives et la nécessité de mettre en place une bonne gouvernance pour que la population africaine puisse en bénéficier.

Amal Chevreau

Source: La Tribune

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